Le Concours national de littérature de l’année dernière récompensait une chronique de voyage. Carine Krecké a obtenu le premier prix pour son livre Retour au point de non-retour. Des mentions spéciales ont été attribuées à Charel Schiltz et Cindi Wilson. Georges Hausemer (tout à fait dans son élément ici, ses chroniques de voyages, publiées sous forme de livres ou d’articles parus dans de nombreux journaux, dont le Land, n’ayant rien d’inconnu) réussit à obtenir le deuxième prix pour le récit de son voyage en Inde : Die heiligen Ratten von Deshnok. Eine indische Reise. Un troisième prix n’a pas été attribué. Apparemment, le nombre très limité de manuscrits envoyés ne le permettait pas.
Tout cela pour dire que l’ouvrage de Georges Hausemer n’est peut-être pas sans mériter ce prix. Il raconte le voyage en Inde que l’auteur, accompagné d’une quelque peu mystérieuse femme dénommée L., a effectué en janvier et février 2008. À partir de New Dehli, les deux voyageurs font un tour – en minibus ; leurs chauffeurs s’appellent Ashok et Deepak – du Rajasthan, un des États indiens les plus touristiques parce que culturellement très riche, en passant d’abord rapidement par d’Uttar Pradesh (pour voir notamment Agra et le Taj Mahal).
Au programme sont donc d’innombrables visites des plus imposants forts et forteresses, temples, mosquées, avec leurs abondantes décorations, ainsi que les plus importantes villes du Rajasthan, comme Jaipur, Udaipur, Jaisalmer, Jodhpur, Bîkaner, à une trentaine de kilomètres de laquelle se trouve le village de Deshnok, connu pour abriter le temple de Karni Mata, le temple des rats. En effet dans ce temple vivent et prospèrent plusieurs milliers (!) de rats, sous les soins de quelques hommes qui leur servent de la nourriture et du lait. Ces rats, qui ont donc donné le titre à l’ouvrage de Georges Hausemer, passent pour être la réincarnation des dévots de Karni Mata, une mystique elle-même réincarnation de la déesse Durga.
Dans chaque ville, un autre guide touristique attend nos deux voyageurs pour leur montrer les principales attractions (dont l’auteur fait parfois de petits dessins qui sont reproduits dans le livre). Ces personnages excentriques font parfois, à eux seuls, tout un roman.La langue utilisée par l’auteur, brève, coupée, sèche parfois, traduit bien la sensation connue qui se situe quelque part entre dégoût et fascination, entre émerveillement et aversion, qu’évoque ce pays (de toutes les contradictions) chez de nombreux voyageurs. Tantôt très crue, mais néanmoins touchante, tantôt très distante, elliptique, ironique, plus typique de l’homme occidental qui observe les mœurs parfois écœurants (ou les interdits qu’il considère absurdes) d’un pays « exotique », tantôt plus affolée, plus brisée, quand l’auteur ne réussit plus à garder cette distance parfois nécessaire : elle fait partie du voyage – compagnon elle aussi – du désespoir et de l’exaltation vus et vécus.
Il faut également accorder à ce livre une fonction un tant soit peu didactique. Après lecture de ces imprononçables noms de villes, de temples, de maharadjas, de guides touristiques (même l’auteur semble confus : un guide s’appelle tantôt Ranesh Soni tantôt Naresh Soni), après avoir essayé de comprendre quelle route les deux voyageurs ont parcouru, le lecteur peut avoir l’impression non pas d’y avoir été lui aussi (le cliché serait un peu démesuré), mais au moins d’avoir fait la connaissance d’un morceau de culture indienne. Ce n’est pas peu.
Georges Hausemer : Die heiligen Ratten von Deshnok. Eine indische Reise ; Éditions Saint-Paul, 2008, 140 pages ; ISBN 978-2-87963-740