Une expérience solide dans le secteur financier, une connaissance accrue de l’aspect technique ainsi que la conscience des changements du paysage bancaire luxembourgeois, voici le triumvirat constituant la clé du succès pour Bert Boerman, co-fondateur de la start-up 2 Gears. Le préfixe synonyme de partage est ici peut être encore plus important que pour d’autres initiatives communes, Bert ayant décidé d’associer son avenir professionnel à celui de son frère jumeau Rob. En effet, après avoir passé quinze années au sein de la banque ABN Amro pour laquelle il était en contact quotidien avec une clientèle archétypique de Luxembourg – corporate et fonds d’investissements, ce Néerlandais d’origine prend pleinement conscience de l’évolution du marché bancaire et du rôle prépondérant des fonds d’investissements. Nous sommes alors en 2011 et, heureuse coïncidence, son frère Rob Boerman, passionné d’informatique, acteur dans le secteur IT depuis ses quinze ans aux Pays-Bas et déjà entrepreneur, cherche alors un nouveau challenge, un nouveau produit à développer.
Ensemble, ils identifient une niche naissante, issue des nouvelles régulations européennes comme les directives AIFMD et UCITS : la gestion de ces nouvelles règles par les clients. Ils fondent ensuite 2 Gears afin de développer une application qui leur permettra de répondre efficacement à cette demande émergeante. Mais le développement d’application est à l’époque très axé sur les systèmes d’exploitation iOS et Android, ce qui ne convient pas à ce marché à cause da la multiplicité des appareils. Les deux frères décident alors de prendre en route la montée du HTML 5, langage de prédilection pour la création d’applications cross-platform, et d’y croire même si beaucoup sont encore sceptiques quant aux réelles capacités de ce langage perçu comme lent et simpliste. 2 Gears passe alors deux ans à rechercher et à développer des frameworks qui permettront d’utiliser HTML 5 pour des applications complexes destinées à ses futurs clients financiers. Pour cela, ils passent notamment par la création d’un outil bien connu des geeks du monde entier : un MMORPG, soit un jeu de rôle en ligne massivement multi-joueurs baptisé Monster Move : « Si on réussissait à développer un jeu avec un grand nombre de joueurs en ligne, des graphiques qui bougent très vite et de l’interaction en temps réel, alors on peut ensuite tout faire ou presque, surtout en Fintech ». Ces deux années de recherche portent leurs fruits et la nouvelle expertise de 2 Gears permet à la jeune entreprise de rapidement développer des solutions modernes et flexibles afin de répondre aux besoins de la clientèle cible choisie qui doit vite s’adapter aux nouvelles régulations. De plus, il s’agit souvent de petites structures, qui bien que nombreuses ne disposent pas chacune d’un budget astronomique pour ce poste.
Aussi, en plus de créer des applications personnalisées pour des clients externes, 2 Gears développe en parallèle son propre produit phare Governance, une solution qui permet aux sociétés de gestion, aux dépositaires et aux directeurs indépendants de fonds d’investissement de gérer des fonds complexes – de type private equity, real estate, hedge funds… – en termes de contrôle et de régulation. Le principe est de recréer la structure même du fond dans le système et d’avoir ainsi à chaque moment une vue précise sur chaque niveau du fonds, ce qu’il s’y passe et quels contrôles doivent être effectués. Dire que ces contrôles sont nombreux serait un euphémisme et le respect de ceux-ci est en outre d’une extrême importance pour les investisseurs qui souhaitent éviter les pénalités, comme celles que peut infliger la Commission de Surveillance du Secteur Financier, voire d’être inscrits sur certaines listes noires.
Pour créer ces solutions qui permettent à sa clientèle de gérer ces problématiques en interne pour un budget raisonnable, Bert Boerman s’est entouré non seulement de son frère mais aussi de trois développeurs localisés à quelques pas de la réputée TU Delft, l’Université Technique de Delft. Cet emplacement stratégique permet à 2 Gears d’être à proximité des futurs talents spécialisés dans son domaine d’activité et de répondre ainsi au challenge des ressources humaines qui peut se poser au Grand-Duché. « Luxembourg est un endroit idéal pour développer une société Fintech mais il manque encore certaines filières connexes pour la formation. Si on parle de support, il est possible de trouver de bons profils mais cela devient plus difficile pour les développeurs… »
Concernant le financement de jeunes structures, Luxembourg semble offrir un panel intéressant de possibilités, comme le fonds de financement issu du plan Juncker, auquel le Luxembourg participe à hauteur de 80 millions d’euros et dont une partie reviendra dans le secteur Fintech, ou encore les prêts du SNCI mais aussi un terrain fertile pour trouver des investisseurs privés, pendant vertueux et nécessaire aux aides publiques. Et même s’il semble difficile de s’y retrouver dans ce large éventail, certaines bonnes initiatives ont été prises ces derniers temps, comme ce répertoire des aides financières disponibles pour les start-ups lancé par Muller & Associés. 2 Gears a d’ailleurs tout récemment bénéficié de ce cocktail afin d’élever son capital et ainsi renforcer son équipe commerciale et support à Luxembourg, basée à présent au bâtiment Nyuko à Hollerich, tout comme son team développeurs à Delft.
Selon Bert Boerman, ce type financement est important pour la viabilité d’une entreprise de la taille de 2Gears car il lui apporte une crédibilité face à des clients de type grandes banques, présentes dans le monde entier et devant respecter une longue chaîne de décision remontant jusqu’à la maison mère. Cela n’empêche pas le Luxembourg d’être un endroit unique et privilégié pour son activité grâce aux 150 banques et aux 13 000 fonds d’investissement présents sur le territoire mais également grâce au caractère comprimé du marché qui permet un networking efficace et des opportunités exceptionnelles. D’autant plus que le Fintech est actuellement un des secteurs les plus mis en exergue, même si ce sont les paiements en ligne est les crypto-monnaies qui semblent s’offrir la part du lion. 2 Gears bénéficie dans cet environnement d’une situation plutôt avantageuse car elle profite de l’enthousiasme général autour du domaine d’activité tout en restant sur un marché de niche à l’autre bout du spectre Fintech, celui de la gestion de régulations : « nous avons des concurrents à Luxembourg mais ils proposent souvent l’intégralité du service correspondant. En tant que fournisseur de logiciels autogérés par le client ensuite, nous sommes différents ».
Et Bert Boerman compte bien capitaliser sur cette singularité : ainsi, dans les six à douze mois, il lancera les 22 modules de sa Gearbox, une bibliothèque d’outils softwares destinée aux développeurs. L’idée est née d’une observation, celle de certaines applications d’entreprise de basse qualité réalisée dans des pays à la main d’œuvre peu chère qui arrivent sur le marché, puis le caractère modulaires des applications créées par la société des frères Boerman a permis d’isoler facilement chaque composant pouvant être utilisé comme un outil indépendant au sein de la Gearbox. Ce nouveau produit est aujourd’hui peaufiné via une recherche des intérêts concrets des développeurs et des experts, effectuée entre autres sur des événements dédiés. Une idée à la fois innovante et futée, qui permettra sans doute à la jeune société d’exploiter au maximum le potentiel de ses innovations…