En parcourant le centre-ville historique, on ne peut pas rester indifférent face aux belles façades de styles gothique, baroque ou belle époque. Or, derrière ces façades se cachent souvent des espaces vides et dépeuplés, ou alors des architectures intérieures modernes, les anciens décors en bois et en stuc ayant été détruits afin d’aménager les lieux de façon pragmatique et en conformité avec les besoins des nouveaux propriétaires. D’autres maisons de maître ou anciens immeubles de prestige, comme le Pôle Nord, furent tout simplement démolis ; à leur place se dressent désormais des chantiers béants ou des façades en verre monotones. L’un des chantiers qui retiennent le plus d’attention ces derniers temps est certainement celui de l’aile Wiltheim du Musée national d’histoire et d’art. Fermée au public depuis 2008, l’aile Wiltheim subit une remise à neuf complète et rouvrira ses portes en novembre de cette année. Ce réaménagement s’avère aussi être l’occasion de redéfinir le concept muséologique et de l’adapter aux besoins d’un public contemporain diversifié.
Composé de trois maisons bourgeoises et nobiliaires situées aux numéros 8, 10 et 12 de la rue Wiltheim, l’ensemble annexe au MNHA hébergeait pendant longtemps la collection Vie luxembourgeoise ainsi que des bureaux et des dépôts du musée. Rénovés une première fois dans les années 1970, au moment où ils furent rattachés au MNHA, ces espaces se trouvaient dans un état de dégradation continue et n’étaient plus conformes aux standards internationaux en ce qui concerne la climatologie et la conservation des œuvres. Les coûts du projet actuel s’élèveront à 9,5 millions d’euros, le prix à payer face aux spéculations immobilières. Ce budget est partagé entre le Fonds de rénovation de la vieille ville, propriétaire des bâtiments, qui contribuera à peu près 7,5 millions d’euros pour les travaux concernant la rénovation et l’isolation des bâtiments, et le ministère de la culture, qui payera deux millions pour la nouvelle scénographie, y compris les dispositifs techniques et l’illumination. Les 3 000 mètres carrés de surface résultant de ce projet et entièrement mise à disposition du public sont toutefois respectables.
En parallèle à l’analyse fine des maisons et aux tests de stabilité des structures portantes en 2009 et 2010, des sondages archéologiques et des états des lieux très minutieux des décors intérieurs furent réalisés et expliquent les coûts élevés et la durée d’une telle entreprise. Michel Polfer, directeur du MNHA, souligne l’importance de non seulement garder intactes les façades, mais de conserver aussi la structure intérieure, témoin précieux de l’histoire de la capitale.
En effet, des fouilles archéologiques réalisées en 1998-99 ont permis de découvrir un ancien rempart dans la maison située au n° 10 de la rue Wiltheim témoignant d’une présence humaine remontant au début du XIIIe siècle. Grâce à la méthode de dendrochronologie, les poutres au rez-de-chaussée de la même maison ont pu être datées aux alentours de 1560. Le bâtiment au n° 12 fut construit au début du XVIIe siècle par Ferdinand d’Arimont, conseiller au Conseil provincial et receveur général des impôts du duché de Luxembourg. À l’époque, les deux maisons appartenaient à la même famille et furent même reliées entre elles grâce à un portail intérieur. Séduisant par son intérieur au décor de pierre, la maison au n° 8, quant à elle, fut probablement construite par un marchand au cours de la première moitié du XVIe siècle et est aujourd’hui une des très rares maisons de style gothique au Luxembourg.
Le projet en cours permettra de conserver ces vestiges d’une grande valeur historique et de les restaurer avec le plus grand soin. La structure, les décors en bois et en stuc ou encore les peintures murales seront intégrés dans les futurs parcours scénographiques du MNHA et feront partie de l’historique du pays retracé par le musée. Reliée au bâtiment central par deux passerelles en verre, l’aile Wiltheim sera dorénavant aménagée de façon à être accessible dans sa presque intégralité aux personnes à mobilité réduite.
Comment va être agencée l’aile Wiltheim et quel sera le concept muséologique adapté ? Au rez-de-chaussée et au premier étage, on retrouvera les arts décoratifs et populaires. Le parcours De Mansfeld au design (1500–2014) thématisera l’aménagement intérieur d’un point de vue nettement contemporain en commençant par des meubles de style Renaissance pour passer par l’Art Nouveau et l’Art Déco et aboutir au design actuel. Le deuxième étage sera réservé aux expositions temporaires. La hauteur réduite et l’étroitesse des salles forceront cependant les responsables à se limiter le plus souvent à des œuvres sur papier ou des photographies. L’exposition inaugurale dans ces salles sera dédiée une perception artistique du chantier et de ses différentes étapes. Carte blanche a été donnée au photographe Éric Chenal. Les Beaux-Arts prendront place au troisième étage ; au quatrième, sous les combles, deux nouveaux ateliers pédagogiques vont être aménagés. De nouvelles offres plus spécifiques pour enfants, jeunes et adultes sont en cours d’élaboration. Au sous-sol de l’aile Wiltheim, les locaux sont mis à disposition du département d’archéologie. Cette présentation, tout comme celle du département numismatique ne seront dévoilées qu’au printemps 2015.
La répartition des différentes collections dans le musée se fera selon des parcours spécifiques qui prennent leur point de départ dans le bâtiment central avec une carte du Luxembourg et un prologue portant sur le pays et le musée. Le visiteur pourra alors opter soit pour les Beaux-Arts, soit pour les arts décoratifs et populaires, soit pour une immersion dans le monde archéologique. Une scénographie compréhensible, voire simplifiée, facilitera l’orientation au sein du musée. Grâce à ces différents parcours, le bâtiment central et l’aile Wiltheim constitueront un tout.
Pendant les travaux de rénovation, une partie du bâtiment central, notamment les salles dédiées aux Beaux-Arts, a dû rester fermé. Ce 15 mai, le troisième étage, consacré à la collection Art Ancien du musée, sera à nouveau accessible et donnera d’ores-et-déjà un aperçu du nouveau parcours Beaux-Arts. La nouvelle présentation sera agencée de manière chronologique et inclura les pièces majeures de la collection du musée. Seront réunies à cet étage les œuvres d’art du Moyen-âge jusqu’au XIXe siècle ; chaque époque sera soulignée et rendue facilement identifiable grâce à un schéma de couleurs. Les responsables du service, Gosia Nowara et Gilles Zeimet, accordent une grande importance à la présence d’artistes luxembourgeois – par exemple Mathieu Kirsch, Jean-Baptiste Fresez ou Pierre-Joseph Redouté – dans un accrochage dominé par l’art européen. On pourra aussi admirer les paysages luxembourgeois délicatement peints par Barend Cornelis Koekkoek. D’autre part, le focus est mis sur les recherches et découvertes récentes : à côté des acquisitions nouvelles (Jacob Jordaens), on pourra voir des tableaux restaurés (Eugène Isabey ou Claude Lorrain par exemple) ou encore une œuvre du peintre maniériste Rosso Fiorentino identifiée récemment comme authentique.
Le parcours se poursuivra aux quatrième et cinquième étages avec une sélection d’œuvres d’art moderne et contemporain avant que l’on n’arrive dans les salles de l’aile Wiltheim. Le circuit va être complété par une excursion dans l’histoire de l’art luxembourgeois (à partir du XIXe siècle). Après sa rénovation, l’aile Wiltheim accordera enfin sa place définitive et bien méritée à l’art luxembourgeois, qui est le produit le plus spécifique et authentique d’un pays et qui justifie in fine l’existence d’un musée national. Dans l’aile Wiltheim, le visiteur pourra aussi découvrir une salle dédiée à la sculpture et y contemplera des pièces comme la Vierge à l’enfant du XVe siècle ou Dräi Jofferen, de 1742, originaire de la chapelle St. Quirin.
À côté de la présence renforcée et permanente d’artistes luxembourgeois, une exposition de photographies originales d’Edward Steichen constituera un autre point fort dans ce parcours. Cette présentation est aussi le fruit de recherches intenses sur l’ample collection de photographies de Steichen en possession du MNHA, des recherches qui aboutiront certainement l’année prochaine sous forme d’une publication scientifique. Cette présentation pourra être considérée comme point charnier dans le Steichen Trail. Situé entre Clervaux et Dudelange, le musée montrera le photographe non pas en tant que commissaire mais en tant qu’artiste reconnu sur le plan international.
Le défi que s’est lancé le MNHA est immense, le travail intense. Le concept proposé atteste d’une approche et d’un aperçu franchement modernes et libérés des présentations dogmatiques ou didactiques. Si les responsables sauront trouver le juste milieu entre informations élémentaires et rapides pour le consommateur et une approche scientifique pour l’amateur et l’initié se montera en novembre. En tout cas, ce réaménagement, tout en soulignant l’importance de conserver le patrimoine, s’annonce prometteur et enrichira le paysage muséologique national.