Il y a un paradoxe évident à ce qu’une administration fiscale travaille main dans la main avec des opérateurs du secteur privé pour faire l’analyse de « la compétitivité du Luxembourg au niveau de l’imposition des entreprises » et accorde de ce fait son parrainage à la recherche de « propositions cohérentes », qui sortiront du groupe de travail auquel elle participe pour améliorer l’environnement fiscal au Luxembourg. C’est pourtant ce que fait, sans y trouver à redire, l’Administration des contributions directes (ACD) qui fait turbiner ses agents de plus en plus durement pour récupérer l’impôt, alors que ses services manquent à la fois de personnel (une quinzaine d’agents doivent être recrutés cette année) et de moyens, l’informatisation de l’Administration et surtout l’automatisation du traitement des bulletins d’imposition étant des chantiers qui traînent en longueur. Les dirigeants de l’ACD ne se font plus trop d’illusions d’ailleurs sur le calendrier de mise en route des déclarations électroniques des sociétés qui ne devrait pas se faire avant l’exercice 2014. En attendant, c’est « à la main » que les agents du fisc traitent les déclarations des sociétés. Cette tradition devrait perdurer encore plus longtemps pour les fonctionnaires affectés aux bureaux d’imposition des personnes physiques. La complexité de la législation est telle dans ce domaine, que le chantier de l’automatisation des déclarations prendra encore plus de temps que celui de l’imposition des sociétés. Une étape que les dirigeants de l’ACD préfèrent d’ailleurs ne pas calibrer sur un calendrier, tant son rythme est lent lui aussi, se contenant d’espérer que les discussions actuellement menées entre les ministères des Finances et de la Fonction publique pour accélérer l’évolution des travaux, placent l’administration fiscale sur la liste des priorités du Centre des technologies de l’information de l’État, sans lequel rien ne peut se faire en matière informatique. Le rapport annuel 2010 de l’ACD déplorait que le projet d’une assistance au « remplissage » de la déclaration pour l’impôt sur le revenu n’ait « pas abouti ». le rapport 2011 ne souffle mot de l’évolution du dossier, mais on sait que l’administration travaille actuellement à l’idée de déclarations « pré-remplies » pour personnes physiques. Les employeurs seraient tenus de transmettre directement les informations sur les rémunérations, de sorte que ces données figurent automatiquement sur la feuille d’impôt du contribuable, qui remplirait le reste lui-même.
Les retards pris par les projets informatiques n’ont pas empêché l’administration de récolter des montants en hausse en 2011, selon les données fournies dans le rapport annuel : la progression a été de plus de douze pour cent entre 2010 et 2011, avec une moisson totale de 6,266 milliards d’euros. Cette progression suit d’ailleurs un peu paradoxalement un rythme soutenu depuis la crise, non que les entreprises engrangent davantage de bénéfices et que, du coup, les salariés et résidents deviennent plus riches, mais surtout parce que les agents du fisc se montrent plus efficaces à faire rentrer l’impôt dans les caisses publiques. « On fait ce qu’on peut, et on pourrait faire davantage », résume dans un entretien au Land, Guy Heintz, le directeur de l’ACD.
Le renforcement des contrôles après une réorganisation des services de révision a permis d’accélérer le rythme de récupération des impôts : 37 contrôles approfondis en 2011 (30 un an plus tôt et 33 qui étaient encore en cours fin décembre 2011) ont permis de recouvrer 7,5 millions d’euros supplémentaires, contre 3,1 millions en 2010. Les descentes sur place de l’ACD (82) ont fait monter la récolter supplémentaire à la somme record de 17,2 millions d’euros (contre 1,3 million en 2010), venant principalement des impôts sur le revenu des personnes physiques et des collectivités.
Le volume de travail n’a cessé d’augmenter sans que les outils à disposition des agents ni les effectifs n’évoluent : le nombre d’immatriculations a progressé de plus de 20 000 l’année dernière. En moyenne, un fonctionnaire de l’ACD doit traiter 1 200 dossiers d’imposition pour l’impôt sur le revenu et pour l’impôt communal. Pour les seuls bureaux d’imposition des sociétés, ce rythme est de 950 impositions par an pour un total de 85 000 dossiers.
Sans outils informatiques pour le traitement des dossiers d’imposition à la hauteur de l’envergure de la place financière et de ses milliers de sociétés de participation financière, qui ont permis notamment de hisser le Luxembourg sur le haut du podium des investisseurs étrangers au Brésil et ne le placent pas trop mal non plus en Russie, on peut s’interroger sur le temps qu’un agent du fisc passe à contrôler la pertinence et l’exactitude des déclarations d’impôt des sociétés : quinze minutes ? Tant qu’à publier des statistiques, des chiffres chronomètrant le labeur passé par les fonctionnaires sur les déclarations des sociétés en fonction de leur nature mériterait une mention. Le rapport annuel 2011 insiste en tout cas si lourdement sur la charge de travail pèsant sur ses agents qu’il faut sans doute y voir le signe d’une certaine indigence – et du raz-le-bol – d’une administration qui, en 2010, avait finalisé à un peine un quart des taux d’imposition sur le revenu des collectivités, la faute revenant autant aux retards des remises de déclaration qu’à la complexité des dossiers. Le taux moyen des impositions établies sur les cinq années d’imposition cumulées était au 31 décembre 2011 de 71,08 pour cent pour l’impôt sur le revenu, 71,15 pour l’impôt commercial communal, 87,75 pour l’impôt sur la fortune et 81,22 pour l’établissement en commun des revenus. Attention à la prescription.
On est déçu par l’absence d’indications sur l’évolution des cotes d’impôt des sociétés : on en reste aux données de 2010 montrant que 82,61 pour cent des collectivités échappaient à l’impôt sur le revenu, 89,12 à l’impôt commercial communal et 14,44 à l’impôt sur la fortune. Ce rapport évolue peu depuis cinq ans. Le bilan 2011 des contributions ne dit pas combien a rapporté le nouvel impôt forfaitaire minimum de 1 500 euros (1 575 euros en comptant la contribution au fonds pour l’emploi) frappant notamment les sociétés de participations financières (qui, par le jeu de la directive fille-mère ne paient pratiquement aucun impôt au grand-duché alors qu’elles brassent des flux financiers par milliards) et introduit l’année dernière pour mettre tout le monde à contribution face à la crise. 30 000 véhicules de ce type seraient concernés par la mesure. Ce n’est pas le montant forfaitaire de 1 575 euros multiplié par le nombre impressionnant de structures financières luxembourgeoises qui va en tout cas résoudre les problèmes d’endettement du pays.
On ne peut que déplorer l’absence de moyens à disposition de l’administration des contributions à calibrer plus justement l’imposition de certaines structures juridiques brassant des flux financiers colossaux dans de nombreux pays. De quoi brouiller les cartes des agents de l’ACD. Les contrôles sur place ne changent pas grand chose à la quête d’une imposition plus juste et équitable. Difficile en effet d’apprécier les opérations taxables des sociétés de participation financière au Luxembourg, et les contrôles sur place ne sont pas ici d’une « grande utilité » pour orienter les radars des fonctionnaires des contributions directes. L’imposition des bénéfices des sociétés de participation se fait sur base de standards internationaux de l’OCDE, qui ont été définis notamment pour les prix de transfert.
Le contentieux administratif montre d’ailleurs la difficulté qu’a l’ACD à taxer certains montages passant par une myriade de juridictions. Récemment, l’administration s’est fait envoyer sur les roses par le Tribunal administratif après un recours de la filiale luxembourgeoise d’un des géants mondiaux du béton contestant le calcul de l’impôt sur la fortune réclamé par le fisc luxembourgeois. L’utilisation, par exemple, d’une Sicav en Belgique, alors que ces structures sont frappées d’une taxe minimale sur leurs actifs, permet de profiter des dispositions d’exonération inscrites dans la directive mère-fille et, souvent, de réduire la base imposable à une peau de chagrin.
Il faudra bien un jour lever le tabou sur ce que rapportent exactement les sociétés de participations financières en termes d’emploi et de richesse nationale et déterminer où finalement ces structures, présentées comme totalement neutres du point de vue fiscal, paient l’impôt et quels en sont les montants.
En attendant l’impossible, les fonctionnaires de l’ACD vont devoir encore user de l’huile de coude pour faire rentrer des recettes supplémentaires et pousser davantage la portion de sociétés payant des impôts. Les recouvrements sont devenus plus efficaces depuis un an, grâce à une arme imparable que les préposés n’hésitent plus désormais à dégainer : la mise en cause de la responsabilité des gérants de société sur leurs deniers personnels en cas de non-paiement de l’impôt. Ça marche à presque tous les coups, bien que certains responsables de sociétés aient réussi, après saisine des juridictions administratives, à faire annuler certaines procédures les visant, l’administration ayant parfois des difficultés à apporter la preuve irréfutable d’une faute du gérant. Une note de service de la direction de l’ACD a encouragé l’année dernière les agents à aller titiller les gérants récalcitrants et la pression sur eux devrait encore monter d’un cran cette année. Les troupes sont donc plus que jamais motivées. Reste à les doter d’outils performants pour les aider à récupérer les impôts et en finir avec le « sous-équipement » de l’administration.