Luxemburgensia

« Agir d'abord et réfléchir ensuite »

d'Lëtzebuerger Land vom 17.02.2005

Treize ans après son analyse minutieuse du monde et du marché de l'art luxembourgeois (Le monde et le marché de l'art au Luxembourg, 1991), l'économiste et amateur d'art Henri Entringer publie un nouvel ouvrage dédié à l'art contemporain. Dix ans après l'ouverture du Casino Luxembourg (1995) et en vue de l'ouverture du Musée d'art moderne Grand-Duc Jean (mai 2006) et de l'année culturelle Luxembourg et Grande Région, capitale européenne de la culture (2007), il paraît utile de faire le point de la situation en matière d'art contemporain au Luxembourg. Le but est ambitieux: sensibiliser le public à l'art contemporain, et le pari n'est pas vraiment gagné. Car si on a l'impression que Henri Entringer essaie dans une première partie du livre de plaider en faveur de cet «art de pointe» en expliquant son origine, ses particularités et ses perspectives à moyens termes, le lecteur «non initié» peut rapidement avoir l'impression que cet art progressiste n'est autre qu'une grande farce. Voici par exemple, selon l'auteur, les raisons des changements d'attitude des autorités vis-à-vis de l'art contemporain (chapitre I,3, p. 54) : «D'abord, se prononcer en faveur de l'art contemporain confère une sorte de certificat de progressisme... L'art contemporain profite ensuite, d'un côté, de la peur des responsables des institutions de répéter les erreurs de jugement du passé et, de l'autre, de la culpabilité ou de la gêne de ceux qui pensent que leur incompréhension provient d'un manque d'éducation.» Traduit en langue des ploucs cela signifie que les gens promouvant l'art contemporain n'y comprennent rien du tout, mais par peur, honte et complexe d'infériorité (tous des sentiments négatifs!), ils le soutiennent et le déclarent comme art. Dans ces constatations, l'objet d'art en lui-même n'est nullement considéré. Si cette première partie est tout de même indispensable pour une «mise dans le bain», c'est surtout la deuxième qui attire l'intérêt du lecteur luxembourgeois. En effet, l'auteur nous y présente pour la première fois une analyse détaillée du monde et de l'évolution de l'art contemporain au Grand-Duché. Il analyse l'émergence de l'art «le plus pointu» au Luxembourg (Casino Luxembourg, Manifesta 2, participations aux Biennales de Venise) et l'intérêt des différents groupes sociaux (les amateurs d'art, le grand public, le milieu politique, la critique d'art). Le bilan est lourd : d'une minorité de gens s'intéressant à l'art en général, seulement une partie infime suit les manifestations d'art contemporain. Et, selon l'auteur, sans espoir d'y remédier malgré les efforts des galeries et centres d'art. À côté du ton (probablement involontairement) négatif vis-à-vis de toute initiative en matière d'art contemporain («Dans les pages précédentes nous avons montré qu'il est tout à fait irréaliste de vouloir convertir de peuple à l'amour de l'art en général et de l'art contemporain en particulier.» p. 153), Henri Entringer, se révèle comme visionnaire en prédisant que (p. 111) «Dans quelques années, trois institutions de l'art proposeront à Luxembourg-Ville leurs programmes : le Musée national d'histoire et d'art (MNHA) en ce qui concerne principalement l'art ancien et l'art moderne ; le Casino Luxembourg - Forum d'art contemporain en matière de création plastique de pointe ; et, dès mai 2006, le Musée d'art moderne Grand-Duc Jean (Mudam) pour ce qui est de l'art à partir des années 1980.» La Villa Vauban semble donc déjà oubliée, même si elle n'a fermé ses portes qu'après la rédaction de ce livre. Bien que le livre ne réussisse pas à améliorer l'image de l'art contemporain - bien au contraire - il faut tout de même relever les mérites du travail de Henri Entringer. Premièrement il est très informatif quant aux statistiques relatives aux institutions culturelles (nombres de visiteurs, coûts des expositions, budget disponible) et donne des informations ponctuelles sur les artistes luxembourgeois travaillant dans «l'art de pointe». Deuxièmement il contient en annexe un résumé succinct (libre de toute polémique) des différents projets et difficultés rencontrées dans la réalisation du Musée d'art moderne Grand-Duc Jean. Et, en dernier lieu, le livre étudie pour la première fois de façon méthodique la situation de l'art contemporain dans la réalité luxembourgeoise (petitesse, part élevée de la population étrangère, «consensualisme» généralisé..., p. 104). La publication s'adresse à tous les amateurs d'art et les curieux, favorables ou non à l'art contemporain. Beaucoup trouveront leurs doutes et leur scepticisme confirmés, et peu verront l'avenir de l'art de pointe au Luxembourg d'un oeil plus favorable qu'avant. Mais quoi qu'il en soit, une chose est certaine (p. 109) : «cela n'empêchera pas les plus hautes autorités de l'État, les forces vives de la nation et le Tout-Luxembourg de fêter avec éclat l'ouverture du Musée d'art moderne Grand-Duc Jean dont les activités seront sans doute programmées à la plus grande gloire de l'art contemporain.»

(Le titre de cet article est une citation du livre, p. 140.) - Henri Entringer, Art contemporain et société postmoderne, Tendances internationales - Situation au Luxembourg, Publication de l'Institut Grand-Ducal, Luxembourg, 2004, ISBN 2-9599794-0-2, 190 pages, 20 euros.

 

Linda Eischen
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