Le Collectif réfugiés et la Commission consultative des droits de l'homme sont en train de fignoler leurs avis respectifs sur le projet de loi fraîchement publié. Un mois après la conférence de presse de présentation des grandes lignes de la réforme du droit d'asile, le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration, Jean Asselborn (LSAP) vient de déposer, le 27 janvier dernier - premier jour de la réunion informelle, au Kirchberg, des ministres de la Justice et des Affaires intérieures consacré à la politique européenne d'asile -, le projet de loi N°5437, «relatif au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection». Ayant le même objectif principal que le projet de loi 5330 déposé l'année dernière par le ministre de la Justice, alors responsable du ressort, Luc Frieden (CSV), à savoir celui d'accélérer les procédures de traitement d'une demande d'asile, le nouveau projet de loi intègre toutefois un certain nombre de revendications des ONGs formulées dans leurs analyses du projet Frieden, notamment en attribuant certains droits aux demandeurs d'asile. Il est évident que le Luxembourg veut, alors qu'il préside le Conseil des ministres de l'Union européenne, se montrer exemplaire en matière de protection des demandeurs d'asile et transpose dans le projet de loi quatre directives européennes adoptées suite au Conseil européen de Tampere, en octobre 1999. Ces directives instituent des normes minimales pour l'octroi d'une protection temporaire et uniformise les conditions d'accès. À Tampere avait été forgé le terme d'asylum shopping ou tourisme des demandeurs d'asile d'un pays européen à l'autre, à la recherche des meilleures conditions. Des normes minimales uniformisées sur tout le territoire de l'UE et la procédure de Dublin, obligeant les demandeurs d'introduire leur demande d'asile dans le premier pays par lequel ils arrivent en Europe (et permettant de les expulser vers ce pays), doivent contribuer à contrôler ces migrations intra-européennes. Depuis quelques années, alors que le nombre de nouvelles demandes d'asile diminue partout en Europe, le Luxembourg constate au contraire une croissance continue. En 2004, 1 346 nouveaux dossiers ont ainsi été déposées ; 521 de ces dossiers de demandes ont été réexpédiées dans le premier pays d'accueil. «Le gouvernement estime qu'il est impératif, dans le respect du droit international et du droit communautaire, de réduire la durée de la procédure d'asile, note le projet de loi dans son exposé des motifs (p. 25). En effet, l'instruction d'une demande d'asile prend à l'heure actuelle environ deux ans. Ce délai, qui peut même atteindre trois à quatre ans dans certains cas extrêmes, est beaucoup trop long.» Conscient du fait que ces lenteurs sont souvent dues à son administration, le gouvernement CSV-LSAP a ainsi décidé d'augmenter les effectifs du ministère en charge de la demande d'asile de seize personnes dans un premier temps et de régulariser les familles avec enfants scolarisés au post-primaire arrivés avant le 1er août 2001. Alors que le projet de loi de Luc Frieden abolissait un certain nombre de droits et de recours pour accélérer les procédures et laissait beaucoup de largesse d'interprétation et de jugement au ministre, le projet de Jean Asselborn et Nicolas Schmit revient aux principes du droit, fixe exhaustivement les conditions d'accès aux différents statuts et les raisons de non-recevabilité ou de refus d'une demande. Le projet de loi accorde plus de droits aux demandeurs d'asile ou de protection temporaire, mais les lie à chaque fois à des obligations - notamment celle de jouer un rôle plus actif durant toute la procédure -, et des sanctions en cas de non-respect de ces règles. Beaucoup de ces droits toutefois, comme l'accès à l'aide sociale ou à la formation professionnelle durant la procédure, restent à fixer par règlement grand-ducal, ce qui n'augure rien de bon. On sait de l'expérience de l'actuelle loi, entrée en vigueur en 1996, que l'élaboration de ces textes d'application ont tendance à traîner une éternité. À côté du statut de réfugié selon la convention de Genève, le projet de loi introduit enfin la protection subsidiaire et un statut de protection temporaire en cas d'afflux massif de demandeurs en provenance d'une région en crise - revendiqué au Luxembourg par les ONGs depuis l'expérience de l'arrivée en nombre de demandeurs d'asile du Monténégro, en 1998-1999, durant la guerre du Kosovo -, qui ouvrent sur des droits équivalents, mais pour une durée limitée. Le projet de loi oblige le demandeur de résider au Luxembourg. Une première analyse du dossier portera sur le bien-fondé de la demande ; treize conditions, comme le pays d'origine sûr, l'utilisation de faux papiers, l'entrée illégale, le fait de constituer un danger pour l'ordre public ou la sécurité nationale ou encore le refus du demandeur de donner ses empreintes digitales permettent au ministre de l'exclure de suite de la procédure. Cette première décision doit intervenir au plus tard après deux mois, une réponse négative équivaut à un ordre de quitter le territoire, i.e. une expulsion. Durant le restant de la procédure, le demandeur a le droit de se faire assister par un interprète et un avocat. Une des nouveautés du projet de loi est la clause linguistique : à tout moment de la procédure, le demandeur est informé de ses droits et de l'état d'avancement de son dossier, souvent par écrit, mais toujours dans «une langue dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend». Depuis deux ou trois ans, les profils des demandeurs d'asile se sont en effet diversifiés : après les cas typiques de la famille avec enfants en provenance de Yougoslavie, les dossiers de demandes sont devenus de plus en plus complexes, de plus en plus de demandeurs célibataires sont originaires d'Afrique, avec de multiples origines ethniques et linguistiques. La suspicion plus ou moins affichée planant sur tous ces nouveaux demandeurs - tous trafiquants de drogues ? - n'est pas pour décrisper la situation à ce stade. Ainsi, l'article 8 du projet de loi confère à la Police judiciaire la mission de procéder «à toute vérification nécessaire à l'établissement de l'identité et de l'itinéraire de voyage du demandeur. [Elle] procède à une audition du demandeur. [Elle] peut procéder à une fouille corporelle du demandeur et une fouille de ses affaires. [Elle] peut retenir, contre récépissé, tout objet utile à l'enquête. [Elle] procède à la prise d'empreintes digitales du demandeur ainsi qu'à la prise de photographies et dresse un rapport.» Les entretiens par les services du ministère de l'Immigration pour approfondir l'analyse de la situation du demandeur doivent être menés par une «personne suffisamment compétente pour tenir compte de la situation personnelle ou générale dans laquelle s'inscrit la demande, notamment l'origine culturelle ou la vulnérabilité du demandeur» (art. 9.6.). Le ministre peut décider de placer un demandeur qui se trouve en situation irrégulière dans une «structure fermée» - le gouvernement a décidé l'instauration d'un tel centre de rétention qui ne sera plus la prison de Schrassig, mais dont on ne sait rien de plus jusqu'à maintenant -, pour une durée maximale de trois mois, qui peut être prolongée jusqu'à six mois maximum. Ce placement en centre fermé doit éviter que le demandeur se cache ou quitte le territoire avant son expulsion soit vers son pays d'origine, soit vers son pays d'entrée dans l'UE. Le projet de loi promet un droit de visite aux membres et aux représentants du Haut commissariat aux réfugiés de l'Onu - ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui. Un représentant du UNHCR fera également partie de la commission consultative pour la protection internationale, aux côtés d'un magistrat (qui la présidera) et d'un représentant du Commissariat du gouvernement aux étrangers. Cette commission donnera son avis sur tout projet législatif ou réglementaire dans le domaine, mais pourra aussi être saisie de dossiers individuels. Bien que le texte des ministres Asselborn et Schmit veuille se montrer humaniste et des plus respectueux des grands principes internationaux et des règles de droit, il est en même temps très suspicieux, truffé de restrictions et de garanties contres les abus. Ainsi, en ce qui concerne l'accès au marché du travail durant la procédure de demande, une revendication de longue date des ONGs, l'article 14 du projet de loi les en exclut expressément : «Les demandeurs n'ont pas accès au marché de l'emploi pendant la durée d'un an après le dépôt de leur demande de protection internationale. Toute demande de permis de travail présentée par un demandeur est irrecevable.» Une fois ce délai d'un an dépassé, sans que la cause de ce délai excessif ne soit imputable au demandeur - donc si les services du ministère ont dépassé le délai de traitement du dossier jugé raisonnable -, «une autorisation d'occupation temporaire pour une période de six mois renouvelable» peut être délivré, «pour un employeur déterminé et pour une sorte de profession». Ce qui serait déjà une avancée considérable, sauf… que le point 3 de l'article introduit une nouvelle restriction à cette ouverture : «L'octroi et le renouvellement de l'autorisation d'occupation temporaire peuvent être refusés pour des raisons inhérentes à la situation, à l'évolution et à l'organisation du marché de l'emploi.» Donc si le chômage est jugé trop élevé au Luxembourg, ce sera tant pis pour les droits des demandeurs d'asile. Ainsi, ce projet de loi est un exercice d'équilibriste permanent. Voulant répondre en même temps aux revendications des organisations internationales et ONGs nationales des droits de l'homme et souscrire aux principes de l'Union européenne, le gouvernement se garde toute une panoplie de moyens d'interprétation des grands principes de base (règlements grands-ducaux, clauses restrictives...). Car même dans une Europe dont les politiques d'asile sont en voie d'uniformisation, les États ne veulent en aucun cas se départir de leur droit de contrôler les flux migratoires, jugé comme relevant de la souveraineté nationale.
josée hansen
Catégories: Refugies et immigration
Édition: 23.12.2004