Luxembourg manque de place pour les artistes, en l’occurrence d’ateliers de travail dignes de ce nom. Les artistes locaux le revendiquent haut et fort déjà depuis plusieurs années, en connivence avec les acteurs culturels du pays. Une première action concrète et politique avait été engagée par la Ville de Luxembourg, en mettant à disposition l’atelier Schläifmillen (ancienne société de manufacture de draperies et de tricots), autogéré par une association d’une quinzaine d’artistes, situé sur le circuit Godchaux. Cependant, la Schläifmillen est aujourd’hui très décriée dans le monde de l’art, car elle ne reflète aucun dynamisme, abrite les mêmes artistes depuis plusieurs années, ne laissant aucune place au renouvellement et, ne montrant que très peu les fruits du travail de la grande majorité des artistes qui bénéficient d’un atelier, ce qui contribue à sa triste mais réaliste appellation de « Schlofmillen ». Comment a-t-on pu arriver à cet échec et pourquoi n’y a-t-il aucun débat public sur ce problème de gestion ?
D’autre part, à Esch-sur-Alzette, la Kulturfabrik, dont une des fonctions était d’offrir quelques ateliers d’artistes, s’est complètement reconvertie avec le temps en studios pour musiciens. La situation post-Luxembourg 2007, a montré un certain désinvestissement de la politique culturelle sur le sujet et peu de dialogue constructif avec les artistes, les baisses de financement ont été cristallisées par la crise financière. Ailleurs, les institutions culturelles n’ont pas non plus d’espaces de travail pour les artistes. Or, et c’est une réalité, les artistes ne font pas semblant et au vu des loyers onéreux sur la place, ont véritablement besoin d’espaces à bas prix sans pour autant devoir aller s’exiler en ermite au plus profond de la campagne luxembourgeoise ou à l’étranger. La nature de l’art d’aujourd’hui prend toutes les formes et dimensions et il ne suffit plus de peindre de petits tableaux dans sa chambre. Si la société veut s’offrir (et par là même aux yeux du monde) de l’art de qualité, il faut donner la chance aux artistes de créer dans des conditions idéales.
En conséquence de nouvelles initiatives germent aujourd’hui. La nouvelle association Specksteen. composée de Christian Frantzen, Anne Reding, Sanja Weber, dont deux sont artistes, vient de soumettre une demande de création d’ateliers d’artistes à l’Administration communale de la Ville de Luxembourg et à l’échevine de la Culture Lydie Polfer (DP). « Très peu d’artistes au Luxembourg ont un atelier, ils doivent l’aménager dans leur chambre ou la cave des parents, et cela reste malheureusement souvent des solutions provisoires. Il manque aujourd’hui plus d’une trentaine d’ateliers à Luxembourg ; la commune et le ministère de la Culture sont déjà conscients de ce besoin, » déclare Christian Frantzen. L’initiative est soutenue par la scène artistique, du Mudam au Casino Luxembourg, du CarréRotondes à l’Aica Luxembourg, en passant par la galerie Nosbaum-Reding, qui ont tous rédigé des lettres de soutiens. Car, bien sûr, outre la nécessité d’espaces de travail, c’est aussi un nouvel organe de la création qui est attendu et qui viendrait dynamiser la scène culturelle. Des ateliers d’artistes représentent un observatoire, un lieu de rendez-vous professionnel national et international, un endroit de prospection et de découverte de nouveaux artistes, d’émulation intellectuelle et critique, un tremplin vers de futures collaborations et expositions, une possibilité de présenter les travaux de la création locale sur place, un atout évident pour les institutions et idéalement un espace d’exposition au coeur de la création.
Le projet serait géré avec responsabilité et professionnalisme dans un bâtiment de la Ville de Luxembourg avec l’équipement technique nécessaire, des infrastructures permettant le stockage d’outils et d’oeuvres, des appels à dossiers d’artistes actifs, une évaluation des besoins et une sélection des dossiers par un comité de professionnels de l’art (commissaires, critiques d’art, directeurs d’institutions). « Les artistes sélectionnés doivent être actifs ; il est envisageable de faire un jury externe, ensemble avec un représentant communal, cela évitera le copinage ». Une petite contribution des artistes sélectionnés au loyer de cohabitation sera demandée.
Un tel projet n’existe actuellement ni sur le territoire de la Ville de Luxembourg, ni dans le pays. Une restructuration d’une friche industrielle, comme les anciens abattoirs (Schluechthaus), porte de Hollerich, serait idéale ; ils sont partiellement désaffectés (excepté une petite partie pour le skate park et le service canin de la Ville de Luxembourg) et ont une bonne situation géographique, pouvant accueillir une trentaine d’ateliers. « Le site est idéal, les espaces sont au rez-de-chaussée, ce qui est pratique pour le déplacement des oeuvres ; nous avons besoin d’électricité, de l’eau, de sanitaires et de chauffage, » ajoute Anne Reding.
D’autre part, au sud du pays, à Differdange, ville au passé industriel et aux problèmes de cohésion sociale, l’idée est déjà adoptée et a directement émanée de Tania Brugnoni, du service culturel de la commune : « Un appel à dossiers a été publié pour la location d’une quinzaine d’ateliers à loyers modérés (de 150 à 300 euros par mois) pour jeunes artistes toutes disciplines confondues (peinture, sculpture, art du cirque, théâtre, etc.) avec système de bail d’un an renouvelable en fonction de l’activité de l’artiste ». Ce projet provisoire s’inscrit dans une durée d’environ dix ans et est financé à hauteur de 200 000 euros par la commune. Les ateliers s’intègrent dans des locaux abandonnés et greniers de maisons privées et appartements ensuite réaménagés en habitats. Une fois par an, une porte ouverte des ateliers sera organisée pour favoriser les échanges et montrer le travail réalisé. Ce projet, même temporaire, profite d’une occasion d’occupation d’espaces vacants et inutilisés, en synergie avec les locataires et témoigne du dynamisme de la ville du sud et son attrait pour la culture.
Aujourd’hui en Europe, les villes importantes ont leurs ateliers d’artistes: Gebäude 9 à Cologne, Zone d’art à Strasbourg, les ateliers Mommen à Bruxelles, Les Frigos à Paris, Die Rote Fabrik à Zürich, Alte Feuerwache à Mannheim, Haus Bethanien à Berlin, Ateliers de Bataville en Lorraine, La friche belle de Mai à Marseille. La crise financière a d’une certaine manière sonné le glas de l’ère du tout-capital. Nous avons beaucoup investi dans les domaines financiers par le passé. Qu’est-ce que les coûts financiers de projets culturels représentent à côté ? Mais aussi, pourquoi laisser des espaces désaffectés inutilement, alors qu’il y a un besoin ? Une liste de ces lieux serait utile pour les réhabiliter et les rentabiliser sur des durées mêmes temporaires. Relativisons avec un meilleur partage du Trésor, misons sur de nouvelles économies, profitons de ces temps difficiles pour développer d’autres pôles, renouvelons l’image du pays, fraîche et contemporaine, à l’image de notre époque, et en l’occurrence ceux de notre richesse culturelle. C’est le moment d’ouvrir des portes, d’innover et de faire de la place aux artistes.