Un dépôt monétaire de 141 pièces d’or du 4e siècle a été mis à jour dans un site gallo-romain à Holzthum (Parc Hosingen). Une découverte extraordinaire, des fouilles de quatre ans et une réaction ministérielle ambiguë

Histoire en or massif

d'Lëtzebuerger Land vom 06.12.2024

Le terme de « trésor » figure dans l’intitulé du communiqué du ministère de la Culture. Les scientifiques préfèrent parler de « dépôt monétaire », qui exprime le geste, l’intention, plutôt que la finalité clinquante. Cette trouvaille est assurément une rareté. On ne compte pas plus d’une dizaine d’exemples comparables issus de l’Antiquité européenne. De surcroît, les 141 solidi en or massif sont à « fleur de coin ». C’est-à-dire qu’ils sont comme neufs. On y voit même trois rares émissions de l’empereur Eugenius, un usurpateur qui n’a régné que deux ans (392-394). Il n’en existe que très peu dans le monde et désormais les deux plus belles proviennent très certainement de Holzthum.

Le travail de l’Institut national des recherches archéologiques (INRA) a été réalisé avec minutie, pendant plusieurs années, en prenant en compte l’environnement immédiat du site de découverte, riche en informations pour la compréhension historique. Un travail qui mériterait d’être mis en avant avec les formes, sans empressement et avec les termes scientifiques adéquats.

La découverte a pourtant été révélée lundi dernier à travers une réponse sans relief du ministre de la Culture Éric Thill (DP) à une question parlementaire du député pirate Marc Goergen. Ladite missive a été à peine complétée dans un communiqué de presse succinct. Le texte signé du ministre ne fait intervenir aucun scientifique pour appuyer ses propos. L’INRA n’est cité que dans la première phrase. Le document précise très exactement la valeur monétaire de l’ensemble (308 600 euros), mais passe rapidement sur la valeur scientifique d’une telle découverte. Comble de malchance, ce jour-là, le service Communication du ministère n’était pas opérationnel pour répondre à nos questions. Comme si à l’Hôtel des Terres rouges, cette communication (pourtant largement prévisible) avait été bricolée dans la précipitation, sans anticiper que ce sujet puisse intéresser le grand public. On serait presque tenté d’y voir un mépris pour l’archéologie.

Cette histoire formidable existe pourtant grâce à l’engagement de longue date des archéologues du pays et d’une communauté d’amateurs experts, formés par eux, qui les entourent. Au sein du Centre national de la recherche archéologique, prédécesseur de l’INRA, Jean Krier et André Schoellen ont enseigné les bases de la prospection (à vue) et de la détection (avec un détecteur de métaux) à des bénévoles enthousiastes. Car, prospecter dans les champs, avec ou sans matériel de détection, n’est autorisé qu’après avoir suivi une formation de huit heures (portant sur la juridiction, la détermination, le géoréférencement, les dangers causés par les munitions et obus…) et avec les autorisations expresses du ministère de la Culture (via l’INRA) et de tous propriétaires des terrains parcourus. On ne badine pas avec les vestiges matériels laissés par nos prédécesseurs. Ces amateurs éclairés mettent leur passion pour l’histoire au service de la connaissance scientifique dans les règles de l’art. Les « inventeurs » (le mot qui désigne ceux qui découvrent un site ou un objet) à l’œuvre à Holztum sont de ceux-là.

Glorieux pipi

Permis en poche en ce samedi ensoleillé de la fin 2019, deux amis, Cliff Nosbusch et Jos Muller, sillonnent les champs le long de la E421, cette artère très fréquentée qui traverse le pays du nord au sud. Ils prospectent ensemble depuis 2016, mais cela fait 25 ans qu’ils pratiquent chacun de leur côté. « J’ai commencé avec mon instituteur en 5e et 6e primaire, à Putscheid, se souvient Cliff Nosbusch. C’est inimaginable aujoud’hui, mais il nous a ouvert les yeux sur tout ce que l’on peut trouver dans les champs. Il y a même un petit musée avec ce que les élèves ont découvert : des haches polies, des silex… »

Les deux amis ne sont pas là par hasard. Ils savent qu’une voie romaine suit la ligne de crête du talweg où se trouve la route actuelle. Les tracés romains inspirent souvent les itinéraires passants d’aujourd’hui. Qui plus est, en observant des photos satellites, les deux hommes avaient déjà noté la présence possible d’une substructure ancienne dans le champ. Les images laissent entrapercevoir des fondations de murs sous les cultures. Ce n’est pas une garantie de réussite, mais enfin, l’endroit semble intéressant.

Ce jour-là, les deux hommes sont à pied, sans appareil de détection, mais ils ont l’œil affuté. Expérimentés, Cliff et Jos savent parfaitement reconnaître des vestiges préhistoriques, gallo-romains ou médiévaux. « J’avais déposé mon fils au chalet des scouts, qui se trouve tout près, se souvient Cliff Nosbusch. Nous avions deux heures pour prospecter. Nous pensions trouver de la céramique romaine ou d’autres vestiges, mais il n’y avait pas grand-chose et on n’en avait un peu marre, sourit-il aujourd’hui. Avant de partir, Jos s’est mis un peu à l’écart pour faire pipi et c’est là qu’il a vu une pièce briller par terre. Au début, il a cru que c’en était une de cinquante centimes, mais quand il l’a ramassée, c’était incroyable… Trouver une monnaie, déjà, c’est rare, mais en or, c’était la première ! On n’arrivait pas à le croire, on se demandait si c’était bien réel. Nos sensations à ce moment-là sont difficiles à décrire, mais nous n’oublierons jamais ce souvenir de toute notre vie. »

La pièce est effectivement en or, c’est un solidus romain. Scrutant méthodiquement les alentours, ils en trouvent d’autres : « c’était incroyable, sans détecteur et sans creuser, nous en avons ramassé 38 à la surface. » Elles gisaient-là, sur quelques mètres carrés, comme dispersées par un coup de charrue. Cliff et Jos relèvent les coordonnées GPS et, sagement, ils en restent là.

Deux jours plus tard, ils contactent André Schoellen au CNRA. « Ils ont été formidables, reconnaît Foni Le Brun, directeur de l’INRA. Leur excitation devait être immense, mais ils ne sont pas partis à la chasse au trésor. Grâce à leur rigueur scientifique et leur honnêteté, nous avons pu mettre en place un chantier de fouilles qui a été ouvert sur plusieurs campagnes entre 2020 et 2024. Le site a pu être fouillé très finement et nous avons récolté beaucoup d’informations qui vont permettre de répondre à de nombreuses questions. »

Bien sûr, compte tenu du caractère précieux de ces vestiges, le site archéologique est hors norme : On n’a même jamais fouillé rien de tel au Luxembourg. Mais Foni Le Brun explique que les méthodes de fouilles ont été similaires à celles de n’importe quel autre chantier. « Nous ne nous intéressons pas à ces pièces parce qu’elles valent cher, mais parce qu’elles nous apprennent beaucoup de choses. Notre priorité ne change pas : elle est toujours la meilleure compréhension du notre passé. »

Amadouer les tribus locales

Une difficulté, toutefois, a imposé des mesures particulières : la présence de munitions et d’obus, reliques d’une Bataille des Ardennes singulièrement féroce ici. Le terrain en était truffé et le Service de déminage de l’Armée luxembourgeoise a étroitement collaboré aux travaux, garantissant la sécurité des fouilleurs.

La maîtrise de la communication autour du chantier était une autre clé du succès de l’opération. Le propriétaire du terrain a été mis au courant pour assurer le volet juridique, et le plus grand secret a été demandé pour éviter le pillage. Un secret qui a tenu jusqu’à la question parlementaire de Marc Goergen.

La propriété de ces objets est définie par la loi de 2022 relative au patrimoine archéologique. Un accord a été trouvé entre les inventeurs, le propriétaire du terrain et l’État. Les solidi trouvés lors de la prospection appartiennent pour moitié au propriétaire et pour moitié aux inventeurs. Celles qui ont été trouvées lors des fouilles reviennent uniquement au propriétaire. La valeur totale des 141 pièces découvertes entre 2019 et 2024, du premier jour de la prospection à la clôture des fouilles, a été estimée à 308 600 euros par un expert choisi à l’étranger afin que sa probité ne soit pas remise en question. L’État a acheté l’intégralité de la collection.

Les pièces forment un ensemble assez homogène frappé à l’effigie de neuf empereurs romains ayant régné entre 364 et 408 après J.-C, de Valens (328-378) à Honorius (384-423). Elles proviennent d’ateliers situés dans tout l’empire, jusqu’à Antioche, à la frontière de la Turquie et de la Syrie. Leur présence à cet endroit pose de nombreuses questions. Rien n’est encore certain puisque l’étude post-fouilles est en cours. Mais un scénario est avancé : « L’opération a confirmé la présence d’un burgus, c’est-à-dire un petit fort. Il était protégé par trois fossés dont l’existence a également été vérifiée par des prospections géophysiques. Nous nous situons à la frontière de l’Empire romain, à une époque troublée. On peut imaginer que cette somme trop importante pour être la solde des militaires était plutôt destinée à amadouer les tribus locales afin de les convaincre de rester tranquilles », avance Foni Le Brun.

Depuis la découverte des monnaies, les deux prospecteurs n’ont pas eu beaucoup l’occasion de parcourir les champs de l’Oesling, mais ils ne s’en plaignent pas. « Nous avons pu accompagner les fouilles et rencontrer beaucoup d’archéologues : c’était passionnant ! Aujourd’hui, je crois que nous pouvons visiter tous les chantiers du pays parce que nous connaitrons toujours quelqu’un sur place. Grâce à ces pièces, les archéologues nous prennent au sérieux, c’est très gratifiant. »

Cliff et Jos ont également créé une association, les Eisleker Geschichtsfuerscher (egf.world) qui réunit des prospecteurs et des passionnés d’histoire locale. L’asbl s’est donnée pour mission de conserver les traces du passé afin de les transmettre aux générations futures. Avec le bénéfice qu’il a tiré des monnaies romaines, Cliff a même racheté les collections de pierres taillées et de pièces d’un ancien ami détectoriste sur le point de décéder. « Sa famille voulait les vendre, mais je ne voulais pas qu’elles partent à droite et à gauche. Si quelqu’un veut les étudier, elles sont toujours ensemble et classées puisqu’il a eu le temps de m’expliquer d’où elles provenaient. »

Jusqu’au bout, cette découverte est une belle histoire.

Erwan Nonet
© 2025 d’Lëtzebuerger Land