Les députés socialistes Lydie Err et Marc Angel avaient ouvert le bal en déposant une proposition de loi en mars 2009, qui fut même avisée par le Conseil d’État l’année dernière. Celui-ci avait recommandé au gouvernement de reprendre sur le métier la loi sur la coopération au développement datant de 1996. La ministre de tutelle, Marie-Josée Jacobs (CSV) a suivi cette consigne et a déposé la semaine dernière un projet de loi qui reprend une partie des idées émises dans la proposition de loi des députés socialistes. La bonne entente au sein de la coalition ne risquera donc pas de s’effriter, en tout cas pas dans ce domaine-là, comme le programme gouvernemental de 2009 avait de toute manière prévu une refonte.
La ministre s’engage formellement à présenter à la Chambre des députés un rapport annuel sur le fonctionnement et les activités du Fonds de la coopération au développement – le principal outil financier de l’aide publique au développement – avec un « décompte spécifiant toutes les recettes et l’attribution des dépenses par pays et par grands types d’intervention sectorielle », est-il précisé à l’article 6 du projet de loi. Plus loin, il est prévu que « le rapport et le décompte sont soumis à la Chambre des députés avec les observations éventuelles de la Chambre des Comptes. » Les rédacteurs du texte ont sans doute voulu désigner la Cour des comptes, dont les moyens de vérification ne sont cependant pas assez étoffés pour permettre des contrôles systématiques sur place.
Toujours est-il qu’il s’agit de la bonne gestion d’un budget de quelque 300 millions d’euros par an, dont 85 pour cent sont gérés par le ministère de la Coopération, le reste étant réparti entre les ministères des Finances, de la Culture et de la Santé. En 2010, cette aide a atteint 1,04 pour cent du Produit national brut – cette augmentation est surtout due à la diminution du PNB l’année dernière. « Ce qui est important, c’est que le montant soit resté stable, explique Marie-Josée Jacobs dans un entretien accordé au Land. Le Luxembourg a été un des rares pays à ne pas avoir réduit la somme allouée à la coopération, alors que d’autres ont opéré des coupes massives dans leurs budgets. Comment voulez-vous, en tant que partenaire, planifier le long terme si vous risquez de perdre des fonds ? » Et d’ajouter que le problème de la corruption est un sujet qu’elle prend au sérieux : « Du moment que le gouvernement est tenu à justifier ses dépenses devant le parlement, il est obligé de contrôler si l’argent investi dans les programmes a effectivement atteint les personnes ciblées. »
C’est une question de bonne gouvernance de ces fonds publics donc, qui se pose de manière flagrante avec les soulèvements massifs des populations des pays arabes. Pendant des années, le gouvernement a par exemple financé prioritairement d’importants projets en Tunisie, comme ce pays faisait longtemps partie des pays cibles de l’aide luxembourgeoise. S’est-t-il pour autant rendu coupable de complicité à l’égard du despote Ben Ali qui s’est enrichi de manière indécente sur le dos de son peuple ? « La politique de développement fait partie de la politique étrangère, admet la ministre. L’année dernière au Niger, lorsque le président Tandja a décidé qu’il allait suspendre la constitution, la Commission européenne a répondu qu’elle allait geler ses aides pour le pays. Nous avons terminé les constructions en cours et continué à financer l’aide humanitaire réalisée par des ONG lors des inondations et la période de sécheresse, mais nous n’avons plus lancé de nouveaux projets. Deux questions se posent ici : d’abord, celle de savoir si le président a réellement été affecté par cette décision. Je pense que cela l’a laissé indifférent. Ensuite, celle de savoir qui a été le plus touché par ce gel de l’aide. Ce sont les populations les plus pauvres qui doivent en pâtir. Si nous devions travailler exclusivement avec les gouvernements ‘nets’, croyez-moi, nous ne serions pas présents dans beaucoup de pays. »
Un moyen pour remédier au problème est l’introduction de l’aide budgétaire « sectorielle ». Or, l’ancien ministre de la Coopération, Jean-Louis Schiltz (CSV) avait toujours refusé l’aide budgétaire, rejetant l’idée de simplement faire couler l’aide au développement dans les budgets nationaux des pays bénéficiaires (il avait d’ailleurs été un des seuls représentants au sein de l’Union européens à ne pas croire en l’efficacité de ce système – sans doute trop facile pour être vrai). C’est pourquoi Marie-Josée Jacobs a opté sur un système intermédiaire : l’aide budgétaire par secteur. C’est chose faite au Cap Vert, où 2,5 millions d’euros sont affectés à l’éducation et à la formation professionnelle – le Luxembourg s’est joint aux Pays-Bas, au Portugal et à la Banque mondiale.
Sur ce point, la ministre est en train d’innover avec le lancement de la « coopération trilatérale », où un troisième pays est impliqué dans un PIC, un programme indicatif de coopération. L’année dernière, un nouveau PIC avec le Cap Vert a été signé couvrant la période 2011 à 2015, avec soixante millions d’euros. Les îles de Sao Tomé et Principe seront intégrées dans ce nouveau programme, car beaucoup de Capverdiens y sont occupés dans l’industrie du cacao. Des projets d’assainissement de l’eau seront donc financés via le PIC convenu avec le Cap Vert.
Un autre exemple relevé par la ministre concerne des projets réalisés au nord du Mali. L’idée est de former des Tunisiens – dès que la situation s’est stabilisée dans le pays – qui pourraient mener des projets dans la région malienne. « De par leur know how et leur proximité culturelle et religieuse avec les Maliens, ces agents ne seront pas aussi exposés au risque d’une attaque terroriste d’Al-Qaida que le sont les coopérants originaires d’Europe, » explique la ministre. Deux pays pourraient donc bénéficier de cette approche : la Tunisie et le Mali.
Pour l’instant, Marie-Josée Jacobs ne souhaite pas développer davantage la question des pays partenaires (les anciens pays-cibles de la coopération luxembourgeoise). Car, selon le directeur de la Coopération, Marc Bichler, l’approche régionale permet de couvrir d’autres pays – par exemple en Afrique de l’Ouest –, sans pour autant devoir désigner d’autres pays partenaires officiels et élaborer des PIC. Par contre, le Luxembourg s’apprête à quitter peu à peu le Vietnam et le Cap Vert. Au ministère de l’Économie d’en exploiter ensuite les réseaux créés par la coopération pour y développer un business conventionnel.
En ce qui concerne les objectifs de la coopération au développement, le projet de loi reste concis : il s’agit prioritairement d’éradiquer la pauvreté à terme. Une définition inspirée par le traité de Lisbonne et qui, comme le précise le commentaire des articles « a le mérite d’être limpide et claire, et d’encapsuler parfaitement l’esprit et la démarche de la coopération au développement luxembourgeoise ».
Une attention particulière est réservée au développement de la microfinance – même si l’image de ce procédé miracle a pris des égratignures, par la révélation de dysfonctionnements en Inde. « Est-ce qu’il est normal que des millions de personnes n’aient pas accès aux services d’une banque ? demande Marie-Josée Jacobs. La microfinance n’est qu’une pièce de tout une gamme de mesures qui permet d’éradiquer la faim et le risque en est le manque de réglementation et de contrôle, comme cela a été le cas en Inde, où des prêts ont servi à acquérir des biens de consommation, ce qui a entrainé le surendettement. En fait, c’est un phénomène que nous connaissons aussi bien dans notre pays. » L’enjeu financier est énorme par rapport aux 300 millions d’euros inscrits au budget public : au Luxembourg, une trentaine d’institutions gère des avoirs d’une somme de deux milliards d’euros. Ce sont des fonds spécialisés dans la microfinance destinés aux pays de l’hémisphère sud.
L’analyse de l’impact des autres politiques luxembourgeoises et communautaires – la cohérence des politiques – sur le développement des pays pauvres est confiée au comité interministériel pour la coopération au développement. Un point important concerne par exemple la politique agraire des pays de l’Union européenne. Les discussions sur les biocarburants illustrent bien les difficultés en la matière.
D’autre part, la ministre compte développer davantage la dimension du genre et continuer à encourager la professionnalisation des ONG, même si elle préfère ne pas suivre le Conseil d’État qui voudrait que les accords-cadres avec les ONG soient fixés par voie réglementaire. Le système de donation global sera abrogé et la période de l’agrément accordé aux organisations sera relevée à deux ans.
Finalement, le champ d’application de la loi sera aussi élargi aux actions humanitaires.
Enfin, la loi de 1996 ne subira que quelques adaptations ponctuelles, car, comme l’atteste la ministre, l’ancien secrétaire d’État à la Coopération, Georges Wohlfart (LSAP), « avait à l’époque fait du bon travail ».