Les associations d’aide aux victimes demandent une grande loi pour lutter contre les violences fondées sur le genre

Agir pour ne plus subir

d'Lëtzebuerger Land vom 06.12.2024

L’actualité récente, marquée par des procès pour viols, par des féminicides, ou des faits de harcèlement, révèle leur caractère répétitif, massif et systémique et rappelle la nécessité de lutter contre ces violences fondées sur le genre. « Il ne suffit pas d’en parler pendant deux semaines en arborant la couleur orange. Il faut que le sujet s’impose toute l’année », considère d’emblée Claudine Speltz, présidente du Conseil national des femmes du Luxembourg (CNFL) auprès du Land. Ce temps symbolique dans le calendrier offre cependant une tribune aux associations qui défendent et viennent en aides aux victimes des violences.

L’association La voix des survivant(e)s (LVDS) a opportunément choisi ce moment pour lancer une pétition (3409) demandant une réforme du droit pénal pour « mieux prévenir les violences de genre, mettre fin à l’impunité ressentie et à renforcer la protection des victimes ». « Nous avons travaillé à partir de témoignages de victimes pour lister les dysfonctionnements et apporter des réponses », nous explique Marie-Laure Rolland, vice-présidente de l’association. 52 propositions ont été élaborées avec l’ambition de déboucher sur une loi-cadre. « Il faut 12 500 signatures d’électeurs pour que des citoyens puissent présenter une proposition de loi. Avant d’en arriver là, notre pétition fait en sorte que le sujet soit débattu à la Chambre, et que nos propositions arrivent sur le terrain politique. » Elle ajoute que l’initiative est transpartisane et englobe des ressorts très divers : justice, égalité, police, éducation, famille, santé, logement, sécurité sociale, travail.

Un premier problème est la mauvaise connaissance du phénomène. Le rapport 2023 du Comité de coopération entre les professionnels dans le domaine de la lutte contre la violence, présenté en juin dernier, n’est que parcellaire : Il ne tient compte que des violences domestiques, les seules pour lesquelles il existe une loi spécifique (de 2003) et ne qualifie pas les formes de violence, psychologique, sexuelle, économique, harcèlement. « Pour mener une politique efficace, il faut avoir des chiffres. Il faut savoir de quoi on parle et qui cela concerne », s’agace Claudine Speltz.

Une enquête du Statec qui se rapporte aux années 2019 et 2020 pointe que deux tiers des femmes déclarent avoir été victimes de violences physiques, psychologiques, sexuelles ou économiques au moins une fois dans leur vie. Une sur dix a subi des formes graves de violence sexuelle, c’est-à-dire un viol ou une tentative de viol. Il est aussi difficile de connaître mesurer l’ampleur du problème car une grande partie des victimes ne porte pas plainte. « Ce n’était pas assez grave », « Cela n’aurait de toute façon servi à rien », « J’avais peur », « J’avais honte » : sont les réponses données à l’institut de sondage à la question de savoir pourquoi elles ne se sont pas adressées à la police ou à une structure d’aide.

« C’est choquant que tant de femmes préfèrent se taire plutôt que d’entreprendre quelque chose contre leurs agresseurs. On voit tout ce qu’il reste à faire pour que les femmes prennent vraiment conscience que personne n’a le droit de leur infliger de la violence », affirme le CNFL. « Trop de victimes de violences ne se sentent pas entendues, ni prises au sérieux au départ de procédures généralement longues et difficiles. Elles craignent ensuite que leur cas ne soit finalement pas jugé », dénonce LVDS. Un vrai parcours d’obstacles pour faire valoir ses droits devant la police, la justice, les services sociaux, qu’on appelle la « victimisation secondaire ». L’association liste : sur 1 082 affaires de violence domestique transmises aux tribunaux, 109 jugements ont été prononcés en 2022. On estime que seulement une victime de viol sur dix porte plainte et seulement une plainte sur dix débouche sur une condamnation. « En clair, 99 pour cent des viols restent impunis », s’étrangle Marie-Laure Rolland. Elle ajoute que le taux d’expulsion des conjoints violents a chuté drastiquement passant de 42 à 25 pour cent des interventions de la police entre 2013 et 2022. « Ce n’est pas parce qu’il y a moins de violence, c’est parce qu’on expulse moins : un tiers des interventions ne donne pas lieu à un rapport au Parquet et disparaissent du radar. »

Plusieurs témoignages recueillis par LVDS parlent de « déni de justice ». L’association s’élève contre une disposition de la loi de 2018 qui a introduit le principe d’un sursis à l’exécution des peines pour les primo-délinquants. Le juge peut ne pas accorder ce sursis, mais doit motiver sa décision. Les associations de victimes estiment que le législateur est allé trop loin et demandent le retour à la réglementation antérieure ou à une réglementation différente selon les délits et les crimes.« Nous, ne voulons pas aboutir à une législation du tout répressif. Mais croyons dans la fonction dissuasive de la répression. Il faut que le pays s’arme avec des lois suffisamment dissuasives pour que les agresseurs s’interrogent », plaide LVDS. Elle cite un cas jugé le 13 novembre à Luxembourg (dont nous avons pu lire le compte-rendu anonymisé) : une femme a été agressée par le père de ses enfants, dont elle est séparée depuis huit ans « en raison de ses problèmes d’alcool et d’agressivité » quand elle lui a demandé de quitter les lieux après une visite. Le prévenu, armé d’un couteau, ne voulait pas partir. Il a ajouté que si elle refusait de lui donner une deuxième chance il allait la tuer et se suicider ensuite. L’homme a reconnu les faits, et s’en est repenti. Il a été condamné à six mois de prison (la peine la plus faible encourue) avec sursis.

Lors d’une autre affaire, jugée le 24 novembre, « violence, menaces et viol » ont été perpétrés par un homme sur une femme de sa connaissance. La peine de 42 mois de prison est aussi assortie d’un sursis arguant du dépassement du délai raisonnable, « dans la mesure où le prévenu ne semble pas indigne d’une certaine clémence de la Chambre criminelle ». « C’est horrible pour une victime de viol ou de violences de savoir que son agresseur ne va pas connaître le moindre jour de prison », fustige Marie-Laure Rolland.

Une autre revendication du milieu associatif est de mieux prendre en compte les violences psychologiques et en particulier le contrôle coercitif (« coercive control »). Ce terme assez récent désigne un continuum de violence, d’exploitation, d’humiliation et de manipulation exercées de façon répétée dans le but d’établir et de maintenir une domination sur une personne. Il s’agit d’une emprise insidieuse et progressive, qui n’a pas nécessairement besoin de coups pour s’exercer : menaces sur la garde des enfants, menace au suicide, contrôle des déplacements, des fréquentations, de l’argent, vérification des messages téléphoniques, commentaires sur la tenue vestimentaire… « Cela explique aussi pourquoi certaines femmes ne portent pas plainte ou retirent leur plainte », note la présidente du CNFP. « Inscrire le contrôle coercitif dans la loi me paraît prioritaire pour bloquer un engrenage qui mène au féminicide. Il faut sensibiliser les victimes qui parfois ne réalisent pas que, petit à petit, elles se trouvent enfermées dans cette situation. Elles doivent demander de l’aide avant que ce soit trop tard », ajoute Marie-Laure Rolland. En Angleterre et en Écosse, le contrôle coercitif est criminalisé respectivement depuis 2015 et 2019.

Le CNFL parle aussi de violence économique lorsque les victimes sont privées d’argent ou empêchées d’exercer une activité professionnelle pour les enfermer dans une situation de dépendance. « Les femmes immigrées qui ne parlent pas les langues du pays sont encore plus fragilisées et isolées. Elles n’ont pas de moyens de s’exprimer ou d’aller vers les associations car les réunions sont souvent le soir, quand le mari est là », détaille Claudine Speltz.

La formation de tous les acteurs est un aspect essentiel pour faire évoluer la situation et notamment pour mieux entendre les victimes, éviter que des stéréotypes ne s’installent, détecter les comportements problématiques. Marie-Laure Rolland plaide pour de grandes campagnes nationales de sensibilisation à l’image de ce qui est fait pour la sécurité routière. Identifier les comportements manipulateurs ou coercitifs, se former à l’autodéfense, développer des stratégies de sécurité, promouvoir la communication, le respect, la responsabilité sociale de chacun vis-à-vis des autres… Claudine Speltz considère que l’éducation a aussi un grand rôle à jouer, dans les familles et à l’école pour que les mentalités changent : « On est toujours dans une société patriarcale, avec des hommes qui ne veulent pas partager le pouvoir, ne veulent pas accepter l’égalité. Ceux qui font la justice, à tous les niveaux, ne sont pas imperméables à la culture dans laquelle ils sont nés. »

« Lors de la marche, tout le premier rang, y compris la Grande-Duchesse a brandi notre flyer avec le numéro de la pétition. J’espère qu’ils l’ont tous signée », lance Marie-Laure Rolland. Ce jeudi après-midi, la pétition de LVDS a atteint 3 895 signatures. Mais « parmi ceux qui ont donné leur accord d’afficher leurs noms sur le site des pétitions il n’y a pas de personne sous le nom de Maria Teresa», informe le secrétariat de la Chambre. On peut penser que le débat parlementaire aura lieu. Les propositions vont nourrir le « plan d’action national contre la violence basée sur le genre » promis par Yuriko Backes, ministre de l’Égalité des genres et de la Diversité (DP) d’ici l’été 2025. Cette stratégie globale pour lutter contre toutes les formes de violence fondée sur le genre comprendrait un Centre national d’accueil des victimes, où une équipe pluridisciplinaire (psychologues, assistants sociaux, juristes, médecins,…) accompagne et oriente les victimes, en un seul lieu. « Tout doit être fait pour préserver l’autonomie de la victime et lui offrir le plus de chance possible de se reconstruire », salue LVDS.

France Clarinval
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