François Biltgen, le ministre, doit espérer ces jours-ci que la Commis-sion européenne ne dispose pas de traducteurs capables de traduire du luxembourgeois vers une des langues officielles de l’Union. Sinon, l’argumentaire de François Biltgen, l’avocat, devant la même Commission, risque de tomber en morceaux. Car durant le débat parlementaire, le 13 juillet 2010, sur le projet de loi n° 6148, qui réformait aussi bien la législation sur les allocations familiales que celle concernant l’aide financière, les dérivés de « spueren », (faire des économies) apparaissent à 59 occurrences...
Or, depuis qu’il a été interpellé par la Commission, d’abord par des échanges de vue personnels ou écrits, puis par une mise en demeure en due forme reçue lundi, sur les potentielles discriminations à l’encontre de ressortissants européens contenues dans la nouvelle loi, François Biltgen (CSV) plaide que la loi n’a pas de visée sociale, auquel cas l’exportabilité devait être garantie, mais que son objectif est en premier lieu d’augmenter le nombre de Luxembourgeois et de résidents qui poursuivent des études supérieures, nombre trop bas selon lui1. Et il est vrai que, dès l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, à la rentrée académique 2010, le nombre d’aides financières accordées a explosé, passant de 8 562 aides à 13 3242. Ces mêmes chiffres prouvent que, s’il devait s’agir d’une mesure d’économie en temps de crise, c’est vraiment raté : le montant que l’État accorde en bourses (non-remboursables) ayant été multiplié par 5,5, de quinze millions en 2009/2010 à 84 millions en 2010/2011 ; celui des prêts de 55 à 87 millions. Sur le budget de l’État 2010, la moins-value de dépenses en allocations familiales aux enfants non-résidents au-delà de 18 ans de 11,7 millions est contrebalancée par une augmentation de 34 millions d’euros des aides financières pour études supérieures3.
Il est en outre loin d’être certain qu’un nombre croissant de jeunes qui s’inscrivent à une université et demandent une aide de maximum 13 000 euros implique forcément aussi un taux tellement plus élevé de détenteurs de diplômes après deux ou cinq ans, la mesure est trop récente pour en juger, et le Cedies n’est pas en mesure de contrôler le taux de réussite à l’arrivée. L’expérience prouve que cette aide financière généreuse est interprétée par certains comme une année sabbatique sponsorisée, ou, pour ceux qui sont issus d’une famille nantie, comme de l’argent de poche à claquer en boîte de nuit.
Lundi, 27 février, la Commission européenne a avancé dans sa procédure d’infraction en envoyant un avis motivé au gouvernement luxembourgeois dans lequel elle lui demande de « mettre fin aux discriminations dans l’attribution des bourses d’études et d’allocations » (boni pour enfants, aides financières aux volontaires), car elle estime que la législation luxembourgeoise contrevient aux règles européennes sur la libre circulation des travailleurs. Le gouvernement a deux mois pour répondre. Si l’argumentaire invoqué s’avérait non satisfaisant, la Commission va citer le pays devant la Cour de justice de l’Union européenne. La Commission établit un lien évident des travailleurs frontaliers avec le Luxembourg (la relation de travail, l’imposition, le payement des cotisations sociales), qui impliquerait forcément qu’ils doivent jouir des mêmes droits que les résidents. Or, l’argument de François Biltgen est que la nouvelle loi justement ne considère plus les parents comme récipiendaire des aides, mais les étudiants eux-mêmes, autonomes du point de vue financier. Appliquer une clause de résidence à ces étudiants serait, selon lui, tout à fait compatible avec le droit européen. Or, si c’est la résidence de l’étudiant qui compte, que donc les droits de bourse ne sont pas portables vers l’étranger, la très grande majorité des étudiants luembourgeois devraient logiquement les perdre, car seulement quelque 3 000 des bourses vont à des étudiants inscrits à l’Université du Luxembourg, tous les autres résidant durant deux, cinq, voire huit ans à l’étranger. Et si c’est la résidence de l’étudiant autonome qui compte, les 2 370 étudiants internationaux inscrits à l’Université du Luxembourg et dont beaucoup vivent au grand-duché, devraient également avoir droit aux bourses. Or, ce n’est le cas qu’après cinq ans de résidence.
Dans l’affaire C-542/09, Commission européenne contre Royaume des Pays-Bas devant la Cour de justice de l’Union européenne, l’avocat général vient de plaider, le 16 février, que le gouvernement néerlandais enfreint justement les mêmes règles de libre circulation de l’Union par la clause de résidence qu’elle impose aux étudiants qui veulent bénéficier d’une aide financière pour leurs études à l’étranger. Cet argumentaire indique déjà la direction de celui que pourrait prendre une affaire contre le Luxembourg. Dans leurs premières réactions, les syndicats OGBL, LCGB et Aleba, qui ont soutenu les travailleurs frontaliers se sentant lésés par la réforme de la loi de 2010 dans leurs plaintes et démarches, ont demandé avec insistance au gouvernement luxembourgeois de se conformer au droit européen. « Le gouvernement a désormais tout intérêt à faire marche arrière, considère ainsi le président de l’OGBL, Jean-Claude Reding, vis-à-vis du Land, autrement, il risque de faire très mauvaise figure en se faisant condamner à tous les niveaux et à en plus devoir payer très cher. »