La couleur rouge de la vieille Renault du jeune Frédéric est déjà délavée dans les premières minutes du film, contrairement à la violence intérieure qu’il va essayer de réprimer tout le long de l’aventure qui l’attend. Son bolide est filmé en plans aériens panoramiques qui le montrent en pleine ascension d’une montagne enneigée vers un hôtel quatre étoiles où Frédéric va effectuer son stage. L’hôtel de Raphaël Jacoulot, qui signe avec Avant l’aube (produit par Mon Voisin Producions avec la Luxembourgeoise Iris Productions) son deuxième long-métrage après Barrage (2006), est habité, contrairement à celui de Shining (1980), auquel ces plans d’introduction font, d’une manière trop explicite, grossièrement référence.
Le thème du film de Jacoulot n’est pas la folie, et s’il doit exister un parallélisme entre le film et le chef d’œuvre, ce serait le choix du genre, à savoir le thriller intimiste et familial, ou chez Jacoulot l’intrigue policière vient remplacer les éléments d’horreur mis en place par Stephen King et Stanley Kubrick. Que cette intrigue ne serve que de prétexte, avec à l’appui la référence Georges Simenon qui évacue dans ses romans l’intrigue au profit de la caractérisation de ses personnages, le spectateur l’aura assimilé une fois que le meurtre d’un riche client ne va être que brièvement esquissé pour se focaliser par la suite sur la nature du lien pervers qui va se tisser entre Frédéric (Vincent Rottiers), jeune en réinsertion et en recherche d’une nouvelle figure de père, et Jacques (Jean-Pierre Bacri), le patron de l’hôtel qui va l’incarner malgré lui.
La perversion de ce nouveau lien filial impossible réside dans la nature même du meurtre : le fils légitime du patron de l’hôtel tue involontairement le client dans un accident en le renversant avec sa voiture. Frédéric, avec son passé tumultueux de jeune criminel en difficulté, s’aperçoit très rapidement de la culpabilité de la famille Couvreur dans cette affaire mais ne dit rien, protégeant par ce biais l’homme qui le fascine, son patron. Ce dernier semble agir tout d’abord par intérêt en l’embauchant à temps plein comme coursier, ce qui est une manière efficace d’acheter son silence. Ce qui s’ensuit a l’air de se développer en une relation saine, bâtie pourtant sur des fondations dangereuses. Jacques Couvreur permet une ascension sociale au jeune Frédéric, qui va progressivement s’embourgeoiser et croire sincèrement qu’il a trouvé un nouveau père adoptif en son patron. Jusqu’au moment où l’inspectrice bordélique Sylvie Poncet (Sylvie Testud) vient rappeler que malheureusement nous sommes quand même dans un film policier qui va se dénouer d’une manière absolument incompréhensible du point de vue de la psychologie du jeune Frédéric.
La prémisse du lien filial impossible, entre deux êtres qui proviennent de classes on ne saurait plus éloignées, est prometteuse. Bacri, mis à part ses tics d’acteur vus et revus, campe son personnage bourgeois autoritaire et respectable, quoique fasciné par la criminalité et les secrets familiaux, avec une contenance honorable. À ses côtés, le jeune visage inconnu de Rottiers convient parfaitement, vu que l’acteur arrive, par ses regards et sa gestuelle, à exprimer la violence et la confusion des sentiments qui anime l’âme du jeune Frédéric, sans devoir recourir à la parole. Un duo qui fonctionne, tant sur le papier qu’en chair et en os. Dommage que Jacoulot ne le creuse pas davantage, puisqu’il constitue le cœur de sa vision, cette dépravation du lien père-fils à l’œuvre aujourd’hui, et cette ascension sociale impossible dans nos oligarchies déguisées sous forme de démocraties modernes.
Dommage aussi que le fils légitime de Jacques, interprété par François Courot, soit si mal écrit et par conséquent si mal joué par rapport à l’épaisseur psychologique que peut avoir Frédéric. Le manque de cran du fils bourgeois beau et propre au futur tracé par rapport au prolo qui essaie de grimper les échelons coûte que coûte, avec au milieu Jacques Couvreur qui s’embrouille avec sa progéniture, alors qu’il éprouve une vraie douceur pour le gamin qui doit commencer à zéro, en voilà le trio révélateur des errances et de la brutalité des comportements sociaux qui constitue le centre névralgique de ce projet de film.
Sylvie Testud, en tant que copie conforme féminine de l’inspecteur Columbo à la recherche du cadavre disparu fonctionne surtout comme comic relief bien interprété, qui, dans son ensemble, ne convainc pas parce que le personnage est réduit à un archétype scénaristique sans jamais atteindre un réalisme psychologique.
Avant l’aube oscille ainsi entre le film d’atmosphère, le suspense policier, la confusion familiale et la lutte de classes, le tout rehaussé d’une brise de comédie. De nobles intentions qui, dans leur mélange chimique, n’ont pas trouvées de quoi former un ensemble cohérent.