L’inflation a été au cœur de la campagne de Donald Trump. Le candidat républicain en a fait porter la responsabilité sur l’administration sortante et a promis de l’éradiquer. Or, si certaines mesures annoncées sont effectivement de nature à ralentir la hausse des prix, d’autres volets-clés du programme économique et politique du président élu pourraient avoir l’effet contraire. La préservation du pouvoir d’achat a aussi été un thème majeur de l’élection présidentielle américaine, de manière quelque peu surprenante car, comme en Europe, la hausse des prix aux États-Unis s’est presque résorbée, tombant à 2,4 pour cent en rythme annuel en septembre, selon l’indice CPI du Département du travail. Ce niveau, le plus bas depuis février 2021, est quatre fois inférieur à celui atteint en juin 2022.
Problème, le ressenti de la population a été tout autre. Un sondage Gallup début octobre plaçait d’ailleurs le pouvoir d’achat en tête d’une liste de 22 préoccupations. La raison est que l’indice des prix est une moyenne pondérée qui ne rend pas compte du vécu de certaines catégories, surtout les plus modestes, frappées de plein fouet par les fortes hausses du prix de l’essence (80 pour cent en Californie entre janvier 2021 et octobre 2022) et des produits alimentaires (le prix des œufs a été multiplié par 2,5 en deux ans). Selon une étude de la Fed, depuis fin 2021 la classe moyenne a pu à peine maintenir sa consommation en volume, les plus pauvres ayant dû réduire la leur. Donald Trump n’a eu de cesse durant sa campagne de fustiger cette « Bidenflation » (les prix ont augmenté de 17 pour cent depuis le début du mandat de l’actuel président contre huit pour cent pendant la totalité du premier mandat de Trump) et de promettre d’y mettre fin. Un pari gagnant puisque 79 pour cent des électeurs qui plaçaient le pouvoir d’achat comme leur souci premier ont voté pour lui.
Pour maintenir l’inflation à un bas niveau et même la réduire encore, la prochaine administration Trump, opposée à tout contrôle des prix, compte d’abord agir sur les taux d’intérêt à court terme et à long terme, dont la forte hausse depuis 2022 a sérieusement affecté une population traditionnellement très portée sur le crédit. Elle a pénalisé non seulement les achats immobiliers (le taux d’intérêt sur les prêts à trente ans a frôlé les huit pour cent mi-2023, contre moins de trois pour cent au début du mandat de Joe Biden) mais aussi les dépenses courantes, couramment payées au moyen de cartes de crédit, avec des taux très élevés sur les paiements différés : 21,8 pour cent en août 2024, contre 14,6 pour cent au début 2022.
La Fed a commencé à baisser ses taux directeurs en septembre et en a remis une couche le 7 novembre, juste après l’élection, mais ils restent à un niveau supérieur à ceux de la BCE par exemple et Donald Trump compte bien faire pression sur la Banque centrale pour accélérer la manœuvre. Pour faire baisser les prix, ou à tout le moins les empêcher d’augmenter, Trump compte aussi beaucoup sur une « dérégulation massive » dans plusieurs domaines, car « les réglementations rendent tout plus cher », selon ses termes.
Le secteur bancaire, dont la régulation avait déjà été allégée pendant le premier mandat avant un retour de bâton sous Biden, devrait cette fois voir s’éloigner les perspectives d’une mise en place des accords de Bâle III en 2025, l’année même où les banques européennes ont prévu d’en appliquer les règles. Toujours dans le domaine financier, l’écosystème des cryptomonnaies, qui a levé plus de 170 millions de dollars en faveur de Donald Trump et de ses candidats au Congrès, devrait avoir un retour sur investissement rapide. Ainsi le bitcoin a gagné quarante pour cent dans les deux semaines suivant le scrutin.
Dans le secteur immobilier, cher au président élu qui y a construit sa fortune, le détricotage de certaines « réglementations inutiles » devrait permettre de réduire les coûts des logements et, en jouant également sur la baisse des taux, de les rendre plus accessibles, une forte revendication exprimée pendant la campagne surtout de la part des jeunes. Par ailleurs, Donald Trump, qui a promis de soutenir sans réserves le développement de l’intelligence artificielle, souhaite y parvenir en la dérégulant, avec notamment « l’annulation du dangereux décret de Joe Biden qui empêche l’innovation en IA et impose des idées de gauche radicale sur le développement de cette technologie ».
Mais de l’avis général, le secteur qui fera l’objet de la dérégulation la plus étendue est celui des énergies fossiles. Lors de son premier mandat, Trump, avait qualifié le réchauffement climatique de « canular », et fait sortir les États-Unis de l’Accord de Paris en 2017 au nom de leur indépendance énergétique. Bien que les mots « climat », « environnement », ou « écologie » ne soient pas apparus dans son programme de 2024, on sait qu’il envisage de se soustraire à nouveau cet accord, que le pays avait réintégré en février 2021, et de réduire ou supprimer de nombreuses réglementations environnementales.
L’exploitation pétrolière et gazière sera favorisée en déclassant de nombreuses zones protégées du territoire américain, comme dans l’Utah et l’Alaska lors du premier mandat. Les contraintes imposées par Joe Biden concernant les émissions des véhicules et l’achat de voitures électriques seront supprimées, tout comme les incitations à « l’investissement vert » figurant dans l’Inflation Reduction Act (IRA) d’août 2022. Plusieurs États, comme la Californie, ne pourront plus avoir des normes anti-pollution plus sévères que dans le reste du pays. Cette politique est la traduction d’une promesse que, selon le New York Times, Donald Trump aurait faite il y a plusieurs mois à des magnats du pétrole en échange d’un milliard de dollars de dons pour sa campagne.
Elle sera incarnée par deux fidèles. Chris Wright, PDG de l’entreprise Liberty Energy, spécialisée dans la fracturation hydraulique, a été nommé au poste de secrétaire à l’Énergie avec comme mission de « réduire les formalités administratives » pour stimuler les investissements dans les combustibles fossiles. Climatosceptique avoué, Chris Wright déclarait en 2023 : « Il n’y a pas de crise climatique et nous ne sommes pas non plus en pleine transition énergétique », ajoutant pour faire bonne mesure que « le terme de pollution par le carbone est scandaleux ».
Gouverneur du Dakota du nord depuis 2016, Doug Burgum, 68 ans, un des plus riches politiciens américains avec une fortune estimée à 1,1 milliard de dollars, hérite du secrétariat d’État à l’Intérieur, poste où il pourra affecter davantage de foncier fédéral à des projets d’extraction. La « libération » des forages pétroliers et miniers, en faisant augmenter la production, devrait logiquement faire baisser les prix des énergies fossiles. Selon le nouvel élu, cette dérèglementation tous azimuts rapporterait à chaque ménage américain un supplément de pouvoir d’achat de 11 000 dollars en moyenne.
Problème : d’autres volets du programme électoral, qui seront mis en œuvre dès janvier 2025, sont plutôt susceptibles d’accélérer l’inflation. Fidèle à la politique menée pendant son premier mandat, Trump devrait s’engager dans un protectionnisme encore plus marqué. Toutefois, par rapport aux années 2021-2024 il ne s’agirait pas d’un tournant car l’administration Biden s’était bien gardée de « détricoter » les mesures prises par les républicains avant elle, notamment vis-à-vis des produits chinois, et l’IRA contenait un volet clairement protectionniste.
Cette fois Trump veut imposer des droits de douane généralisés de dix pour cent sur les tous produits importés, accompagnés d’une surtaxe de soixante pour cent applicable progressivement aux biens en provenance de Chine. Pour mener cette politique, il devrait à nouveau faire confiance à Robert Lighthizer, 77 ans, déjà représentant au commerce de 2017 à 2021, période pendant laquelle il fut l’une des figures de proue de la guerre commerciale menée par Trump contre la Chine et de la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) avec le Mexique et le Canada. C’est un partisan déclaré de droits de douane élevés.
Prétendument applicables dès la fin janvier 2025, ils suscitent les pires craintes chez les partenaires commerciaux des États-Unis, dont les économies traversent déjà une mauvaise passe. Mais ils frapperaient aussi l’économie américaine : selon le FMI il faut craindre un impact négatif de 0,8 pour cent du PIB en 2025 et de 1,3 pour cent en 2026. Par ailleurs, en renchérissant de manière inédite le prix des produits importés, les droits de douane relanceraient l’inflation, alors qu’elle semble aujourd’hui sous contrôle.
La volonté de mieux maîtriser l’immigration, qui passerait par l’expulsion de plusieurs centaines de milliers de personnes, aurait également des conséquences négatives pour les prix. À court terme, elle désorganiserait et réduirait la production dans l’agriculture où travaillent les trois-quarts des immigrés, la moitié sans statut juridique permanent. Même situation dans l’industrie de la viande (trente à cinquante pour cent des travailleurs sont des immigrés) et dans le secteur de la construction (vingt pour cent d’immigrés). À moyen terme, la raréfaction de la main d’œuvre disponible se traduira par un renchérissement du coût du travail, avec d’inévitables répercussions sur les prix de vente.
Par ailleurs, de nombreux économistes doutent de l’impact des mesures de dérégulation sur les prix, car l’inflation subie par les États-Unis après la pandémie n’est pas due à l’existence de « distorsions de marché » comme les ententes, les monopoles ou les rentes liées à la réglementation. Pour couronner le tout, Trump a promis un allègement d’impôts de quelque 3 200 milliards de dollars au profit des particuliers, des sommes qui vont alimenter la consommation alors que, pour les raisons déjà citées, l’offre n’aura jamais été aussi inélastique.
Un léger rebond de l’inflation s’est déjà produit en octobre : + 0,2 point en rythme annuel par rapport à septembre soit désormais + 2,6 pour cent. Mais les prévisions sont beaucoup plus pessimistes pour 2025. Traduction de ces anticipations, les taux des obligations du Trésor à dix ans ont nettement augmenté, frôlant les 4,5 pour cent mi-novembre contre 3,6 pour cent deux mois plus tôt. Une situation qui met la Fed en position délicate, car un retour de l’inflation l’obligerait à mettre fin à la baisse de ses taux, voire à les relever, ce qui ne manquerait de susciter l’ire de Donald Trump. Mais il ne pourra pas dire « you’re fired » à Jerome Powell : le président de la Banque centrale, inamovible jusqu’à la fin de son mandat en mai 2026, a, de plus, fait savoir dès le lendemain du scrutin qu’il ne démissionnerait pas.^