Ouvrir une galerie n’est pas une sinécure, peut-être plus encore quand il s’agit d’une galerie de design, pionnière en son genre au Luxembourg. Françoise Kuth a peaufiné son projet pendant deux ans, préparant son coup en parallèle à son activité de juriste auprès du bureau d’architectes BFF. Après avoir étudié la littérature française, elle a consacré sa vie professionnelle au droit. Avec toujours un appel du cœur latent pour une implication créative plus directe. Se retrouver à son propre compte, « c’est un challenge, sans doute. Mais les nouveaux défis font clairement partie de mon agenda, je ne peux pas autrement », sourit Françoise Kuth. Elle est assise sur le canapé rectiligne recouvert de tissu Hermès, une pièce de l’Italo-Allemand Umberto Bellardi Ricci, qui a grandi au Luxembourg. Il est un des designers-clé dans la Galerie Liberté, et aussi une de ses sources d’inspiration les plus fortes. « Umberto m’a montré une série de lieux fascinants à New York, qui m’ont donné l’envie et le courage d’établir une galerie montrant un design contemporain et original à Luxembourg », raconte Françoise, les yeux qui brillent. « À New York, ce sont souvent des pop-ups sans lieu fixe, mais j’ai décidé qu’il fallait un repaire stable qui allait pouvoir devenir une référence pour la clientèle ».
Ce lieu, elle l’a cherché pendant un moment, sillonnant sans succès les rues du centre-ville. Elle s’est finalement décidée pour un local dans le quartier Gare, où elle habite. Elle y trouve des prix plus raisonnables, pour les beaux volumes déjà rénovés de l’espace qui abritait jadis Book and Beans, puis un magasin de lingerie. Pas loin, se trouvent la boutique de décoration Schweitzer, et le bâtiment toujours imposant de l’ancienne Arbed. « Une belle continuité d’histoire des matériaux dans le voisinage », rit Françoise. En face, un floriste arbore plantes et bacs de fleurs, le tram passe toutes les trois minutes, réglé comme une pendule. « Mais les passants se font encore rares. Les touristes chinois qui passent quatre fois par jour n’entrent pas… », déplore Françoise. « Ils ne dépensent pas ailleurs non plus ». Elle cultive l’espoir que, malgré l’effet « centre commercial » qui envahit le Luxembourg, le bon public finira par être attiré par l’idée d’acquérir une pièce vraiment originale qu’il ne verra dans aucun autre salon. Françoise Kuth cible justement les acheteurs esthètes désireux d’échapper à la tyrannie d’Ikea et des autres productions industrielles de masse (et cela à des prix similaires à ceux des objets industrialisés qu’on trouve à chaque coin de rue). Le critère de sélection pour les designers qu’elle représente est qu’ils produisent des pièces uniques ou au maximum des mini-séries. Pas de production à grande échelle, pas de design trop industriel, pour l’amour de l’artisanat et la volonté de maintenir le savoir-faire des artisans.
« Ces pièces, pleines de caractère, ne sont peut-être pas toujours faciles à combiner, mais elles sont porteuses d’une recherche esthétique, liée aux matières, et jamais ennuyeuses. Je peux apporter des conseils pour arranger des pièces ensemble ». Franois Kuth semble avoir une prédilection pour le mélange et le jeu des textures, trait qu’on retrouve aussi bien dans le fauteuil du couple suisse de Studio Haos – un matériau métallique peu cher brut combiné à un tissu jaune doré, soyeux et luxueux – que sur les tabourets de UBR Studio, une interaction entre sculpture et design en combinant par exemple des laines douces à des lignes métalliques épurées. « Je recherche un aspect esthétique combiné à un élément surprenant. Même si la fonctionnalité doit rester apparente, sinon ça ne marchera pas ».
Le vernissage de la première exposition a eu lieu fin octobre, et Françoise Kuth a l’intention de la changer tous les trois ou quatre mois. Certains prototypes resteront, comme ceux de Umberto Bellardi Ricci, d’autres seront renvoyés. Toutes les pièces sont réalisées sur commande ici. Bientôt, elle inclura dans l’exposition un autre Luxembourgeois, Christophe de la Fontaine, product designer et cofondateur de la marque Dante-Goods and Bads.
Plusieurs des pièces exposées à la Galerie Liberté affichent de dimensions importantes, qui trouveraient bien leur place dans un loft… Cela représente-t-il un inconvénient à une époque où surtout les jeunes doivent se contenter d’espaces plus restreints ? Françoise, le sens redoutablement pragmatique sous des rêves d’esthète et une attitude patiente, s’attèle effectivement à l’ouverture d’un shop à la fin du mois, qui vendra des objets plus faciles à emporter et à arranger.