Partir pour (re)vivre

d'Lëtzebuerger Land du 15.11.2024

Le titre de la pièce de Marie-Claire Junker, Téhéran-Luxembourg fait penser à un simple voyage en avion. Cette création au Théâtre national du Luxembourg embarque en fait le public dans un passé récent inhumain et un présent tout aussi invivable de la vie des Iraniens, sous le régime des mollahs. Des moments racontés dans le monologue de la comédienne Shiva Gholamianzadeh.

Elle explique que les différences entre la vie de Shadi, son personnage, et la sienne sont minimes. Elle évoque son vécu dans son pays, qui bafoue des droits humains fondamentaux et elle juge les injustices que subit son peuple ; particulièrement jeunes car la population iranienne est composée essentiellement de jeunes gens.

Après la chute du Shah et malgré l’espoir d’une libération promise par Khomeini, le pays a souffert de la Révolution de 1979 et de la guerre très meurtrière avec l’Irak. Shadi parle de son engagement de jeune révoltée aux côtés de son amie Touran, morte à cause des répressions des mollahs. Ceux qui s’opposent sont motivés par la volonté de rendre l’Iran libre, alors que le pays, sous l’influence des mollahs, s’isole. La fermeture des frontières accentue les répressions envers les femmes à travers le port du voile obligatoire et de nombreuses interdictions.

À l’ouverture des frontières Shadi, adolescente repérée à cause de son engagement anti-régime, quitte le pays, la seule issue pour vivre libre. « Je dois fuir tous ceux que j’aime. Je dois perdre mon monde à cause de vous (des mollahs, ndlr). » C’est le voyage vers le Luxembourg, un pays libre, où elle bénéficie du statut de protection internationale. Mais Shadi est seule, sans famille, sans connaissance, sans domicile et sans travail.

Enfin libre, elle parle de sa nouvelle vie, avec une certaine distance, une pincée d’humour et un brin d’entrain : ses difficultés du commencement, son amitié pour une Afghane qui l’encourage à sortir de sa léthargie. Elle trouve du travail, l’amour et le mariage avec un bel Iranien qui finit par s’ériger en maître, puis sa fuite du domicile avec sa petite fille et son rêve de toujours : devenir musicienne. L’Iran, (« mon bel Iran ») reste enfoui dans sa vie, son enfance et son adolescence là-bas et sa vie d’adulte au Luxembourg. Elle est d’ici et d’ailleurs et se sent tiraillée entre ses deux pays, même si elle réussit à s’intégrer très bien au Luxembourg, son pays d’accueil.

La comédienne Shiva Gholamianzadeh, vêtue d’un élégant ensemble noir, créé par Denise Schumann, déambule sur scène, est souvent en mouvement, comme un symbole de sa vie, évoquant ses souvenirs ou chantant, s’asseyant parfois sur une caisse recouverte d’un tapis persan, un autre délimitant une partie du plateau.

Dans la scénographie de Christoph Rasche, le regard est capté par un vaste panneau grillagé, au milieu déchiré en deux, les craquelures symbolisant la coupure, la déchirure de l’Iran à la suite des guerres et aux sévices du régime des mollahs, déchirure qui permet à la comédienne de rester sur le plateau, visible, quitte à se rendre parfois de l’autre côté du panneau, coupée du monde, d’où elle regarde de derrière des barreaux le monde libre.

La metteure en scène Tiphanie Devezin accompagne la comédienne, insiste sur le mouvement sur scène, qui rappelle la vie mouvementée de Shadi, elle encourage aussi à intégrer des silences permettant aux souvenirs d’imprégner le jeu nuancé et sensible, qui permet aussi d’intégrer le bref retour en Iran.

Téhéran-Luxembourg a le mérite de nous rapprocher en pensée de ce pays en lutte qui donne par le mouvement Femme, Vie, Liberté une importance particulière aux femmes dans leur lutte contre l’oppression des mollahs et la défense de la Liberté.

Josée Zeimes
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