Encore une grosse semaine pour découvrir la superbe et très originale exposition de Flora Mar, au Centre d’art Nei Liicht de Dudelange. Sous le double parrainage de Sigmund Freud et de Marie Tharp, océanographe américaine de génie, auteur de remarquables cartographies des fonds sous-marins, l’artiste se propose d’explorer les couches et sous couches de notre « part sombre ». Mapping the dark – cartographies de l’inconscient, plonge dans les abysses des océans comme métaphores des profondeurs de l’âme humaine, avec comme guide cette phrase de la divine comédie de Dante : « Ils ne pourront pas freiner mon puissant désir de connaître le monde et les vices et vertus de l’humanité. »
Mais peut-on vraiment cartographier l’inconscient comme on cartographie les fonds marins ? « La volonté de rendre visible ce qui est caché, de le nommer et de le confiner dans une structure répond à un besoin scientifique ou intime, profondément humain et universel », écrit l’homme de culture touche-à-tout Hans Fellner dans sa présentation de l’exposition.
Ce jour-là, il fait un soleil éclatant et nous avons droit à une visite privée de l’exposition par son auteure. Les salles de la galerie, au premier étage au-dessus du musée municipal, sont autant baignées de lumière que les toiles – ou plus précisément les papiers – d’ombre. Projetées sur les voilages pendus aux fenêtres, les ombres des branchages du jardin au dehors donnent un singulier écho aux premières salles de la visite autour des secrets de famille et des arbres généalogiques.
La tentative de cartographier l’inconscient se déploie en trois chapitres, dans une volonté de faire cheminer le visiteur « comme dans un livre » : après les secrets de familles – « le premier palier, d’où l’on vient » –, vient un questionnement général sur la possibilité ou l’impossibilité de la tâche donnée, puis une série d’ébauches, de tentatives de cartes concrètes.
« Je procède par méandres, explique Flora Mar, avec pour impératif d’avancer étape par étape et la rigueur de ne pas trop penser mais d’aller un peu à l’aveuglette, sur un mode loufoque, une idée surgissant d’une autre, d’un inconscient. » Ainsi, ce triptyque noir, « La descente », plongeant jusqu’aux abysses de l’océan, comme on plongerait dans l’âme humaine : « On peut toujours descendre, on attendra un palier supplémentaire, de nos peurs jusqu’à nos terreurs en passant par nos angoisses... »
Supports et outils exploratoires de son travail, les matières et matériaux. Car davantage que « peintre » ou « dessinatrice », Flora Mar, qui possède une solide formation psychanalytique et scientifique, aime à se définir comme une « chercheuse », une laborantine. « Mon travail, c’est avant tout les collages, les huiles, les encres, les papiers... » Ainsi, ce papier japonais très fin, pliable, froissable à l’infini. Ou le tyvek, une fibre synthétique très solide qui sert à réaliser des cartes, deviennent les écrins parfaits d’une recherche qui implique une certaine lenteur, une fragilité. Ici, ce sont des petits personnages abstraits de soie roulotée. Là, des tâches d’encre figurant comme un Rorschah. Flora Mar convoque de nombreuses et subtiles nuances de noir, en utilisant la plus traditionnelle encre de chine jusqu’à l’inattendue encre de seiche : « L’odeur est très forte, c’est granuleux, mat et d’un noir bien sombre, c’est très intéressant à travailler. »
« Un noir bien sombre » pour approcher cette volonté de Mapping the dark : inspiration des mouvements des plaques tectoniques, des failles océaniques comme analogies des zones de fractures du cerveau, travail sur le secret et ses perversions, sur ce qui est sous nos yeux mais qu’on ne peut voir. Fascinant, de ce point de vue, les œuvres autour de la « tache aveugle », ou « tache de Mariotte » : « Un point que chacun d’entre nous possède, dans l’œil, et qui est totalement aveugle. On l’utilise beaucoup en psychologie, métaphoriquement, pour parler des choses qu’on ne voit pas et qui peuvent expliquer les phénomènes de répétitions. Ainsi, je cartographie ce qui m’empêche de voir, autour de cette tache aveugle, dans l’espoir que cela révèle son secret ! » Avec beaucoup d’humour, et en bonus final, Flora Mar s’est ainsi amusée à cartographier sa vie amoureuse... avec la tache aveugle en focus.
Rare, le travail de cette artiste profonde, sensible et passionnée à l’infini par les profondeurs de l’être humain, mérite d’être redécouvert ou découvert si ce n’avait déjà été fait. Est-elle parvenue à cartographier l’inconscient ? Elle ne saurait le dire, mais est sûre d’une chose : « On a besoin d’une structure. Avec ce travail de taupe chercheuse, humblement, je peux dire en tout cas que ce travail m’a apaisée. »