Le maire de Niederanven, Fréd Ternes (CSV), veut construire quatre éoliennes dans la commune la plus riche du Luxembourg. Portrait d’un « pragmatique »

« Iwwert der Krawatt an ënnert dem Paltong »

Fréd Ternes, ce mercredi à la mairie de Niederanven
Foto: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land vom 15.11.2024

Ses anciens camarades de la CSJ ont été propulsés sur la scène nationale, que ce soit au Parlement (Alex Donnersbach, Charel Weiler, Stéphanie Weydert et Françoise Kemp), au gouvernement (Elisabeth Margue et Serge Wilmes) ou aux ministères (Pit Bouché et Charel Hurt). Fréd Ternes (37 ans) préfère se concentrer sur sa carrière communale, pour l’instant du moins. « Il ne voulait pas se présenter aux dernières législatives ; et on a essayé plus d’une fois de le convaincre », dit Elisabeth Margue. Le nouveau maire de Niederanven creuse son sillon. Il ne manque pas d’ambition. En amont des dernières communales, il a réussi à marginaliser l’ancienne garde du CSV, et son bourgmestre de 23 ans. Depuis son assermentation en juillet 2023, il s’est profilé en « pragmatique » sensible à la question climatique. Aux médias, il sert le discours volontariste qui va avec : « Si je voulais rester bourgmestre pendant trente ou quarante ans, je me bornerais à construire une école et une maison de retraite ; pour le reste je ferais en sorte que rien ne soit construit ni devant, ni derrière, ni à droite, ni à gauche d’un riverain. » Mais telle ne serait pas son aspiration.

Fréd Ternes se rend à la mairie dans sa VW e-Up, le plus petit (et le moins cher) modèle électrique de Volkswagen (qui en a arrêté la production fin 2023). La famille possède également une VW Sharan pour loger les deux sièges enfants. Écolo, mais pas trop… Lorsque Ternes relate sa croisière vers l’Islande durant l’été 2019, il avoue : « Ech hat e bëssen e schlecht Gewëssen ». Mais l’achat de certificats CO₂ aurait neutralisé ses scrupules.

Le 25 octobre, le conseil communal de Niederanven a voté une convention avec la Société des énergies renouvelables (Soler) pour développer un parc éolien d’ici 2028. D’une hauteur de 230 mètres, les quatre éoliennes formeraient des « landmarks », et pourraient fournir de l’énergie pour 31 560 personnes. Quatre sites potentiels ont été identifiés, sachant qu’en moyenne la moitié n’est pas retenue. Ils sont tous situés dans les forêts entourant Ernster, un village resté relativement rural et déconnecté, qu’habite également Ternes.

Le vétéran de la politique locale, Jean Schiltz (LSAP), ne cache pas son scepticisme. Lors de la réunion du conseil communal, il pointe vers le portrait de l’ancien maire Nico Hilbert : « Do hänkt ee Buergermeeschter, dee wollt do schonn eng Kéier sou eppes maachen, um Iernsterbierg. Déi Iernster Leit waren all do dogéint. » Sa camarade de parti, Margaretha Inghelram-Maeyens s’inquiète à son tour des éoliennes qui ruineraient le cadre et le calme : « Et wäert een se gesinn ! Et wäert een se héieren ! »

Patients et pédagogiques, les deux représentants de la Soler tentent dåe rassurer. En bordure du périmètre (donc au point le plus éloigné des habitations), le bruit émis ne pourra dépasser celui d’un frigidaire. Les 49 éoliennes que compte actuellement le pays rencontreraient d’ailleurs partout « une grande acceptance » , leur silhouette ayant même intégré les logos de différentes communes. La conseillère DP (et habitante d’Ernster), Deborah Storn, n’est pas convaincue : « Sorry, dat ass eng optesch Beanträchtegung. Et gi sécher och Leit déi soen : Domadder hunn ech eng Beanträchtegung am Präis vu mengem Terrain. » Elle évoque les propriétaires ayant acheté à Niederanven pour vivre « e bëssi à part ». Et de lancer l’idée : Ne pourrait-on pas simplement « sech iergendwou akafen », et faire ériger une éolienne ailleurs, dans une autre commune ?

Fréd Ternes reste en retrait durant le débat, laissant parler les experts. Mais à un moment, on l’entend glisser une remarque sur « dee Nimby-Truc ». La conseillère Gina Muller-Rollinger (Déi Gréng) ironise : « Qu’ont-elles de si vilain, ces éoliennes ? On pourrait les peindre en vert ! » Le conseiller socialiste (et futur directeur-adjoint du Nationalmusée) Régis Moes se déclare favorable au projet, et en appelle à « la solidarité avec les autres communes du pays ». Preuve que l’énergie éolienne reste mainstream, le projet finit par passer à la quasi-unanimité ; seules Storn (DP) et Inghelram-Maeyens (LSAP) s’abstiennent. Les diatribes anti-éoliennes de Marine Le Pen et de Donald Trump, qui promettent tous les deux un moratoire sur cette source d’énergie, ne semblent pas encore avoir atteint le Grand-Duché.

En seulement seize mois, Fréd Ternes s’est constitué un petit track record climatique. Niederanven a rendu obligatoire l’installation de panneaux solaires sur les maisons et résidences en construction. (Une mesure qui figurait dans le programme du DP pour les législatives, mais qui n’a pas été reprise dans l’accord de coalition Frieden-Bettel.) Pour inciter les propriétaires à équiper leur maison ancienne de panneaux photovoltaïques, la commune a introduit un top up généreux : Cinquante pour cent en plus sur les subsides étatiques. Jusqu’au mois dernier, l’investissement était donc quasi-intégralement (à 93,75 pour cent) pris en charge par la main publique. Entre juillet 2023 et octobre 2024, 355 demandes d’autorisation sont entrées. (Même si, à Niederanven, on n’en a pas besoin pour aménager de panneaux sur les toits.)

En 2021, Fréd Ternes publie à compte d’auteur klengt Buch iwwer Gemengepolitik. Une centaine de pages de maximes, de recettes et d’anecdotes. Le livre se veut un vadémécum pour les politiciens débutants. « Jonker ginn als Konkurrenz gesinn, amplaz dass een hinne probéiert e puer Tipps mat op de Wee ze ginn », regrette Ternes. Il leur explique ainsi comment porter l’écharpe de bourgmestre ou d’échevin : « iwwert der Krawatt an ënnert dem Paltong ». Le livre est divisé en chapitres très brefs : Cela commence par « Visioun versus Zoossisstaktik » et se termine sur « Wann ee mol net weider weess ». Un autre passage est intitulé « Dir sidd e bëssen déck ». Une passante lui aurait lancé cette remarque alors qu’il se tenait derrière un stand électoral. L’auteur conseille : « reacting with no reaction ».

Le lecteur s’enlise rapidement dans les platitudes : « d’Leit mat an d’Boot huelen » ; « zesumme si mir staark », « ni de Mann spillen, mee ëmmer de Ball ». Mais on trouve également quelques passages plus introspectifs : « Politik mécht séier süchteg », constate Ternes. « Et feelt engem dacks déi richteg Unerkennung, an déi wëll een sech da selwer zouschwätzen ». Il énumère les « petits réflexes » qu’il essaierait de se donner : Faire une pause toutes les six semaines, « genee wéi an der Schoul », ne pas consulter sans arrêt le portable, attendre au moins une nuit avant de répondre à un commentaire « méi kriddeleg » sur les réseaux sociaux.

Dans la préface de son livre, il évoque pudiquement « eng perséinlech méi schwiereg Zäit ». Fréd Ternes fait ici référence à son burn-out pendant l’automne 2019. À plusieurs reprises, raconte-t-il au Land, il se serait retrouvé aux urgences, « wéll guer näischt méi gaangen ass » : « Dat war scho wierklech hefteg ». Ternes passe quatre semaines en arrêt maladie, et commence une thérapie. Le jeune père de famille cumulait alors son mandat d’échevin à Niederanven avec son job à Belval auprès de l’Institut de formation de l’éducation nationale (Ifen). Sans oublier ses mandats dans les syndicats communaux Syvicol et Sigi (qu’il quittera après son burn-out). Au total, il lui aurait fallu cinq ans pour se remettre et se retrouver « rëm fest am Suedel ».

Son burn-out marque la rupture avec le maire Raymond Weydert. « Mon prédécesseur a tenté de se défaire de moi ; et cela au moment même où j’étais vraiment à terre », raconte Ternes. « C’est quelque chose que je ne pourrai jamais oublier. » Le maire aurait tenté de le « discréditer » en racontant partout que le jeune échevin était incapable d’assumer ses charges. Contacté par le Land, Weydert dit ne pouvoir se souvenir d’avoir mal parlé de son jeune échevin à l’époque : « Ech hunn nëmme kritiséiert, datt hien ze vill gemaach huet ».

En 2011, Fréd Ternes a participé à sa première élection communale. Il se classe d’entrée deuxième sur la liste du CSV. L’étudiant revendique une place au conseil échevinal. Il s’y retrouvera coincé entre deux boomers. « Cela me coûtait énormément d’énergie pour faire passer de nouveaux sujets », affirme-t-il aujourd’hui, Raymond Weydert (né en 1948) et son premier échevin, le socialiste Jean Schiltz (1951), formaient un couple inséparable. Le premier avait été directeur de l’institut vitivinicole, le second avait joué dans l’équipe nationale de foot, tous les deux ont siégé, le temps d’une mandature, à la Chambre. Ils se sentent trahis : « Mir wollten hien opbauen, mee et konnt him net schnell genuch goen », dit Schiltz

Raymond Weydert finit par céder la place à son jeune rival, renonçant à se représenter aux élections de 2023. En bon tacticien, Ternes avait peu à peu pris le contrôle de la section du parti, choisissant de nouveaux candidats, marginalisant l’ancien chef. Celui-ci prendra sa revanche cinq jours chrono avant les communales. Sous le titre « ein jüngerer CSV-Politiker ist scharf auf seinen Posten », le Tageblatt publie un long portrait du maire sortant. Si Weydert ne se représentait plus, ce serait « nicht wirklich freiwillig », y lit-on. Fréd Ternes aurait fait « ein wenig Druck », sous-entend Weydert : « Wir Älteren sind da anscheinend nicht mehr auf ihrer Linie. […] Die Chemie stimmt nicht mehr. » Le journaliste paraphrase le maire sortant: « Seine Nichte Stéphanie Weydert frage ihn oft um Rat. Fréd Ternes nicht. » Puis une citation directe et assassine : « Der braucht mich nicht, der weiß alles. » Weydert semble souhaiter implicitement que son ami, le socialiste Jean Schiltz, remporte les élections, ce qui leur permettrait de continuer à passer du temps ensemble à la mairie.

Mais, à la surprise générale, Ternes et ses disciples arrivent à limiter les dégâts ; le CSV perd cinq points, mais reste de loin le premier parti avec 40,5 pour cent. Ternes se méfie du LSAP et du DP, qu’il soupçonne d’avoir planifié une majorité sans lui. Il se tourne donc vers les Verts qui acceptent sans tarder. Fréd Ternes a gagné son pari. Ce n’est pas comme s’il avait caché ses ambitions. À la page 86 de son livre de 2021, on trouve déjà un petit « Gedankenexperiment » : Il deviendrait maire de sa commune, sans briguer de mandat national. (Ses résultats aux législatives de 2013 et 2018 ne furent pas enivrants : Il se classa 17e puis 14e dans la circo Centre.)

Face au Land, il réaffirme sa position : À ses yeux, on ne pourrait combiner les mandats de député et de bourgmestre. Et de promettre qu’avant de briguer un mandat national, il se donnerait un plan de sortie communal. En attendant, Fréd Ternes bénéficie de quarante heures de congé politique, Niederanven comptant plus de 6 000 habitants (6 876 au début juillet, pour être exact). Il admet avoir un « penchant perfectionniste », que ses adversaires politiques considèrent comme de l’intransigeance, assez éloignée des prétentions participatives.

Le maire est fils de profs : Sa mère a enseigné le français (d’où l’accent aigu sur « Fréd », diminutif pour « Frédéric »), son père les maths, avant de devenir le premier directeur du Lycée Aline Mayrisch. Fréd Ternes a étudié à la même business school bruxelloise qu’Étienne Schneider, mais a passé sa courte carrière professionnelle à l’État. Il se réfère souvent à son ethos de scout. Sa socialisation politique a été marquée par les Lëtzebuerger Guiden a Scouten qui ont vu passer une bonne partie de la nouvelle garde chrétienne-sociale : Christian Weis, Alex Donnersbach, Basile Dell, les sœurs Kemp. Fréd Ternes est élu secrétaire général de la CSJ en février 2014, cinq mois après la chute du CSV-Staat. Avec le président Charel Hurt, il réclame une discussion critique « d’égal à égal » avec la Mammepartei. À première vue, le nouveau duo dirigeant semble suivre les règles du jeu habituelles, c’est-à-dire chercher à se distinguer en endossant le costume du critique gentil et de « mauvaise conscience du parti ».

Or dès 2015, Hurt et Ternes entrent en collision frontale avec le CSV. En amont du référendum, les jeunes de la CSJ prennent position pour le droit de vote des étrangers. La direction du parti n’est pas amused. La pression qu’elle exerce sur les déviants politiques est massive. Ternes se souvient ainsi avoir été violemment insulté par celui qui était alors le président du CSV, Michel Wolter. « C’était un peu l’effet Trump », dit Ternes aujourd’hui. Au lendemain de 2013, Wolter se serait présenté comme « de grousse Macker ». Affaibli et désorienté, le parti aurait été un moment tenté de suivre celui qui parlait le plus fort et qui avait les idées les plus tranchées.

En 2016, Fréd Ternes renonce à la présidence de la CSJ, pour laquelle il était pressenti. Il préfère pousser Elisabeth Margue à prendre la succession de Charel Hurt. Ce dernier se retrouve aujourd’hui coordinateur général au ministère de Serge Wilmes, son prédécesseur à la CSJ. Quant à Pit Bouché, que Ternes décrit comme son « meilleur ami », il quitte le CSV en 2019 pour rejoindre les Verts comme coordinateur en 2020. Au lendemain du naufrage électoral, il est repêché par Elisabeth Margue qui en fait son chef de cabinet au ministère de la Justice. Les réseaux de la CSJ sont étonnamment solides.

Contrairement à Bouché, Ternes est toujours resté fidèle au CSV. Ce qui l’y attirerait, ce serait la recherche de compromis entre « les piliers » libéral, social et écologique. « Gambia était en fait comme le CSV avec ses trois grands courants. » Mais il précise ne pas être « un soldat du parti » : « Ech si net politesch bestuet ». Il rappelle le papier de réflexion « Mir wëlle méi ! » qu’il avait corédigé et qui appelait le CSV à faire sa mue de « Wahlverein » en « Denkfabrik ». C’était surtout une manière de s’émanciper du culte junckérien. La figure tutélaire était devenue encombrante. Presqu’une décennie plus tard, un autre président de la CSJ, Alex Donnersbach, sera un des premiers à saluer le retour du nouvel homme providentiel, Luc Frieden. Même s’il dit ne « pas toujours être en ligne » avec le Premier ministre, Fréd Ternes estime que celui-ci serait mal perçu dans le public : « Si on prend un verre avec Luc Frieden, da wierkt hie ganz anescht wéi an der Press », assure-t-il.

Fréd Ternes est le maire de la commune la plus riche du pays. Selon le Statec, le salaire médian serait de 6 660 euros à Niederanven (tandis que le salaire moyen monte à 12 645 euros), soit deux fois plus qu’à Wiltz, Esch-sur-Alzette ou Differdange. Ternes souligne le creusement des inégalités, qui serait « frappant » : « D’Schéier gëtt extrem grouss ». Il décrit l’étalement de la richesse : « Certaines maisons sont aussi grandes qu’une école. On a même des gens qui veulent racheter la maison de leur voisin, juste pour transformer leur jardin en parc. »

Au milieu de cette richesse obscène, une misère cachée : « J’ai dû fermer une maison unifamiliale dans laquelle cinq familles étaient logées, dont une vivait dans la cave, sans fenêtres avec un seul matelas ». Le propriétaire aurait été un « Stacklëtzebuerger de la classe moyenne ». Ternes dénonce des pratiques « vraiment dégueulasses », et plaide pour une « hausse extrême » des amendes. (Actuellement, le bailleur fautif doit prendre en charge les frais de relogement pour une durée de trois mois.) Dans le cas présent, le propriétaire aurait proposé de reloger les locataires dans une maison désaffectée avec un toit qui coulait et un chauffage en panne, relate Ternes. Le marchand de sommeil aurait lancé : « Do wou si hierkommen, hunn si am Bamhaus gelieft ; besser hei wéi do. » En entendant cela, Fréd Ternes dit avoir vu rouge. La Police aurait dû le « retenir ».

Bernard Thomas
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