Lucien Lux n’était pas là. L’ancien ministre et syndicaliste, qui voulait se recycler en « conscience sociale » d’Etienne Schneider, n’est plus très assidu aux congrès depuis son échec cuisant aux légistaltives de 2013 et le refus de son parti de lui confectionner un poste de secrétaire d’État sur mesure. Il a désormais sa « planque » au Conseil d’État, « nommé sans égards pour nos statuts » comme le soulignera Philippe Meyers, candidat à la présidence du parti. Dan Kersch et Véra Spautz, anciens querelleurs du bord gauche du parti, lui reprochant régulièrement d’être à la merci des chrétiens-sociaux ou, comme Véra Spautz encore en décembre dernier, de l’idéologie libérale, sont désormais mandataires, le premier ministre de l’Intérieur, la seconde bourgmestre de la ville d’Esch-sur-Alzette. Cela leur a visiblement suffi pour tenir désormais leur langue dans leur poche. Le congrès national du LSAP, qui s’est tenu dimanche à Ettelbruck, était donc à l’image de cette esthétique de province qu’est celle du Däichhal qui les accueillait : tout scintillant, tout brillant, tout arrondi, sans originalité ni aspérité.
Les seules critiques exprimées par de rares voix dissonantes concernaient le fonctionnement interne du parti plutôt que l’idéologie d’austérité qu’il porte avec le gouvernement Bettel-Schneider-Braz. Si donc Philippe Meyers, 41 ans, conseiller communal à Dippach et candidat suprise à la présidence du parti, prit la parole, c’était pour critiquer le manque de renouveau dans les structures décisionnelles, le manque de communication, de transparence ou de dialogue. Même constat de la part de Sammy Wagner, président des Jeunesses socialistes : « Notre communication n’est toujours pas arrivée au XXIe siècle, dit-il, nous devons encourager un dialogue proactif et direct avec les citoyens. » Les non-Luxembourgeois regroupés dans le Spic (Socialistes pour l’intégration et la citoyenneté) aimeraient que le LSAP leur facilite la compréhension et l’échange par une communication multilingue et rêvent d’une prise de position ouverte du parti contre le racisme et la xénophobie, de plus en plus ouvertement exprimés dans la société, selon Sosthène Lembella. À toutes ces critiques timides, le nouveau président Claude Haagen, élu avec seulement 77 pour cent des voix (voir ci-contre), répondit par la promesse de vouloir travailler en équipe, en incluant toutes les sections, toutes les organisations du parti et tous les membres désireux de s’impliquer.
Mais où est la gauche de la gauche ? Où sont les syndicalistes du Sud qui constituèrent sa moëlle épinière et sa conscience sociale ? La nouvelle vice-présidente Taina Bofferding, 91 pour cent des voix, 32 ans, députée et conseillère communale à Esch, ne prit pas la parole ; pourtant, fonctionnaire syndicale à l’OGBL, elle aurait cette crédibilité pour représenter le bord gauche. Claude Haagen, 52 ans, député-maire de Diekirch et nouveau président, Georges Engel, 46 ans, député-maire de Sanem, deuxième vice-président avec 92 pour cent des voix, et Yves Cruchten, 39 ans, député, réélu secrétaire général avec 93 pour cent des suffrages, sont plutôt de fidèles soldats du parti. Donc, si Yves Cruchten promit que « notre renouveau continue, sans faire beaucoup de vagues », cela veut peut-être aussi dire que le LSAP est de moins en moins à gauche.
Même cinq mois après les élections anticipées, plus de cent jours après l’entrée en fonction du nouveau gouvernement, le principal ennemi politique du LSAP reste le CSV. Celui de Jean-Claude Juncker, dont la chute fut attribuée par plusieurs orateurs à Alex Bodry, l’intransigeant président sortant et son rôle dans l’affaire du Service de renseignement. Ce même Juncker qui, en même temps, « otage de Madame Merkel » dans sa course à la présidence de la Commission européenne, serait le dernier rempart, avec Luc Frieden, deuxième voix modérée, contre une politique d’opposition hyper-agressive du CSV qu’Alex Bodry n’hésita pas à comparer à celle de 1974-1979.
Le nouvel homme fort du LSAP, pas de doute à cela, est Etienne Schneider, très libéral vice-Premier ministre et artisan de cette coalition. Il en vante toujours l’excellent esprit d’équipe et la volonté ininterrompue de moderniser le pays avec des réformes sociétales, qui seraient réalisées dès cette année – abolition du divorce pour faute ou de la deuxième consultation obligatoire avant un avortement ; mariage homosexuel avec droit à l’adoption ; séparation entre l’Église et l’État par l’abolition de l’instruction religieuse à l’école et son financement par l’introduction d’un impôt facultatif pour les Églises... « À tous ceux qui doutent de la volonté de Gambia de faire des réformes, je dis : attendez les prochains mois, et vous allez voir ce que vous allez voir ! s’enthousiasma-t-il. Nous sommes très dynamiques et nous avons une grande volonté de réformer ce pays ! ».
Selon lui, l’augmentation de la TVA de deux points de pour cent ne sera introduite que le 1er janvier 2015 parce que le gouvernement voulait d’abord afficher sa propre volonté de faire des économies dans ses budgets de fonctionnement avant de faire participer les citoyens. Le budget d’État pour 2015 comportera, toujours selon Etienne Schneider, toutes les mesures d’austérité prévues par ce gouvernement durant la législature, « et après, on n’importunera plus les gens ». La grande réforme du système fiscal sera prête en 2016, pour entrer en vigueur en 2017.
Les 300 délégués ayant fait le déplacement à Ettelbruck, eux, semblaient un peu perdus dans ce renouveau idéologique du parti, applaudissant sagement les uns et les autres, ovationnant l’ancien et le nouveau président. La meilleure illustration en fut probablement la prise de bec entre les Jeunesses socialistes et Etienne Schneider, les premiers critiquant la réforme des bourses d’études comme socialement injuste pour les étudiants et demandant l’introduction d’une « allocation d’autonomie » pour tous les étudiants, le second justifiant la réforme par le besoin de faire des économies en temps de rigueur budgétaire. Les délégués semblaient vouloir ménager la chèvre et le chou et adhérer aux deux positions. Néanmoins, à la fin, la demande des jeunes fut rejetée et la loyauté du LSAP vis-à-vis de cette mesure d’un ministre libéral resta saine et sauve.