Vers l'égalité en petites foulées

d'Lëtzebuerger Land du 19.09.2025

Revendiquer le droit des femmes à pratiquer du sport où elles veulent, quand elles veulent et dans la tenue qu’elles veulent, telle est la raison d’être de Sine Qua Non. Créée à Paris en 2017, un peu avant le mouvement #MeToo, l’association a d’abord organisé de grandes courses dans la capitale française. Puis, peu à peu, des équipes se sont développées dans une soixantaine d’autres villes francophones. Après avoir découvert ce mouvement par le biais de la journaliste et coach sportive Lucile Woodward, Marie Everat en est devenue ambassadrice au Luxembourg. Cela fait maintenant un an et demi qu’elle a mis en place la séance de running, « Lëtz Run for Equality ». Chaque mardi soir à 19h, ses membres se réunissent dans le quartier de Bonnevoie pour une course d'environ six kilomètres. Assise sur les marches de l’église Place Léon XIII, on la repère de loin avec son T-shirt violet, la couleur de Sine Qua Non.

« Tandis que certains organismes promeuvent l’égalité homme-femme dans le sport professionnel, Sine Qua Non s’engage sur le plan du sport amateur, celui du quotidien », explique Marie Everat. En effet, un premier constat saute aux yeux : les femmes sont beaucoup moins nombreuses à pratiquer une activité physique à l’extérieur que les hommes. Celles qui travaillent n’ont l’occasion de pratiquer leur sport que tôt le matin ou le soir, une fois rentrées du boulot. « À la différence des hommes dans la même situation, beaucoup n’osent pas sortir seules, surtout quand il fait sombre », poursuit la coureuse. Sans aller jusqu’à l’agression, les commentaires sexualisant le corps des coureuses et même les encouragements, non sollicités, dérangent. D’après une étude menée par Adidas en 2023, 92 pour cent des femmes se sentent inquiètes pour leur sécurité lorsqu’elles courent et, parmi celles qui ont été victimes de harcèlement, 46 pour cent ont même renoncé à la course à pied. La plupart des femmes avertissent un proche avant et après leur footing, certaines portent un traceur GPS, voire une bombe lacrymo.

Les séances de running de Sine Qua Non à Bonnevoie sont ouvertes à tous, peu importe le niveau. Des mères de famille se mêlent aux trentenaires et à des jeunes effectuant leur stage au Luxembourg. Elles sont rejointes par une soixantenaire, la doyenne du groupe. Un seul homme est présent pour cette séance. Si ces derniers sont rares, ils sont les bienvenus. Au-delà de se soutenir dans leur pratique, les coureuses s’engagent aussi à travers des événements comme Octobre Rose, la Journée internationale des droits des femmes ou encore lors d’un hommage à la marathonienne ougandaise Rebecca Cheptegei, immolée par son compagnon en l’année dernière. Marie Everat estime que de nombreuses femmes renonceraient à la course sans la sécurité et la motivation qu’apportent le groupe.

Pourtant, le sport est essentiel. À commencer par la santé physique. « Les accidents cardio-vasculaires sont la première cause de mortalité chez les femmes », rappelle l’ambassadrice Sine Qua Non. L’initiatrice de « Lëtz Run for Equality », passionnée de trail et pour qui le sport est un « pilier fondamental », réaffirme aussi l’importance qu’il revêt pour la santé mentale. Le sport est aussi un levier d’émancipation : Pratiquer une activité physique, c’est aussi prendre du temps pour soi. Outre le développement d’équipe dans d’autres régions du Luxembourg, Marie Everat souhaiterait voir le plan d’action égalité homme-femme, porté par la Ville de Luxembourg, se renforcer dans l’espace public. Celui-ci pourrait passer, entre autres, par des sessions de sport exclusivement réservées aux filles et financées par les communes.

S’il est encore nécessaire de mener de telles actions en faveur du sport d’extérieur pour les filles et les femmes, c’est que l’espace public reste majoritairement un territoire masculin, comme le détaille le récent ouvrage Pour un spatio-féminisme de l’historienne Nepthys Zwer.

Après un échauffement en cercle autour de Marie Everat, la troupe s'élance dans les rues avant de descendre dans la forêt. Des duos se forment et les discussions, en langue diverses, se frayent un chemin entre deux respirations. Alors que la vague mauve déferle sur les bords de l’Alzette, occupant toute la largeur de la route, l'aînée du groupe s'écrie, amusée : « On prend toute la place ! ».

Yolène Le Bras
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