Dans les espaces de Ceysson-Bénétière au Wandhaff, les toiles de Brandy déploient la geste de l’art, au-delà du geste pictural

Peintures dénouées, décroisées

d'Lëtzebuerger Land vom 01.11.2024

C’est l’impression qui d’emblée saisit le visiteur, combien les grands formats (et il en est bien besoin) des dernières peintures de Robert Brandy, datant toutes des dernières années, et la plupart allant à deux mètres de largeur, voire plus, conviennent aux amples espaces de la galerie. Carrément, on dira qu’ils les habitent, les peuplent, leur donnent leur respiration, leur vie. Le titre de l’exposition, Open Landscape, invite à d’autres rapprochements, des paysages qui s’offrent à nous, se juxtaposent, et l’on passerait comme on le fait dans le mouvement d’un voyage.

Passons à une dernière comparaison, sur un tout autre terrain : des variations dont la musique est friande, sur un thème donné, avec ce que cela comporte de répétition rassurante. « Nur mit der Melodei seid Ihr ein wenig frei ; … / Jetzt richtet mir noch einen zweiten Bar, / damit man merk‘, welch‘ der erste war… » Les conseils de Sachs à Walther von Stolzing, dans les Meistersinger, Robert Brandy semble les avoir suivis tout à fait, une charpente qui revient d’une toile à l’autre, toujours diverse quand même, nœuds qui se défont, croix défigurées, et entre les grosses et puissantes traînées d’encre de Chine, l’épanouissement, la floraison des nuances colorées.

Autre chose encore, on pourrait lire les traces ou traits noirs comme les articulations de cette peinture. Seulement, elles sont saisies à l’instant même (d’où intrusion temporelle) où elles cessent d’être rattachées, peintures donc également désarticulées, avec ce paradoxe qu’elles tirent justement leur grande force expressive de ce moment de rupture. Jonctions qui s’écartent, tels des carrefours qui invitent au choix, qui essaiment et ouvrent paysages et peintures dans tous les sens, au-delà de toutes limites.

On aura deviné que la liberté dont parle Sachs, alors liée à la mélodie, dans ces œuvres de Robert Brandy, nous la trouvons, et elle en fait la distinction, ou le raffinement, face à la rudesse, dans les volées (pour insister sur la légèreté la plupart du temps) des couleurs. Celles auxquelles Robert Brandy nous a habitués, et qui ramènent à la perception ou la saisie de paysages, telle que Jean Sorrente la cite à travers Hélène Berr et son expérience de regarder le monde à l’envers, tête renversée, dans « l’harmonie merveilleuse des couleurs », l’ocre tirant indifféremment au jaune, au brun, au rouge, le bleu, le vert.

Bien sûr, les peintures de Robert Brandy vivent autant du geste, aujourd’hui, c’est-à-dire dans ces toiles des dernières années, plus cinglant que jamais, que du caractère velouté, même nuageux, des nuances autour. Les deux en font la richesse et la profondeur, et l’exposition en devient le récit, l’histoire avec de multiples chapitres, la geste de la peinture dans les faits d’un artiste tout personnel.

Lucien Kayser
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