Comparaison des recettes et dépenses fiscales dans les pays de l’OCDE

Taxation tous azimuts (sauf au Luxembourg)

Lors de la visite du secrétaire général de l’OCDE, Mathias Cormann,  à Luxembourg  le 28 avril
Foto: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land vom 19.09.2025

La coïncidence de dates est fortuite mais très révélatrice. Trois jours à peine après la chute du Premier ministre français, causée entre autres par son projet d’augmentation des impôts, l’OCDE a révélé le 11 septembre l’existence d’une tendance mondiale à l’alourdissement de la fiscalité pour répondre à la hausse des dépenses occasionnées par le vieillissement démographique. La dixième édition du rapport « Tax Policy Reforms: OECD and Selected Partner Economies » a analysé l’évolution de la fiscalité et des réformes fiscales mises en œuvre en 2024 dans 86 juridictions, dont les 38 de l’OCDE. Entre les lignes, le document de 72 pages décerne une forme de satisfecit au Luxembourg.

Le vieillissement démographique se traduit par une augmentation des dépenses de santé, qui atteignent en moyenne dix pour cent du PIB des pays de l’OCDE, avec en Europe des taux supérieurs en Allemagne ou en France par exemple (plus de douze pour cent). Pour y faire face, de nombreux gouvernements ont relevé dès 2022 les taux des cotisations de sécurité sociale, après une période de baisse entre 2015 et 2021 : dans les pays les plus riches de l’organisation elles représentent 22,5 pour cent des recettes fiscales, et plus du tiers dans plusieurs grands pays de l’UE (Allemagne, Espagne, Pologne).

En plus d’avoir à financer des dépenses toujours plus élevées, les États doivent aussi compenser le manque à gagner dû à l’instauration ou au renforcement de dispositifs d’allègements de l’impôt sur le revenu des personnes physiques visant à soutenir l’emploi, en faveur de certains secteurs ou groupes démographiques. Ces initiatives, nombreuses en 2024, ont souvent pour but d’atténuer certains effets du vieillissement de la population. Il faut donc trouver de nouvelles ressources et la palette est large. Une tendance observée en 2023, à savoir l’abandon progressif des mesures d’allègement fiscal de grande ampleur introduites durant la pandémie de Covid-19 et la période d’inflation qui a suivi, s’est poursuivie et amplifiée en 2024.

« La politique fiscale a joué un rôle de stabilisateur en protégeant les ménages et en soutenant la demande, à la suite des récents chocs, a déclaré l’australien Mathias Cormann, le secrétaire général de l’OCDE. Les gouvernements engagent désormais des réformes fiscales visant à rétablir l’équilibre des finances publiques, une évolution positive afin de garantir la stabilité budgétaire, anticiper les défis à venir et faire face aux transformations structurelles à long terme. » En particulier, de nombreux pays comme l’Allemagne ou l’Irlande ont continué à supprimer en 2024 les baisses temporaires des taux de TVA sur des biens et services essentiels comme les produits alimentaires ou les médicaments, à mesure que les tensions inflationnistes s’estompaient. Certains gouvernements ont même choisi de relever leur taux normal de TVA (Finlande, Slovaquie, Suisse, Turquie).

Les auteurs du rapport notent par ailleurs que les réformes des droits d’accise liés à la santé ont pris de l’ampleur en 2024, autant pour lever de nouvelles recettes que comme outil de promotion de modes de vie plus sains. De nombreux gouvernements ont ainsi relevé les taxes sur le tabac, l’alcool et les boissons sucrées. Ainsi en France la « taxe soda » créée en 2012 sur les boissons sucrées et édulcorées, afin de lutter contre la surconsommation de sucre et à financer la santé publique, a été fortement rehaussée en 2025. Du côté de l’énergie, les allègements temporaires de taxes sur les carburants consenties en 2022 ont fait place en 2024 à des hausses des droits d’accise. Et les pays à revenu élevé ont augmenté les prix du carbone pour la deuxième année consécutive, plusieurs d’entre eux ayant choisi soit de relever les taux d’imposition du carbone, soit d’étendre l’application de la taxe à de nouveaux secteurs comme le transport maritime ou l’agriculture.

Dans ce paysage un peu déprimant, le Luxembourg apparaît comme un havre de paix. Il est vrai qu’avec des finances publiques saines (déficit budgétaire très faible, endettement global dérisoire), il ne subit pas les mêmes pressions que d’autres pays, parmi lesquels ses voisins immédiats. À rebours de la tendance majoritaire, il n’a pas (encore, dans le rapport) augmenté ses taux de cotisations sociales. Ces dernières ne représentent d’ailleurs que 27 pour cent de ses recettes fiscales, contre 30 à 37 pour cent dans les quatre pays voisins (Allemagne, Belgique, France, Pays-Bas) ainsi qu’en Espagne et en Italie. Une proportion néanmoins très supérieure à celle de l’Irlande (15,2 pour cent) et à celles rencontrées en Amérique du Nord (13,5 pour cent aux États-Unis et au Canada).

En revanche l’impôt sur le revenu des personnes physiques, qui pèse autant que les cotisations, a fait l’objet de nombreuses attentions, allant toutes dans le sens de son adoucissement. Le rapport de l’OCDE cite l’allègement accordé aux familles ayant à charge des enfants ou des personnes handicapées, l’augmentation du montant du crédit d'impôt pour parents isolés avec enfants (les plus fortes hausses profitant aux contribuables à faibles revenus) et celle de l'abattement pour dépenses exceptionnelles liées aux enfants ne vivant pas au foyer.

Le Luxembourg fait partie des pays ayant instauré des dispositions fiscales avantageuses sur certains types de revenus. A été ainsi étendue la prime de participation, qui permet aux versements d'intéressement aux bénéfices d'être exonérés de moitié, de sorte qu'ils peuvent désormais représenter jusqu'à trente pour cent de la rémunération totale d'un salarié. Le Grand-Duché est aussi de ceux qui ont étendu leurs régimes fiscaux préférentiels aux travailleurs étrangers hautement qualifiés ou à revenus élevés. Alors que certaines dépenses payées par l'employeur étaient auparavant exonérées d'impôt, le nouveau régime introduit une « prime d'impatriation » pouvant atteindre 400 000 euros par an, bénéficiant d'une exonération fiscale de cinquante pour cent sur une période maximale de huit ans. Un nouveau crédit d'impôt pouvant atteindre 700 euros par an pour les heures supplémentaires effectuées par les travailleurs frontaliers a également été instauré.

La fiscalité luxembourgeoise se singularise par l’importance qu’y prennent les mesures en faveur de l’immobilier, dont le coût, à l’achat ou à la location, est très élevé par rapport aux pays voisins. Avec la Hongrie, l’Irlande, et le Canada, le Luxembourg fait partie des pays ayant annoncé ou déjà mis en place des modifications de l’IRPP destinées à améliorer l'accès au logement. En la matière, l’administration grand-ducale a fait feu de tout bois. Pour faciliter l’achat d’une résidence principale, le crédit d’impôt de 30 000 euros a été temporairement relevé à 40 000 euros au début 2024, tandis que la base imposable des acheteurs était temporairement réduite de moitié. Depuis le début 2025, une prime peut être accordée à de jeunes salariés de moins de 30 ans qui occupent un emploi au Luxembourg pour la première fois et gagnent moins de 100 000 euros par an. D’un montant (modeste) de 2 500 à 5 000 euros selon le salaire, elle est exonérée d’impôt sur le revenu à hauteur de 75 pour cent, l’exemption fiscale pouvant durer jusqu’à cinq ans avec le même employeur.

Les propriétaires occupants pourront bénéficier du relèvement des plafonds annuels d’intérêts déductibles. S’ils louent un logement par l'intermédiaire d'un organisme de gestion sociale, le taux d’exonération des revenus locatifs passe de 75 à 90 pour cent. Au moment de la vente du bien, ils seront moins imposés, le taux d'imposition des plus-values sur les transactions immobilières ayant été temporairement réduit de moitié : 25 pour cent au lieu de cinquante pour cent. Des exonérations existent pour les plus-values sur les biens immobiliers classés dans la catégorie d'efficacité énergétique la plus élevée ou utilisés en gestion locative sociale. Quant aux locataires, ils peuvent aussi être aidés à s’installer sous certaines conditions d’âge et de revenu. Depuis juin 2024, les salariés de moins de 30 ans peuvent obtenir une prime de loyer mensuelle allant jusqu’à 1 000 euros et bénéficiant d'une exonération fiscale de 25 pour cent.

Aujourd’hui l’IRPP et les cotisations sociales représentent ensemble 54 pour cent des recettes fiscales, contre 45 pour cent en 2000. L’impôt sur les sociétés (11,2 pour cent des recettes fiscales, une proportion supérieure à celle des pays voisins, mais comparable à celle des Pays-Bas) a également été allégé. Avec l’Autriche et le Portugal, le Luxembourg a été le seul pays à introduire une réduction de ses taux en 2024, mais elle est restée limitée. Le taux standard supérieur est passé de 17 pour cent à 16 pour cent et le taux réduit pour les petites entreprises a été ramené de 15 pour cent à 14 pour cent. Concernant la TVA enfin, qui représente 22 pour cent des recettes fiscales, après une réduction temporaire d’un point en 2023, le taux normal, le taux intermédiaire et le taux réduit ont retrouvé leurs niveaux habituels en janvier 2024. C’est le seul domaine où le Luxembourg aura suivi une tendance mondiale. Mais en contrepartie début 2025 le seuil d’exonération de TVA pour les petites entreprises a été relevé de 35 000 à 50 000 euros de chiffre d’affaires annuel.

Note de bas de page

Georges Canto
© 2025 d’Lëtzebuerger Land