Réforme des retraites et société du vieillissement

Notes pour plus tard

Luc Frieden attendant les syndicats le  3 septembre
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 19.09.2025

Parce que des milliers de résidents et de frontaliers ont préféré battre le pavé un samedi de juin contre l’orientation prospective de la politique sociale du tandem CSV-DP plutôt que suivre le conseil de ceux qui les invitaient à partir tâter de la truite ou se balader dans les bois, le gouvernement s’est résolu à mettre de l’eau dans son riesling. La « réforme » des retraites actée le 3 septembre après de laborieuses négociations avec les partenaires sociaux s’avère ainsi bien moins « offensive » que ce que le Premier ministre avait laissé transparaître lors de son discours sur l’état de la nation au mois de mai. La coalition a donc préféré épouser la contribution du groupe salarial du Conseil économique et social sur la pérennité financière du régime général d’assurance pension plutôt que celle du patronat. Le ton (plutôt blasé pour l’un, plutôt pugnace pour l’autre) employé dans les communiqués de presse envoyés par l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL) et l’Union des syndicats OGBL-LCGB après la publication des conclusions du Sozialronn en témoigne.

Une fois que le paquet de « réformes » du 3 septembre sera (probablement sans amendement significatif) voté à la Chambre des députés, ce ne sera pas pour autant la fin de l’histoire … ce qui est tout à fait normal ! Il est en effet consubstantiel à tout système de retraite par répartition de devoir régulièrement subir des ajustements destinés à corriger ses équilibres par nature instables (d’Land, 11.04.2025). Le Premier ministre avait très explicitement reconnu cet « éternel recommencement » obligatoire en déclarant lors du discours sur l’état de la nation qu’il ne s’évertuait à assurer « le financement du système (que) pour les quinze prochaines années ». Parce que, de son propre aveu, ce qui a été décidé n’est pas « la grande révolution ambitieuse des retraites que certains auraient souhaitée », il est à présent prévu que « le problème des pensions devra être traité à nouveau par un prochain gouvernement à l’horizon 2030 ». Cela implique, et c’est habile, que les citoyens luxembourgeois pourront/devront clairement exprimer leurs préférences s’agissant du financement — et — de la générosité du régime d’assurance pension lors des élections législatives de 2028.

Il sera à cette occasion intéressant de voir si, au-delà des seuls citoyens qui pour beaucoup sont des retraités ou des fonctionnaires, les résidents étrangers et les travailleurs frontaliers pourront/voudront influencer les offres de « réforme » du régime des retraites qui seront proposées par les différents partis politiques. Après tout, et contrairement à ce qui est parfois avancé, la Chambre des députés n’est pas là pour s’occuper des préoccupations des seuls citoyens. Évidemment, il n’est pas totalement exclu, quoique faiblement probable, qu’une surprenante période de félicité économique tombera du ciel d’ici 2030, par exemple grâce aux investissements dans le domaine spatial. Dans un tel scénario favorable, les besoins futurs d’ajustement seraient repoussés et il pourrait même arriver que le Grand-Duché se laisse aller, comme en 2002 (Rentendësch), à augmenter la générosité du régime d’assurance pension. Aussi, et c’est une très rassurante nouvelle, s’il n’existe que deux voies, à savoir davantage de recettes et/ou moins de dépenses, pour tenter d’améliorer les comptes d’un régime de retraite projeté en déficit, les combinaisons pour ce faire sont multiples, voire inépuisables. Il sera par conséquent toujours possible une fois la bise (re)venue :

1/ D’augmenter plus résolument les taux de cotisation en accord avec les déclarations de l’ancien ministre Mars Di Bartolomeo qui disait en 2012 qu’« une augmentation supportable et progressive des cotisations de 24 à 30 pour cent fait partie de la réforme, même si les augmentations ne sont pas pour aujourd’hui, ni pour demain, mais quand l’équilibre financier du système sera menacé » ;

2/ D’introduire une obligation de continuation de cotisation à charge des retraités n’ouvrant droit à aucune prestation sur le modèle de l’acquittement par eux de l’impôt de solidarité au profit du fonds pour l’emploi même s’ils ne risquent pas de bénéficier des indemnités de chômage ;

3/ De sous-indexer les pensions exportées aux non-résidents après avoir négocié auprès des autorités européennes une dérogation cohérente avec les passe-droits qui avaient été accordés au Royaume-Uni en amont du vote sur le Brexit ;

4/ De moduler les taux de cotisation en fonction du genre et des catégories socio-professionnelles afin d’internaliser dans le système le fait que l’espérance de vie à la retraite est plus élevée pour les femmes et les cadres que pour les hommes et les ouvriers ;

5/ De mettre fin aux pensions de réversion qui coûtent cher, violent le principe « prestations si et seulement si cotisations » et sont en contradiction avec le « projet de société » d’individualisation de la fiscalité et des droits sociaux ;

6/ De creuser l’écart entre la pension moyenne et le salaire moyen en appliquant la délicate recommandation d’« avancer de 2052 à 2037 l’introduction des taux de remplacement prévus par la réforme de 2012 » faite par l’OCDE au Luxembourg ;

7/ D’obliger les entreprises à verser les primes de fin d’année directement sur un compte d’épargne retraite des salariés ;

8/ De forcer le rapprochement de l’âge effectif de départ en pension avec l’âge légal, voire de remettre l’âge légal au niveau qui était le sien lors de l’introduction du régime obligatoire d’assurance pension pour les ouvriers et les employés privés en 1911 (c’est-à-dire 68 ans) ;

9/ De refondre totalement le système afin de le rendre un peu moins bismarckien et davantage beveridgien.

Néanmoins, et c’est une très inquiétante nouvelle, les jérémiades, les tractations et même les accords sur le financement du régime d’assurance pension n’épuisent absolument pas le sujet des — très — nombreux défis posés par la progressive transformation du Grand-Duché en une société vieillissante. Cela n’est curieusement pas assez dit/compris, mais la « soutenabilité » du régime d’assurance pension n’est qu’une simple affaire d’arithmétique des transferts intergénérationnels. Le besoin sans cesse croissant de soignants et d’aidants, la nécessaire adaptation des logements, des quartiers et du transport au vieillissement, la gestion des impacts négatifs du réchauffement climatique sur le bien-être des seniors, la modernisation du modèle luxembourgeois de maintien à domicile des personnes dépendantes, les demandes pressantes des autres pays de la Grande Région pour que le Grand-Duché contribue — davantage — au financement de la dépendance des anciens travailleurs frontaliers, la solitude et la pauvreté sentimentale des seniors sans conjoint ni (petits-)enfants, les houleuses et douloureuses questions autour du libre choix en fin de vie, les résistances à l’adoption des nouvelles gérontechnologies, l’accompagnement des personnes âgées face à la montée de l’insécurité numérique, l’homoploutie du grand âge et l’explosion des inégalités de patrimoine à cause du cemetery boom sont des défis autrement plus redoutables, voire des problèmes sans solution.

Croire que l’Alpha et l’Omega de la société du vieillissement se résument à la santé financière de la Caisse nationale d’assurance pension revient donc à réduire une transformation anthropologique sans précédent à une simple affaire de comptabilité d’engagement. La macarena dansée autour de la « réforme » du système des pensions étant sur pause, commander au Conseil économique et social un rapport œcuménique sur les voies et moyens d’adaptation de la société luxembourgeoise à son vieillissement inéluctable ne serait sans doute pas superflu.

Pour le pays

Alors que plusieurs partis politiques lorgnaient sur les naturalisés du Brésil durant la campagne électorale des législatives 2023 avec les yeux de Chimène, le député Fred Keup a déclaré au Wort qu’« un Parlement ne représente pas les habitants d’un pays, mais ceux qui ont cette nationalité ». Il s’agit là d’une assertion qui se discute dans la mesure où l’article 62 de la Constitution du Grand-Duché de Luxembourg dit que « la Chambre des députés représente le pays » et que « les députés (…) ne peuvent avoir en vue que l’intérêt général », c’est-à-dire, en principe, qu’ils doivent pondérer entre les intérêts de tous ceux qui font le Grand-Duché (citoyens, mineurs luxembourgeois (qui ne sont pas - encore - des citoyens), résidents étrangers, travailleurs frontaliers).

En 2024, comme en 2025, le président de la Chambre des députés Claude Wiseler a (lors de la traditionnelle réception de nouvel an de la Chambre) évoqué ce que les députés pouvaient entreprendre pour remplir leur mandat « au service des citoyens », rappelé que le Parlement devait être « l’endroit où les citoyens se sentent représentés » et soutenu que « les préoccupations des citoyens » devaient être au centre des débats à la Chambre. Si ses propos sont moins discutables que la déclaration susmentionnée du député Fred Keup, il peut toutefois (lui) être reproché l’évocation du seul lien entre les citoyens et les députés quand il aurait été pertinent et souhaitable de signaler que le cœur du Parlement bat également pour les résidents étrangers et les travailleurs frontaliers. 

Julie Ming
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