Monique Kieffer, la directrice de la Bibliothèque nationale, doit en avoir les larmes aux yeux : alors que la BNL lutte depuis au moins vingt ans pour avoir un nouveau bâtiment offrant des conditions de conservation dignes de son patrimoine, dont certaines pièces sont vieilles d’un millénaire, l’Université du Luxembourg, qui n’a elle-même que sept ans, se voit offrir une généreuse Maison du livre avec 15 000 mètres carrés et plus de mille places de lecture. Selon les dernières promesses du gouvernement, la BNL devrait pouvoir entamer son chantier pour un budget total de 90 millions d’euros au Bricherhaff au Kirchberg après 2014 – date à laquelle le chantier de la Maison du livre devrait être terminé.
Et Josée Kirps, la directrice des Archives nationales, doit elle aussi se poser des questions : alors que le projet lauréat d’un concours d’architecture pour leur nouveau bâtiment, à Belval même, avait été désigné (Paul Bretz) et le projet de loi pour sa construction déposé et même avalisé par le Conseil d’État en 2004, le gouvernement de l’époque estima que les 84 millions d’euros étaient trop chers et les prévisions d’accroissement des stocks excessivement généreux – et euthanasia le projet. La Maison du livre du bureau Hermann [&] Valentiny, qui sera installée dans l’ancienne Möllerei, un impressionnant bâtiment industriel qui sera complètement dénoyauté et dont ne seront gardés que les murs extérieurs, à quelques pas de l’emplacement qui était prévu pour les Archives, accueillera en un premier temps les 500 000 livres des quatre bibliothèques universitaires éparpillées sur les sites de l’Uni.lu, dont 70 pour cent seront en accès libre, plus une capacité d’accroissement de 15 000 livres par an sur dix ans. Le budget de 59,5 millions d’euros, qui est prévu dans le projet de loi adopté par le gouvernement vendredi 28 janvier, ne semble pas davantage avoir été contesté que l’idée en soi de faire réaliser un tel projet – alors qu’à un certain moment, on parla même de transformer la BNL en bibliothèque « nationale et universitaire » pour la sauver.
C’est que, il y a plus de dix ans, le développement de Belval avait été déclaré « priorité des priorités » par un précédent gouvernement, avec, à la clé, la promesse d’un investissement public d’un milliard d’euros sur place. Et la coalition Juncker/Asselborn II ne veut pas rater le coche de « l’économie du savoir » et investit généreusement dans le développement de l’enseignement supérieur et de la recherche, notamment donc dans la Cité des sciences à Belval. Fort des chiffres que le ministre des Finances Luc Frieden (CSV) a pu présenter la semaine dernière – les rentrées budgétaires, notamment fiscales, pour 2010 dépasseraient les estimations de presque un milliard d’euros (voir d’Land 04/11) –, le gouvernement semble voir le bout du tunnel de la politique de stricte rigueur budgétaire en avalisant coup sur coup trois projets d’investissements à Belval dont deux lui avaient déjà été soumis en 2009 – la Maison du livre pour 59,5 millions d’euros et la Maison de l’innovation pour 36,7 millions –, plus celui de l’aménagement urbain de tout le site pour 58 millions.
Tour des chantiers Côté investissements publics, à Belval, il y a un chantier qui est achevé (la Rockhal, en 2005), un deuxième inauguré en 2010 mais réalisé directement par les CFL (la gare de Belval-Usines) et deux projets remis aux calendes grecques (les Archives nationales et le Centre national de la culture industrielle, qui devait documenter l’activité industrielle du Luxembourg, amputé lors du vote sur la restauration des hauts-fourneaux). Un grand bâtiment, la halle des soufflantes, qui avait été provisoirement restaurée pour abriter l’exposition sur l’éco-responsabilité All we need durant l’année culturelle 2007, attend toujours de savoir quelle sera sa destination finale – plusieurs idées circulent, comme par exemple celle d’en faire un stockage de collections de musées. Dans sa réponse à une question parlementaire de Marc Spautz (CSV), la ministre de la Culture Octavie Modert (CSV) vient d’annoncer qu’elle a commandité une étude de l’état de la structure métallique du toit avant de prendre une décision quant à son affectation et aux travaux à effectuer.
Mais il y a aussi des projets en voie d’achèvement, qui pourront être mis en fonction en début d’année encore. Il s’agit d’une part de l’Incubateur d’entreprises (Arlette Schneiders, 13 millions d’euros), au pied du haut-fourneau B, un chantier long et plusieurs fois interrompu. Et, d’autre part, beaucoup plus étonnant car non prévu dans le programme de construction initial, le bâtiment de biotechnologies, voisin du premier, commandité directement par l’Université afin qu’il accueille le Luxembourg Centre for Systems Biomedicine (WW+Architektur+Management, 6,8 millions d’euros) pourra lui aussi être occupé vers le mois d’avril.
À l’extrémité sud-est de la terrasse des hauts-fourneaux, la haute tour administrative, qui accueillera notamment le Fonds Belval lui-même, l’Administration de l’environnement et celle de la gestion de l’eau, ainsi que la Commission nationale pour la protection des données (Bruck [&] Weckerle, 57 millions d’euros) verra la fin de son gros-œuvre cette année et pourra être achevée l’année prochaine. À l’autre bout, le Lycée Belval (Jim Clemes, 111 millions d’euros), pourra abriter jusqu’à 1 500 élèves à la rentrée de septembre. Et les travaux de restauration des hauts-fourneaux commenceront dès que les conditions climatiques le permettront.
Au pied des bâtiments rouges feu de Dexia-Bil, qui, par leur présence, écrasent presque les hauts-fourneaux, le chantier pour le bâtiment principal de l’Université du Luxembourg, la Maison du savoir, qui abritera les fonctions communes comme les grands auditoires et le rectorat, avance enfin, après une année de préparations du sol (dégagement des vestiges industriels, analyse du degré de pollution, imprévus du terrain...). Cœur de l’Université et plus gros investissement de la Cité des sciences (136 millions d’euros ; Baumschlager Eberle [&] Christian Bauer), il devrait être achevé en 2014, date officielle du déménagement des premiers étudiants à Belval. Le chantier pour la Maison des sciences humaines (Tatiana Fabeck [&] Abscis, 67 millions d’euros) à commencé en novembre.
En octobre dernier avait également été déposé à la Chambre des députés, le projet de loi pour la construction de la Maison du nombre et une centrale de production de froid (Witry [&] Witry, 66,6 millions d’euros), comprenant en outre une Maison des arts et des étudiants (Witry [&] Witry, 16,4 millions), mais la commission du développement durable n’a pas encore commencé son analyse du projet. Le fait que les dossiers aient été débloqués au niveau du gouvernement pourrait aussi relancer les travaux au parlement.
Belval-miniature Après deux années de stagnation des procédures et de blocage des investissements étatiques, de catastrophes qui s’enchaînaient sur les chantiers du centre commercial et de dommages collatéraux des travaux sur la liaison Micheville, l’ancienne friche aurait en effet besoin d’un second souffle. Afin de promouvoir les investissements de l’État sur place et de mieux illustrer le développement projeté, le Fonds Belval a fait réaliser une impressionnante maquette à l’échelle 1:200, qui est la pièce maîtresse d’une exposition multi-médias sur la Cité des sciences installée dans le bâtiment Masse noire (en face de la Rockhal) et accessible au public. On y est accueilli par le recteur Rolf Tarrach en projection virtuelle grandeur nature, puis guidé à travers un parcours de bornes interactives développant les grands axes de cette Cité des sciences et expliquant les différents projets architecturaux1. L’exposition sera complétée et actualisée au fur et à mesure de l’évolution des projets.
Un des films qu’on peut y regarder concerne l’aménagement urbain, auquel le gouvernement vient également de donner son feu vert. Le paysagiste Michel Desvigne, connu au Luxembourg notamment pour avoir conçu le Park Dräi Eechelen, qui entoure le Mudam au Kirchberg, y présente son approche pour créer un véritable espace public entre cette multitude de bâtiments, devant faire le grand écart entre l’ancien patrimoine industriel et l’architecture contemporaine. La partie visible de son projet est conceptuelle et ludique à la fois2. À l’opposé d’autres sites semblables, notamment en Allemagne, qui ont laissé pousser une végétation naturelle, il a imaginé une organisation rigoureuse faite d’un tapis uniforme en brique noire, de bassins à plantes, de miroirs d’eau et de fontaines... et surtout de trois jardins d’hiver majestueux. Jouxtant les nouveaux bâtiments sur la terrasse des hauts-fourneaux, ce seront des structures métalliques légères de 1 000 mètres carrés chacune, avec une hauteur de 25 mètres. Citant les jardins d’hiver très à la mode au XIXe siècle dans les châteaux, ils sont une manière très urbaine d’organiser la végétation. Michel Desvigne souligne ainsi le côté artificiel, organisé et planifié du site, tout en créant des espaces où il fasse bon vivre, des espaces de repos et de rencontre. Ce qui manque encore à Belval.