Si eux ne réussissent pas une gestion exemplaire d’une fusion, qui y arriverait ? Ce mercredi, les conseils communaux de Bascharage (7 400 habitants) et de Clémency (2 200 habitants) ont été reçus au ministère de l’Intérieur pour finaliser les clauses du projet de fusion entre leurs deux entités, qui devrait être réalisée dans les vingt prochains mois pour être opérationnelle pour les élections communales d’octobre 2011. D’ici mercredi prochain, les édiles communaux attendent encore des réponses à deux de leurs questions – est-ce que les 25 millions d’euros que vaudrait cette fusion selon les règles arrêtées par le gouvernement, 2 500 euros par habitant, sont garantis, et la composition du futur conseil communal unique est-elle acquise, durant sa période de transition, avec 17 membres, et dans sa version durable (quinze membres) –, avant de lancer la prochaine étape, la délibération définitive sur la fusion dans les deux conseils communaux.
Puis suivra l’organisation d’un référendum qui devrait pouvoir avoir lieu à la fin de cette année ou au début de l’année prochaine. En parallèle, les deux conseils communaux négocieront les termes exacts de la fusion – Quels projets seront financés par les subsides étatiques ? Quel sera le fonctionnement pratique de la nouvelle commune et de ses services ? Quelles conditions pour la période de transition ? –, d’abord entre elles, puis aussi avec le ministère de l’Intérieur. Cet accord, coulé dans un projet de loi, devra ensuite encore passer les instances parlementaires durant la première moitié de 2011 afin que la fusion soit prête pour les élections et le nouveau conseil en place pour le 1er janvier 2012.
Michel Wolter, député-maire de Bascharage depuis un mois seulement, y va au pas de course. « Jusqu’ici, cela se passe très bien, » souligne-t-il. Et à quel point les deux conseils communaux s’entendent merveilleusement bien, trouvent très vite un consensus sur toutes les questions évoquées, « mais c’est normal que l’on puisse aller vite, car si on se pose les bonnes questions, les réponses s’imposent d’elles-mêmes. » Ainsi, les priorités de cette fusion seront surtout la modernisation des services techniques et administratifs de la commune et la construction de nouvelles infrastructures scolaires et d’encadrement des enfants à Clémency, plus peut-être la mise en place d’un plan culturel pour toute la commune, l’amélioration des moyens de communication et l’augmentation de la qualité de vie. « En tout cas, insiste le maire de Bascharage, nous respectons l’identité et les spécificités de Clémency. »
Car dans cette fusion un peu atypique, les deux alliés sont on ne peut plus différents : Bascharage est déjà une grande communauté avec une grande administration et une offre de services quasi citadine, alors que Clémency est une petite commune rurale un peu excentrée par rapport au reste du pays. Il serait donc naturel que les David aient peur du rouleau compresseur des Goliath. En plus, si le ministère de l’Intérieur encourage vivement les fusions des petites communes de moins de 3 000 habitants afin d’arriver à des communautés d’une certaine masse critique, Bascharage est déjà bien au-delà de cette limite et peut être considérée comme une des grandes villes du Sud. Qu’un agrandissement d’une des rares communes CSV du Sud y contrebalance un peu l’influence des socialistes n’est certainement pas pour déplaire au nouveau président du CSV.
« J’ai toujours estimé, de mon temps en tant que ministre de l’Intérieur déjà, qu’il y a deux seuils de communes, explique Michel Wolter. Le premier se situe aux alentours de 3 000 habitants, qui sont à mon avis nécessaires pour une commune moderne, et le deuxième est celui des 10 000 habitants, au-delà duquel on peut mieux structurer ses services – nous pourrons par exemple professionnaliser notre service technique avec un architecte et des ingénieurs. » 10 000 habitants, c’est aussi la limite au-delà de laquelle la commune a droit à un maire à plein-temps selon la nouvelle loi sur le congé politique.
Que ce projet de fusion dans le Sud soit regardé avec davantage d’intérêt peut-être que celui de petites communautés locales en cours, c’est aussi parce que, justement, Michel Wolter était l’instigateur, puis, en tant que président de la commission spéciale au Parlement, le principal défenseur de la réforme territoriale que son successeur au ministère, Jean-Marie Halsdorf (CSV) est en train d’essayer de réaliser. Donc il a maintenant la possibilité de vérifier en pratique la faisabilité de ses idées théoriques – et ses détracteurs de l’époque l’attendent au tournant.
Michel Wolter était entre autres encore ministre dans le gouvernement qui décida, en septembre 2002, dans le cadre des discussions préparatoires de la fusion des communes de Bastendorf et Fouhren, de soutenir toutes les nouvelles fusions de petites communes par une « prime spéciale » de l’ordre de 2 500 euros par habitant de la nouvelle commune. Cette somme servira à financer les nouvelles infrastructures ainsi que la modernisation des services communaux, techniques et administratifs. Dans un communiqué de presse « Contre des fusions forcées » du 28 janvier, le DP se demande d’ailleurs si ces fusions ne coûteront pas trop cher à l’État en temps de crise : « On peut dès lors se demander, vu la situation budgétaire actuelle, s’il est recommandable d’encourager voire de pousser un grand nombre de communes en direction d’une fusion ». Au ministère de l’Intérieur toutefois, on s’attend à une dépense de 90 millions d’euros sur dix ans pour les projets de fusion en cours, soit neuf millions par an, qui ne seraient, en pratique, qu’une redistribution d’une administration (étatique) vers une autre (communale).
Les premiers investissements spéciaux se font dans le cadre de la fusion des communes de Clervaux, Heinerscheid et Munshausen, coulée dans une loi du 28 mai 2009. « La mise en musique de cette fusion se passe en fait très bien, » affirme le député-maire de Munhausen, Emile Eicher (CSV). Les trois conseils communaux de cette commune qui, à partir du 1er janvier 2012, s’appellera Clervaux, se voient tous les quinze jours afin de préparer les réformes de leurs services et les projets d’infrastructures à envisager avec les 10,75 millions d’euros que leur apportera la fusion. La loi les énumère : une maison-relais, un nouveau hall pour le service technique, l’amélioration des infrastructures d’approvisionnement en eau potable, la remise en état ou la construction de stations d’épuration, la création d’une infrastructure de loisirs à couvert et d’une zone d’activités commerciales...
La mise en commun des services techniques des trois communes par exemple permettra une spécialisation et une professionnalisation des différents départements et l’acquisition de matériel plus performant. Au moins en un premier temps, chaque ancienne commune gardera une antenne locale des services communaux afin d’éviter des chemins administratifs trop longs aux citoyens. La majeure partie des discussions est actuellement consacrée à l’harmonisation des taxes communales, comme la difficile négociation du prix de l’eau.
Lors de la consultation de la population en amont de la loi, en octobre 2008, trois quarts des habitants soutenaient le projet de fusion, « même si certains de nos habitants craignaient que nous ne perdions une part de notre identité ». Durant une phase transitoire de deux mandats, les élections se feront dans trois sections distinctes qui correspondent aux anciennes communes, pour une assemblée de treize conseillers et trois échevins. En 2023, le nombre des élus sera réduit en fonction de la loi et du nombre d’habitants à ce moment-là.
Dans beaucoup de projets de fusion, des adaptations ponctuelles de la loi électorale durant une phase transitoire font partie des revendications des édiles communaux, surtout en ce qui concerne le nombre d’élus par ancienne commune et le système de vote selon le système majoritaire (normalement réservé aux communes comptant moins de 3 000 habitants) au lieu de la proportionnelle (qui demande la présentation de listes, plus lourde à mettre en place). Lors d’une tournée commune avec le président du Syvicol (Syndicat des villes et communes luxembourgeoises) Jean-Pierre Klein (LSAP) à travers le pays il y a un an, afin de présenter la nouvelle cartographie possible ainsi que la feuille de route, les mesures d’encouragement et les conditions à remplir pour une fusion, le ministre de l’Intérieur dressait deux scénarios possibles. Les deux modèles ont comme ambition de réduire quelque 73 communes actuelles de moins de 3 000 habitants à une trentaine d’entités à l’horizon 2017.
Il n’est pas certain que cette ambition puisse être réalisée. Mais plusieurs fusions pourraient encore se faire d’ici octobre 2011 : Fischbach, Larochette, Heffingen et Nommern viennent de présenter une enquête d’opinion réalisée par TNS-Ilres sur la qualité de vie dans ces quatre communes et l’adhésion de la population à l’idée d’une fusion. Il s’avère que ce n’est pas gagné, l’opinion positive se situant, selon la commune, soit légèrement en-dessous, soit au-dessus de la moitié des habitants ayant répondu au questionnaire – sauf à Laroch-ette, où l’adhésion est de 68 pour cent. Les conseils communaux des communes actuelles de Wellenstein, Schengen et Burmerange viennent de se prononcer majoritairement, la semaine dernière, en faveur de négociations politiques en vue d’une fusion sous le nom de Schengen ; un référendum pourrait avoir lieu en octobre prochain.
En outre, le ministère de l’Intérieur suit de près les projets de fusion d’Esch-sur-Sûre avec Heiderscheid et Neunhausen, pour laquelle le référendum le 7 juin 2009 a été positif et qui devrait aussi pouvoir passer le cap du vote de la loi d’ici les prochaines élections communales. Puis il y a encore les initiatives des communes de Koerich et Septfontaintes, d’Ermsdorf et Medernach ainsi que de Consthum avec Hosingen et Hoscheid.
Dans une question parlementaire du 9 novembre, le député André Bauler (DP) interpella d’ailleurs le ministre de l’Intérieur sur les conséquences que pourraient avoir certaines fusions envisagées, comme celle entre Reisdorf, Beaufort et Waldbillig, entre Vichten et Bissen, ou encore entre Saeul, Tuntange et Boevange/Attert, sur le découpage territorial du pays en trois districts ou quatre circonscriptions électorales, ces nouvelles communes étant alors traversées par ces frontières. Dans sa réponse, le ministre reste très vague, terminant par un simple « le débat reste ouvert sur ce point ». Il est prévu qu’il refasse un tour du pays au printemps pour savoir où en sont les projets par commune.