« Il faut une boîte noire au milieu. » François Kremer vante le mode alternatif de résolution des litiges par la médiation à la conférence de presse annuelle du Barreau lundi matin. « C’est confidentiel, c’est rapide et c’est pas cher », promeut l’ancien partner chez Arendt & Medernach (dorénavant of counsel) et Maître médiation au Barreau. L’efficacité de la justice est aussi mise en avant : « Un bon procès financier dure au moins dix ans. Une médiation peut se régler en six mois. » L’intermédiaire « neutre et impartial », peut être un avocat. Et l’intérêt attaché à sa fonction est qu’il bénéficie du secret professionnel.
Celui-ci tendait à s’affaiblir. L’Ordre des avocats se veut rassuré en ce début d’année judiciaire. Le 26 septembre dernier, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) lui a donné raison dans son recours, en soutien de Clifford Chance, contre l’Administration des contributions directes. Pour cette dernière le secret professionnel s’appliquait pour les procédures en justice, mais pas pour le conseil juridique. L’ACD avait demandé, en juin 2022, « toute la documentation disponible » sur les services que le cabinet avait fournis à une société espagnole pour une transaction. La Cour administrative avait conclu un an plus tôt dans l’arrêt dit « Panama papers » à l’inopposabilité du secret professionnel des avocats sollicités dans le cadre d’un contrôle fiscal. Remontés et prompts à se défendre, les avocats luxembourgeois ont été déboutés en première instance, mais en deuxième, le président de la Cour, Francis Delaporte, a questionné la CJUE. Dans son arrêt, « on ne peut être plus clair », juge le bâtonnier Albert Moro lundi, « le secret s’applique en toute matière du droit ». Mais la profession est à moitié rassurée : « Nous espérons que ce débat est clos. L’avenir nous le dira. » Le respect des communications est garanti par la Charte des droits fondamentaux de l’UE, mais cette dernière admet des limitations. Celles-ci doivent être prévues par la loi, en vertu « du principe de proportionnalité » et si elles « répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général ». Comme la lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment d’argent ?
Il est un autre pan où le secret professionnel de l’avocat est menacé : lors des perquisitions des études. Leur déroulement est mal encadré par la loi. Seule la présence du bâtonnier ou de son représentant est requise. D’usage, se plaint-on, les enquêteurs tentent de ratisser large et saisissent un maximum de pièces. L’Ordre ou l’avocat de la défense peut contester l’inclusion d’éléments au dossier et interjeter auprès de la chambre du conseil. Mais avant que la procédure ne soit menée à bout, policiers et juge instructeur auront pris connaissance des documents contestés. En mai, l’Ordre des avocats a donc envoyé une proposition de loi à la ministre Elisabeth Margue. Il s’agirait de mettre en place une procédure comme en France où les pièces en litige seraient placées sous scellés dans l’attente d’une décision quant à leur inclusion, ou non, au dossier d’enquête.
Si l’on retient les principes mis en avant dans l’arrêt de la CJUE du 26 septembre, alors « il ne restera pas beaucoup de documents susceptibles d’être prélevés » dans le cadre d’une perquisition chez un avocat traduit le bâtonnier Albert Moro. Des perquisitions seront organisées. « Chacun va tester la loi », prévoit l’associé de Clifford Chance et bâtonnier (il précise s’être toujours tenu à l’écart de l’affaire contre l’ACD). Le curseur de la protection du secret professionnel s’établira en fonction. Mais il y a une brèche : la domiciliation de sociétés pratiquée par quelques avocats pas refroidis par les révélations Panama Papers. Dans le cadre de ces activités de fiducie, soumises aux règles antiblanchiment, les avocats sont tenus de signaler leurs soupçons au bâtonnier. Lundi, le chef de l’ordre a constaté que ce sont « dans ces dossiers-là qu’il y a eu des instructions pénales ». « Le conseil de l’Ordre se demande s’il est encore adéquat » de mener ce type d’activité à haut-risque au niveau de la lutte contre le blanchiment d’argent. « Aucune décision n’a été prise », poursuit Albert Moro. Selon le barreau, on compte entre vingt et quarante perquisitions par an dans les études juridiques. « La plupart du temps », les perquisitions sont menées dans le cadre d’affaires financières (fraude fiscale ou blanchiment). Les activités de domiciliation seraient à l’origine d’un nombre « non-négligeable » de perquisitions, précise le bâtonnier face au Land. L’Ordre vise l’exemplarité. En jeu : la sacrosainte autorégulation de la profession.