Dans la version Gloden, le « Platzverweis » se tranforme en « Aufenthaltsverbot », et la bourgmestre en shériffe. Le Syvicol est mal à l’aise

Contre ceux qui « glandouillent »

Le ministre des Affaires intérieures, Léon Gloden (CSV)
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 25.10.2024

Décidément, Martine Solovieff ne porte pas Léon Gloden dans son cœur. La procureure générale a sévèrement tancé le ministre des Affaires intérieures, ce samedi sur RTL-Radio. La Police judiciaire serait poussée à « faire du chiffre », a-t-elle critiqué. Le cabinet d’instruction lui aurait confirmé que les affaires qui entrent « n’ont pas la même qualité, pas la même gravité que par le passé ». On arrêterait surtout de petits dealers « avec trois ou quatre grammes », qu’on finirait de toute façon par relâcher au bout de deux semaines. Solovielff réagit de manière épidermique contre tout ce qu’elle perçoit comme une immixtion politique. Elle suit une certaine tradition. Bien qu’estampillé CSV, son prédécesseur Robert Biever avait publiquement confronté Luc Frieden sur l’affaire « Bommeleeër », provoquant presque la chute de celui-ci en juin 2013. Mais qu’une procureure générale démonte en live un projet de loi, cela a sérieusement froissé les rangs de la majorité.

Déposé fin juillet, le « Platzverweis généralisé » vient à peine d’entamer son parcours législatif. Au micro de RTL-Radio, Martine Solovieff le déconstruit, article par article. « Il n’y a pas de de prévisibilité. C’est à la tête du client… une appréciation subjective du policier » En conclusion, elle note : « Dat do geet, mengen ech, awer ze wäit ». Et de glisser qu’elle s’attend à ce que l’avis du Conseil d’État abonde dans le même sens. Le mois dernier, Léon Gloden défendait son projet contre le reproche d’arbitraire. Sa solution serait « schnell und unkompliziert », assurait-il au Land. Pour le reste, il ferait confiance aux policiers : « Sie werden ja geschult, um mit dem notwendigen Fingerspitzengefühl vorzugehen ».

Le « Platzverweis généralisé » ratisse large. Sont visés ceux qui se comportent de manière à « troubler la tranquillité, la salubrité ou la sécurité publiques », ou simplement ceux qui « importunent les passants ». Léon Gloden avait trouvé une tournure encore plus désinvolte à la commission de la Sécurité intérieure en juillet 2022 : « Le texte proposé par le groupe politique CSV […] permet à la Police d’éloigner notamment une personne qui glandouille devant une vitrine d’un commerce », est-il cité dans le PV de la réunion.

Si le projet de loi passait dans sa version actuelle, la Police aurait une très large marge d’interprétation pour « éloigner » une personne, « au besoin par la force », à une distance qui ne peut être supérieure « à un rayon d’un kilomètre ». Ce mini-exil est limité à 48 heures. Mais si le perturbateur se fait éloigner deux fois en un mois, on entre potentiellement dans un autre scénario. Car le bourgmestre peut alors décréter une mesure bien plus lourde, tant dans le temps que dans l’espace : Une interdiction « de pénétrer dans un ou plusieurs périmètres déterminés », et ceci pour une durée de trente jours. En cas de non-respect, l’amende se situe entre 25 et 250 euros. (Le texte liste une série exceptions : se rendre à son domicile, ou à celui « de ses parents, alliés ou du partenaire », ainsi que des raisons administratives, professionnelles ou médicales, ou alors « en cas de force majeure ».)

« Une innovation majeure », selon le Syndicat des villes et communes (Syvicol). Le maire-shérif ne pourra pourtant chasser quelqu’un de sa ville. Le périmètre ne doit « jamais pouvoir couvrir l’ensemble du territoire communal », précise le texte. Bien que son avis soit globalement favorable, le Syvicol ne cache pas un certain malaise : C’est « avec une grande circonspection », comme « mesure d’exception », que le maire devrait faire usage de ce dispositif, dont on souligne « la gravité ». Et d’ajouter : « Le bourgmestre qui envisagera de prendre une telle mesure devra sans doute s’interroger quant à sa conformité au principe de proportionnalité ».

La moitié du projet de loi s’occupe à spécifier, dans un détail kafkaïen, comment la lettre recommandée pourra être délivrée par le facteur ou l’huissier à « l’interdit de lieu », sachant que, dans de nombreux cas, celui-ci sera sans adresse fixe. « Do wënschen ech awer vill Spaass fir dat zouzestellen », note sèchement Martine Solovieff sur RTL-Radio. C’est loin d’être une question de détail. Le Syvicol doute ainsi fortement que « la mesure puisse entrer en vigueur avant que le destinataire lui-même en ait pris conscience ».

Déposé par Léon Gloden mais conceptualisé par Lydie Polfer, le « Platzverweis généralisé » est en réalité un « Aufenthaltsverbot ». Le dispositif se dirige contre ceux qui dérangent : Les mendiants, les SDF voire les personnes souffrant de troubles psychiques. Plus la Ville-Haute exhibe l’opulence de la bourgeoisie et de la classe moyenne, moins elle supporte la vue de la pauvreté et de ceux que Claude Frisoni appelle « les exclus du festin ». Le Syvicol l’admet dans son avis : « Force est de constater que les personnes visées par le ‘Platzverweis’ actuel vivent dans une forte précarité, souvent sans domicile fixe ».

Bernard Thomas
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