La CSSF permet la commercialisation des « war bonds » israéliens

« Intérêt public »

Manifestation devant la CSSF ce jeudi midi
Foto: Collectives for Palestine
d'Lëtzebuerger Land vom 05.09.2025

Après des interpellations de parlementaires irlandais quant aux obligations de leur pays en matière de prévention du génocide, la Banque centrale irlandaise a délégué lundi l’admission du prospectus des obligations israéliennes à la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) au Luxembourg. La démarche est soutenue par le gouvernement israélien, accusé par de nombreuses ONG et des juristes internationaux de commettre un génocide dans la bande de Gaza. Contacté par le Land, le régulateur luxembourgeois minimise la portée de cette délégation. « Il convient de clarifier qu’en application des règles européennes en matière de prospectus pour valeurs mobilières, l’État d’Israël, en tant qu’État tiers, a choisi l’Irlande comme son État membre d’origine pour l’approbation des prospectus lui permettant de demander l’admission de valeurs mobilières (…) aux marchés règlementés européens et d’offrir ces valeurs mobilières au public en Europe en vue de financer une partie de son budget, » fait savoir le secrétariat général de la CSSF.

La Banque centrale d’Irlande « est et reste généralement compétente pour l’approbation de ce type de prospectus », précisent les services de Claude Marx. Il s’agirait en l’espèce d’une délégation d’approbation d’un prospectus « de base » à la demande d’Israël. Son examen se serait fait « conformément à la règlementation européenne en matière de prospectus qui se limite à déterminer si les informations figurant dans le prospectus sont complètes, cohérentes et compréhensibles ». « La CSSF ne s’engage pas en ce qui concerne l’opportunité économique ou financière de l’opération ou la qualité et la solvabilité de l’émetteur », précise-t-elle encore avant de conclure sur l’exercice de ses compétences « en toute indépendance ». Sollicité, le ministère des Finances souligne lui aussi « l’indépendance de la CSSF ». Il n’aurait même pas été informé en amont. Selon sa loi fondatrice, la CSSF (établissement public) jouit d’une personnalité juridique propre et d’une autonomie financière, mais demeure sous l’autorité du ministre des Finances.

Interrogée (deux fois) à ce sujet, la CSSF n’informe pas sur l’existence, ou non, d’une analyse juridique réalisée par ses soins sur une potentielle exposition du Luxembourg à un manquement à ses obligations en matière de prévention du génocide. La CSSF n’informe pas non plus sur d’éventuelles tractations préalables avec le Trésor israélien, ni leur éventuel calendrier. Le quotidien israélien Haaretz indique que les deux responsables au ministère des Finances israélien « ont décidé lundi de transférer l’enregistrement des obligations à DCI, une société enregistrée au Luxembourg, une juridiction populaire pour la cotation d’obligations souveraines ». Or, le nouveau prospectus publié lundi, long de 147 pages (et qui a pour titre « State of Israel, Bond issuance programme »), renseigne deux promoteurs. L’un est Development company for Israel (International), une société basée à Londres, l’autre Development Company for Israel (Europe), basée à Francfort. Et la CSSF est bien citée comme « autorité compétente » pour ce prospectus informant sur de nombreuses obligations israéliennes (Mazel Tov Saving Bonds, Jubilee Bonds, Shalom Sabings Bonds, etc.). Reuters nomme ces obligations « diaspora bond », Guardian et le Irish Times « war bonds ». Dans son rapport annuel, le ministère des Finances explique que la guerre « contre le Hamas » (Iron Swords) a accru les besoins de financement. Les obligations distribuées à l’international, en monnaie étrangère, représentent quinze pour cent du portefeuille de dette israélienne.

« Ces obligations permettent au gouvernement Netanyahu de récolter des fonds privés dans toute l'UE pour son budget d'État. Ainsi, les fonds levés contribuent directement au financement des opérations militaires dans la bande de Gaza ou ailleurs et permettent la continuation d'une politique israélienne en violation flagrante avec le droit international », alerte déi Lénk cette semaine. Dès janvier 2024, la Cour internationale de justice a reconnu un risque plausible de génocide de la population palestinienne à Gaza. Le Luxembourg doit « prévenir tout risque de génocide et contribuer activement au respect du droit international », rappelle le parti de gauche. C’est exactement ce qu’a fait valoir un collectif de juristes irlandais en droit international (cité par Irish Legal News) au gouverneur de la Banque centrale d’Irlande fin août.

Sur Linkedin lundi soir, plus d’une centaine de personnes likaient l’article sur le sujet partagé par Luxembourg Times, publication anglophone qui avait promptement repris les informations émanant de la presse irlandaise. « Well done to Luxembourg for showing leadership by keeping politics aside », se félicite un dirigeant de société d’intelligence économique entre le Luxembourg et la Suisse. « Bravo to the CSSF », abonde Mark Tluszcz, directeur général de Mangrove, l’un des groupes pionniers du capital risque au Grand-Duché, et président de Wix.com, pépite du web basée à Tel Aviv. Nasir Zubairi, CEO de l’incubateur LHoFT (un partenariat public privé), rappelle lui que la « finance opère dans un cadre légal et réglementaire façonné par la politique qui a elle pour objectif l’intérêt public. « To suggest politics should be absent from finance is to advocate for a world where capital is free from scrutiny and divorced from consequence. That’s an abdication of responsibility », écrit Zubairi dans un commentaire en réponse qui a recueilli son lot (84) d’appréciations. Selon sa déclaration de mission, la CSSF « conduit ses missions de surveillance prudentielle et des marchés dans le but de contribuer à la solidité et à la stabilité du secteur financier et ce, exclusivement dans l’intérêt public ». Dans un entretien à Paperjam en juin, le ministre des Finances Gilles Roth (CSV) vantait la « flexibilité et le pragmatisme de notre régulateur ».

Pierre Sorlut
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