Andrés Lejona est bien implanté au Luxembourg. Non seulement, il y vit, mais c’est une personnalité dans le milieu de la photographie sur papier glacé chic. Parallèlement à cela, il n’a cessé de voyager de par le monde et de préférence dans les pays de langue ibérique – l’Espagne est son pays natal.
Est-ce de là (de la dérision de la movida au tragique de la corrida) que lui vient ce goût de la mise en scène qui traverse l’exposition actuelle à Dudelange, Portraits 1986-2009, soit donc – déjà – une rétrospective. Ou en tout cas, on peut voir là un vaste panel de son talent et de l’interprétation sur le thème du portrait. Car quel que soit la manière dont il l’aborde via les visages et les corps qu’il photographie, Lejona oscille entre le monde réel et l’onirisme, y compris le rêve très réel de se tourner vers un avenir meilleur, qu’espèrent ses rencontres cubaines.
C’est un autre aspect du travail du photographe : on sent, sans même qu’il soit là pour l’expliquer comme ce fut le cas lors de la visite de l’exposition, qu’il faut qu’il établisse sinon un dialogue, du moins un contact avec ses modèles pour qu’ils jouent le jeu et posent pour lui. Pour donc en revenir à la série consacrée à Cuba (des diptyques en couleur réalisés en 2007), les personnages posent de profil, lesquels en se tournant le dos, sont orientés une fois vers un passé sombre (les visages sont dans l’ombre) quand leur autre part est exposée à la lumière d’un futur meilleur.
Bien sûr, il y a là ce qu’on appelle communément du « bon sentiment », ce qui est également le cas d’une série, Homme-Femme, réalisée elle à Luxembourg. Peu importe que l’on reconnaisse (ou est-ce même plus intéressant ?) telle ou telle personnalité, ce qui est étonnant, c’est le côté photo d’identité, vue strictement de face mais faisant ressortir côte à côte, la face masculine et la féminité de chacun de nous. Pour ce faire, il aura fallu tout de même recourir aux artifices du postiche, du maquillage et, selon le cas, de la robe et du costume. Le déguisement est par contre le quotidien des gens du cirque (Andrés Lejona a partagé un bout de vie de ces artistes de la piste aux lumières) et ici, le boa par exemple, colle littéralement à la peau du montreur de reptiles.
Cette série introduit chez l’artiste l’attention à l’environnement, que l’on retrouve aussi bien dans les illustrations qui accompagnent le livre D’Messer am Reck, paru à l’occasion des journées du livre de Walferdange en 2006 sous forme d’« anthologie du crime » (éditions Guy Binsfeld). Une construction de toutes pièces autour d’histoires que Lejona a dû se faire raconter (ne lisant pas l’allemand) et qu’il a transposées, avant la photo de l’auteur dans l’univers de sa nouvelle fantastique (Helminger, Kartheiser, Muno), dans des petits croquis sous forme de story boards visuels.
Ce procédé, on le retrouve dans la série Couleurs, sans le support cette fois de l’histoire écrite. Le photographe s’est servi de l’univers de la personne photographiée pour créer un « cadre ». Si donc on y voit un libraire luxembourgeois soumis au contenu des livres d’art qu’il vend, et le photographe Martin Parr, les yeux fermés, sans doute tournés vers son monde de création intérieur personnel, on ne sait rien de la danseuse aux cheveux pris dans un cactus géant qui entravent néanmoins son mouvement et encore moins d’une jeune femme, couchée cette fois sur le haut d’une bibliothèque. L’effet du rêve, mystérieux, est d’autant plus saisissant.
Ce va-et-vient, ou ce décalage entre l’environnement naturel et fabriqué, touche à l’archaïque dans quelques œuvres en noir et blanc de la série du même nom. Ainsi du combat de deux lutteurs s’affrontant à coups de coquillages géants et d’une femme couchée sur le sable mouillé, dont le corps donne naissance à une végétation luxuriante. Entre naturalisme et surréalisme, c’est au visiteur de se faire son opinion, car Andrés Lejona lui, à coup sûr, avance masqué.