Le Luxembourg ambitionne de devenir une « start-up nation », mais qu’est-ce qu’une start-up au juste ? Pour beaucoup, la start-up évoque les années 2000 et l’avènement des TIC et de la période dotcom. La traduction littérale du mot start-up signifie « commencer » et « hauteur », cela ne permet pas vraiment de dégager une définition stricte et arrêtée du concept, que certains traduisent en français par « jeune pousse innovante ». Parce que l’innovation n’est pas qu’une affaire de TIC, il s’agirait donc d’un abus de perception que de considérer que la start-up se limite aux entreprises du secteur des technologies de l’information et de la communication. D’après le Statec, 25 pour cent des entreprises innovantes à forte croissance entre 2011 et 2014 appartenaient d’ailleurs aux secteurs… de la construction, pas vraiment un secteur souvent associé aux start-ups.
Puisque la proportion d’entreprises innovantes est au Luxembourg de 66 pour cent, toute nouvelle entreprise créée est potentiellement une start-up. L’enjeu véritable étant qu’elle parvienne à quitter le « start » pour le « up ».
Car si pendant longtemps on mettait en avant le « small is beautiful », et le fait que « les PME sont la colonne vertébrale de nos économies », de récents travaux de l’OCDE et du FMI ont montré que contrairement à une idée largement répandue, ce ne sont pas tant les PME qui alimentent le processus de destruction créatrice nécessaire pour renouveler les tissus productifs, mais un nombre limité de jeunes entreprises de croissance. Le critère de l’âge l’emporterait ainsi sur le critère de la taille : « not (nécessairement) small, but (surtout) new serait beautiful1 ». Par conséquent, le Small business act (régulièrement évoqué en Europe) devrait être augmenté d’un Young business act2.
Le Luxembourg dispose d’un écosystème fourni d’institutions et de régimes d’aides à la création d’entreprises qui sont autant d’atouts sur lesquels appuyer un éventuel Young business act.
Ce Young business act devrait s’appuyer sur trois éléments moteurs, à savoir le financement de la prise de risque, une fiscalité pensée pour les jeunes entreprises et l’incitation à l’esprit d’entreprise.
Financement de la prise de risque
Les résidents du Luxembourg – qui disposent en moyenne d’une large assise financière – investissent le plus souvent dans l’immobilier qui tendrait à évincer l’investissement dans d’autres classes d’actifs (y compris la prise de participation dans des entreprises). Au-delà de la nécessaire rationalisation des faveurs fiscales au logement en particulier, et à l’épargne non-risquée en général, il semble nécessaire de doter le Grand-Duché d’un nouveau cadre favorable aux investisseurs providentiels (business angels) afin de drainer l’épargne abondante vers le financement de start-up prometteuses. Les incitations fiscales visant à favoriser le financement en capital-risque par les particuliers (qu’il s’agisse de la « loi Rau » abrogée en 2005 ou de la bonification d’impôt pour investissement en capital-risque méconnue) n’ayant pas permis que la capacité d’investissement des résidents luxembourgeois se dirige vers les jeunes pousses locales
– alors que la création d’entreprises est au Luxembourg relativement dynamique – le nouveau cadre en question devrait veiller à ne pas commettre les erreurs (notamment les lourdeurs administratives) qui ont empêché le succès des initiatives précédentes. Il devrait également s’adresser à des investisseurs qui disposent d’une expérience (ou d’une formation) suffisante pour pouvoir prétendre être un investisseur en capital-risque, et non pas à tout détenteur de capitaux à la recherche de défiscalisation et prêt à reléguer au second rang l’attention pour la rentabilité réelle et le succès de l’investissement engagé.
Aussi, puisqu’il y a une dépendance au sentier en matière de R&D et d’innovation, l’arsenal luxembourgeois d’aides publiques à la R&D privée pourrait être augmenté de chèques innovation pour les jeunes entreprises. Il s’agirait de créer – sur le modèle suisse – une subvention sous forme de chèque-innovation valable sur une période donnée (par exemple douze mois), ni cessible ni convertible en espèces, destinée à couvrir les prestations de partenaires « éligibles » au dispositif (établissements de recherche, concepteurs de sites d’e-commerce, conseillers en stratégie marketing, experts comptables, etc.) afin d’encourager les jeunes entreprises à « innover » et soutenir ainsi leur croissance.
Fiscalité pensée pour les jeunes entreprises
Au Luxembourg, comme dans trente pour cent des pays de l’OCDE, l’imposition des bénéfices des sociétés est différenciée suivant le montant des bénéfices imposables.
L’efficacité de cette différenciation, présentée généralement comme un soutien aux PME, est pourtant de plus en plus critiquée dans la littérature économique3. La pertinence d’une telle différenciation serait discutable car, contrairement au but poursuivi par l’imposition des ménages, atteindre l’objectif d’une redistribution entre entreprises en fonction de leur taille et assise sur la taxation des bénéfices ne va pas de soi. Dans le cadre d’une future réforme fiscale, le taux normal et le taux réduit pourraient dès lors être rapprochés voire même confondus (comme cela a été fait au Royaume-Uni), et à l’instar de l’Irlande, de Singapour, et de l’Inde, il pourrait être décidé que les jeunes entreprises (moins de trois ans) seront totalement exonérées d’impôt sur les sociétés (IRC, ICC, IF), ou à l’instar de la Belgique bénéficier de modération de cotisations sociales sur les premiers emplois. Cela devrait permettre aux start-up de renforcer leurs fonds propres, d’embaucher, d’investir, et d’envoyer un « signal » fort aux start-upeurs du monde entier.
Incitation à l‘esprit d‘entreprise
La législation du travail et de la protection sociale luxembourgeoises, créées par et pour une économie d’usines et de salariat, ne garantit pas les mêmes droits entre les salariés et les indépendants (créateurs d’entreprises). Puisque l’activité entrepreneuriale est une activité risquée, la promouvoir suppose de rapprocher (encore davantage) les régimes légaux de droit du travail et de sécurité sociale des salariés et des indépendants. Concrètement, le créateur d’entreprise devrait/pourrait être concerné par les visites médicales, avoir les mêmes droits aux allocations chômage qu’un salarié licencié pour motif économique (s’il échoue de bonne foi), etc.
Aussi, les entreprises établies devraient/pourraient être « incitées » à encourager l’entrepreneuriat (au-delà des incubateurs qu’elles abritent). Pour ce faire, l’« aide à l’entrepreneuriat » (sous formes d’investissements dans des fonds dédiés à l’investissement dans des jeunes entreprises du pays, de prêts ou d’apports en fonds propres pour l’essaimage par d’anciens salariés, de prise en charge des cotisations sociales d’un ancien salarié qui « tente » l’aventure entrepreneuriale, de congés extraordinaires/spéciaux pour raison entrepreneuriale, etc.) pourrait être intégrée dans l’évaluation par l’INDR (Institut national pour le développement durable et la responsabilité sociale des entreprises) des politiques RSE des entreprises.
Ce n’est là qu’un puzzle de mots et de pensées en faveur d’un Young business act au Luxembourg, sans minimiser l’importance des PME, tout en sachant qu’une part significative de l’activité économique dans le pays est portée par un nombre limité de grandes entreprises (300 entreprises emploient 35 pour cent des salariés), et sans tomber dans le « fétichisme » de la start-up.