«Avons-nous atteint le but de concrétiser un service proche des gens, de mieux garantir leur sécurité, de leur transmettre le sentiment de vivre en sécurité, de travailler pour une prévention efficace, de réaliser des enquêtes correctes pour obtenir plus de résultats et amener les criminels devant les juges? La réponse n'est pas évidente!» lançait le président du Syndicat national de la police grand-ducale, Camille Weydert, lors de l'assemblée générale le 7 mai dernier. «La question essentielle de savoir si on aurait pu obtenir de meilleurs résultats avec les moyens mis à notre disposition ne fait pas de doutes: oui,» a-t-il constaté.
Après l'adoption du texte sur la fusion de la police et de la gendarmerie le 31 mai 1999 - juste avant la dissolution du parlement -, le nouveau gouvernement se trouvait devant deux options: soit investir massivement, soit risquer le ridicule. Les ministres ont alors choisi de mettre le paquet. Les attentats du 11 septembre leur ont même apporté l'ultime légitimation, réduisant à néant les opposants au discours sécuritaire. La fonction publique n'embauche plus que dans le domaine des forces de l'ordre et dans l'enseignement.
«Quand nous avons commencé avec la mise en oeuvre de la loi, le projet n'avait effectivement pas assez mûri et nous sommes toujours en train d'en réaliser les grands chapitres, explique Pierre Reuland, le directeur général de la police grand-ducale. La concrétisation d'une présence 24 heures sur 24 par les différents centres d'intervention a été concrétisée en octobre 2002. Cette présence a été augmentée de quatre endroits à treize. Partout dans le pays, même dans le nord, aucune personne mal intentionnée ne peut croire qu'elle ne risque rien parce que les agents prendront du temps pour arriver sur les lieux. L'année dernière, nous avons enregistré une hausse de trente pour cent de flagrants délits.»
Le deuxième grand principe de la fusion est la proximité. «Nous avons organisé une centaine de réunions avec le public pour expliquer le fonctionnement de l'appel d'urgence 113 et nous avons obtenu de bons résultats, explique le directeur général, les gens nous appellent quand ils ont une suspicion, ce qui fait que les cas de flagrants délits ont augmenté de la sorte. Nous faisons des efforts pour les informer des conclusions des enquêtes, ce que nous n'avons pas fait par le passé et qui donnait l'impression que la police ne suivait pas les dossiers.»
Néanmoins, le quota d'aboutissement des enquêtes a légèrement diminué l'année dernière pour se situer à 33,9 pour cent des dossiers ouverts (par rapport à 34,8 en 2002). Il s'agit surtout d'attaques contre des personnes comme des coups et blessures (86,9 pour cent des cas ont abouti) et de dossiers divers comme la violation de la loi sur les stupéfiants (93 pour cent). Ces affaires ne nécessitent pas de grandes investigations pour tirer des conclusions, ce qui n'est pas le cas pour les cambriolages et tentatives de cambriolage où seulement 4,5 pour cent des enquêtes débouchent sur un résultat. Pour les vols et tentatives de vol de voitures, le taux est encore plus bas : 3,3 pour cent. «Ce faible taux est dû au fait que les malfaiteurs opèrent depuis l'étranger, précise Pierre Reuland, dans un rayon de 200 kilomètres.»
La coopération transfrontalière a été renforcée par la création d'un bureau commun entre le Grand-Duché et ses pays voisins. En douze mois, 30000 demandes de collaboration y ont été introduites, dont 75 pour cent concernaient des infractions à la circulation. Une autre initiative a été lancée fin 2003: le concept de police technique qui permet de relever davantage d'indices comme des traces ou des empreintes.
Le président du syndicat fournit une autre explication du taux décevant des résultats d'enquêtes: «C'est parce que les agents ont été dégradés en simples patrouilleurs, beaucoup de temps est investi dans de grandes actions de relations publiques décidées par la direction, surtout au niveau de la circulation routière. Il s'agit juste de constater les infractions, c'est démotivant pour des agents qui ont été formés pour réaliser des enquêtes.» Camille Weydert dénonce le saucissonnage des fonctions entre les gens du terrain et les spécialistes : «Une répartition des tâches qui n'est compréhensible que par les théoriciens. Le facteur humain doit faire place aux grands principes et aux concepts. Le ministre Michel Wolter a su libérer les moyens pour permettre une fusion qui n'a pas fait trop de dégâts, en évitant par exemple les déclassements de certaines fonctions. Par contre, la direction force les gens à rentrer dans son moule, ce qui n'est pas sans effets négatifs. Le résultat de la fusion n'est pas un corps de police, mais la création d'une grande administration.»
Camille Weydert a d'ailleurs été l'un des défenseurs de la fusion des deux corps et a joué un rôle actif dans l'élaboration du projet, lancée sous l'ancien ministre Alex Bodry (LSAP).
«Le principe est clair : la fusion a été placée sous le signe du renforcement de la police sur le terrain, rétorque Pierre Reuland, l'époque où l'agent était multidisciplinaire, un 'allround man', est révolue. D'un côté, nous avons les agents de police dont le nombre augmente de soixante unités chaque année, et de l'autre nous avons les six sections de recherche et la police judiciaire pour effectuer les enquêtes et faire le lien avec la Justice. Leur effectif a été augmenté de quarante personnes ces trois dernières années.» Le directeur général est d'avis que le syndicat a du mal à percevoir les changements et lui reproche d'être trop attaché à une époque révolue.
Le recrutement de soixante nouveaux agents par an est la capacité maximale d'absorption du corps. Surtout qu'il s'agit de jeunes gens à former. D'abord deux ans de formation de base à l'école de police avec un stage intégré de six semaines dans les différentes équipes, ensuite ils sont incorporés dans l'unité de garde et de réserve mobile.
Une grande proportion de jeunes se trouve donc confrontée relativement tôt à des situations d'urgence. Pour Camille Weydert, l'embauche massive des dernières années pose des problèmes d'encadrement - où trouver assez d'anciens expérimentés pour transmettre leurs connaissances à la nouvelle génération ?
Pierre Reuland est conscient du rôle primordial de la prise en charge par les «vieux routiers» de la police. Pour lui, le recrutement de soixante personnes par année est un maximum, «mais nous avons la situation sous contrôle. Les jeunes sont motivés, actifs. Ils se portent même volontaires pour être affectés dans des commissariats des quartiers chauds comme la gare en Ville ou de prendre part à des actions coup de poing régulières comme au centre Aldringen. Nous n'avons pas enregistré d'incidents majeurs comme le tir d'un coup de feu par erreur.»
Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) vient de rendre un rapport très critique à l'égard des forces de l'ordre. Même s'il ne fait pas de distinction entre les jeunes policiers et les agents anciens, il note une «évolution troublante par rapport à la situation constatée lors des visites précédentes» en ce qui concerne les mauvais traitements des personnes détenues.
Il constate une augmentation de «coups de pied, de coups de poing et de coups de matraque et ce, principalement lors de l'interpellation.» Des violences verbales et des insultes à connotation raciste et/ou xénophobes sont aussi plus fréquentes. Le CPT recommande aux supérieurs de rappeler aux agents que ces mauvais traitements sont sévèrement sanctionnés et que la violence au moment d'une arrestation doit se limiter à ce qui est nécessaire.
La police grand-ducale a adopté l'année dernière un code de déontologie qui devrait remédier - selon le directeur général - à certaines situations et qui rappelle aux agents ce que signifie le fait d'avoir «le monopole de la violence». Le sujet des droits de l'homme fait aussi partie intégrante de la formation des policiers.
Mais on peut douter de l'efficacité d'un code de déontologie pour les candidats attirés par le pouvoir du «monopole de la violence». Vu l'embauche massive des dernières années, il n'est pas certain qu'une sélection méticuleuse des candidats ait permis d'éviter que le loup entre dans la bergerie. Dans les années à venir, il faudra encore embaucher 200 personnes supplémentaires. «Mais après tout, précise Pierre Reuland, cinquante cas disciplinaires pour 1300 cadres policiers et 26000 affaires par an n'a rien d'anormal.»