Repenser le musée

d'Lëtzebuerger Land du 11.10.2024

Les musées, comme d’autres institutions culturelles, sont confrontés à des défis qui interrogent leur raison d’être, leur modèle économique et leur rôle social. Les musées doivent composer avec plusieurs défis structurels, technologiques, sociaux et environnementaux. Ces pressions, loin d’être isolées, sont souvent interdépendantes et exigent des réponses innovantes et adaptatives. En juin dernier, le symposium Reimagining Museums organisé par le Mudam adressait ces enjeux à différents panels de directeurs de musées, curateurs et chercheurs.

Dans son introduction, Bettina Steinbrügge, directrice du Mudam annonçait : « Les institutions culturelles risquent de perdre en pertinence et en influence si elles ne se focalisent pas sur leurs objectifs principaux et ne font pas évoluer leur structures organisationnelles ». Elle listait les différents niveaux où des transformations peuvent et doivent être faites : politique d’acquisition, culture de l’accueil, organisation des bâtiments, outils de communications et bien sûr, la place de l’artiste et celle du public.

La question de la fréquentation est au centre des préoccupations d’à peu près tous les musées. Le tourisme évolue, la démographie change, les centres d’intérêt des jeunes se déplacent. Le public contemporain, souhaite des expériences plus immersives, participatives et personnalisées. Les attentes ne sont plus uniquement centrées sur l’accumulation de connaissances, mais sur l’interaction avec les œuvres et les objets. Aussi, les musées ont pris diverses mesures pour relever ces défis : ils présentent des artistes plus contemporains et parfois moins connus, ils s’adressent davantage au public local et apportent des améliorations technologiques pour attirer les visiteurs moins traditionnels.

Un des axes de réflexion du symposium fut d’observer comment les musées peuvent faire écho aux changements qui sont en train de remodeler le monde : les nouvelles perspectives historiques et géographiques, les nouvelles dynamiques sociales, les nouveaux régimes climatiques. La curatrice Fatoş Üstek (The Art Institution of Tomorrow) utilise le terme de crise ontologique. « À quoi pensons-nous lorsque nous imaginons ce qu’est un musée ? Un lieu de retraite, une source d’inspiration, un lieu de rassemblement de personnes qui aiment les mêmes choses, un lieu qui offre un sentiment d’appartenance, un lieu de découverte, un lieu de loisirs et de divertissement », interroge-t-elle. Elle entend décentraliser les points de vue et développer de nouveaux narratifs pour laisser de côté les perspectives occidentales avec l’homme blanc au centre.

Fatoş Üstek suggère que les institutions artistiques existantes ne sont pas équipées pour faire face aux changements sociaux, économiques et environnementaux que nous vivons. « L’énergie des équipes des musées est de plus en plus dépensée pour simplement faire en sorte que l’institution vive et est surtout investie pour que le musée reste ouvert », constate la curatrice. Elle cite la Grande-Bretagne où plus de la moitié des équipes des institutions artistiques (privées et publiques) sont dédiées à la recherche de fonds.

Fatoş Üstek appelle à une transformation radicale des structures organisationnelles et des méthodes de fonctionnement des institutions artistiques. Elle propose notamment de placer les artistes au cœur de ces institutions, en soutenant mieux leur processus créatif et en élargissant la diversité des artistes représentés. « On ne peut plus voir l’artiste comme un type seul dans son atelier qui met en œuvre son génie. Produire des expos ‘blockbusters’ ou focalisées sur des artistes bankable, ne peut plus représenter la solution de facilité pour remplir la billetterie. À une société hétérogène correspondent des artistes hétérogènes qui font écho aux réalités sociales. » Elle prône également une décentralisation des tâches opérationnelles pour permettre une plus grande implication d’équipes transdisciplinaires. Selon la curatrice, cette approche contribuerait à créer des environnements de travail plus créatifs et plus inclusifs.

Les musées dans leur environnement

Cela mène à une autre table-ronde du symposium qui s’intéressait aux musées en tant qu’écosystèmes. À l’instar des écosystèmes naturels qui prospèrent grâce à l’interdépendance et à la diversité des espèces, les musées sont eux aussi profondément liés aux communautés, aux territoires et aux contextes sociopolitiques qui les entourent. Responsable du programme Nature Research and Future Materials à la Jan van Eyck Academie, l’école d’art de Maastricht, Giulia Bellinetti, constate que les musées sont poussés « à trouver des modèles alternatifs pour répondre aux enjeux de durabilité, de diversité, de symbiose ». Elle explique que la plupart des musées actuels sont basés sur l’idée fausse de la séparation de l’homme et de la nature et de la supériorité supposée de l’humain. « Ces conceptions duales – esprit et corps, sujet et objet, pensée et matière – sont dépassées aujourd’hui. »

Plus largement, l’impact environnemental de l’activité muséale – la conservation des collections, la gestion des expositions temporaires, les déplacements d’œuvres et d’artistes ou encore la climatisation et l’éclairage des bâtiments – nécessite des réponses à la fois techniques et éthiques.

Les expositions temporaires sont au cœur de l’attractivité des musées. Elles sont aussi une source importante de déchets et de gaspillage de ressources. La conception des expositions temporaires nécessite souvent la fabrication de supports spécifiques (scénographies, panneaux, vitrines, etc.), qui ne sont utilisés que pendant quelques mois avant d’être démantelés. De plus, le transport des œuvres pour des expositions internationales génère une empreinte carbone considérable. Les musées s’engagent fréquemment dans des tournées d’expositions, où des œuvres voyagent de ville en ville, nécessitant des emballages spéciaux, des transports aériens, ainsi que des systèmes de sécurité complexes.

Certaines institutions explorent des options de transport moins polluantes, telles que le transport maritime, même si cela impose des délais plus longs. Les musées peuvent également mutualiser le transport d’œuvres lorsqu’ils organisent des expositions similaires avec d’autres institutions à proximité géographique. Une autre piste de réflexion consiste à limiter le recours aux prêts internationaux en valorisant davantage les collections permanentes et en mettant en lumière les patrimoines locaux ou régionaux. Cette stratégie permet de réduire la dépendance aux expositions internationales tout en renforçant les liens avec les communautés locales.

Le recours à la dématérialisation de certaines œuvres ou la création d’expositions virtuelles ou hybrides est jusqu’ici rarement satisfaisant du point de vue de l’institution qui perd sa spécificité et son unicité, mais aussi de « l’expérience utilisateur » face à des écrans et des technologies pas toujours amicales.

Les chartes et certifications écologiques sont aussi évoquées saluant les efforts des musées à intégrer la durabilité dans leur stratégie à long terme : politiques internes de recyclage, consommation énergétique, rénovation écologique des bâtiments. Ainsi, le Victoria and Albert Museum à Londres publie un rapport annuel sur son impact environnemental. Cela permet de se rendre compte de l’empreinte réelle, de mettre en avant les initiatives mises en place pour réduire l’impact. Pour un musée responsable qui améliore continuellement ses pratiques.

France Clarinval
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