Le tribunal administratif s’est penché lundi sur une requête peu ordinaire, introduite par le ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, Jean-Marie Halsdorf (CSV). Il est question d’annuler l’autorisation de construire pour le shopping center de Wickrange avec ses 23 000 mètres carrés de surface commerciale à proximité de l’autoroute A4 (d’Land, 05.10.07). Le feu vert avait été donné par la commune de Reckange-sur-Mess, sans qu’un plan d’aménagement particulier n’ait été élaboré pour les parcelles concernées. Sur le fond, le tribunal devra donc décider si cette démarche a été correcte et si les dispositions de l’autorisation ont été légales. Mais d’abord, il devra trancher la question de la recevabilité de cette demande en annulation.
Car il est surprenant qu’une telle requête émane du ministre lui-même, alors qu’il représente l’autorité de tutelle dans ce dossier. Celui-ci conteste la conformité de l’autorisation de construire un centre de commerce de cette envergure-là, surtout qu’il est localisé en pleine ceinture verte et donc contraire aux principes du programme directeur de l’Aménagement du territoire et de l’IVL (Integratives Verkehrs- und Landesentwicklungskonzept) .Il s’agit donc surtout d’une question de crédibilité de la politique de l’aménagement du territoire du ministre, qui n’a pas su s’imposer face aux considérations commerciales des promoteurs du projet et de certains de ses collègues ministres, qui préfèrent favoriser la création de 1 300 nouveaux emplois et continuer de développer le Luxembourg en tant que « Pôle de commerce de la Grande Région », quitte à ne pas être en règle avec les axiomes de l’aménagement du territoire. C’est aussi sur ce point-là que les juges devront se prononcer pour déterminer si le ministre a eu un intérêt à agir en introduisant sa demande en annulation.
L’avocat de la partie adverse, Me Georges Krieger, est d’avis que le tribunal n’a pas à trancher une telle requête, qui n’est d’ailleurs selon lui qu’une tentative de limiter l’autonomie locale des communes, pourtant ancrée dans la constitution. Car le ministre aurait pu stopper le projet par un arrêté ministériel, s’il avait été illégal ou contraire à l’utilité publique. Mais comme il n’avait pas eu le soutien de ses collègues, il aurait dû abandonner cette option-là. Pour l’avocat, le dossier a pris une tournure politico-politicienne et il faut éviter qu’il ne devienne un enjeu dans la campagne électorale.
Parallèlement, la commune voisine de Mondercange a elle aussi introduit un recours contre certains points de l’autorisation, craignant notamment les importantes perturbations du trafic dans les environs de l’échangeur de l’autoroute. L’objection concernant l’incohérence entre le développement commercial de toute la zone de Esch-Belval et ce projet-ci n’est pas dénuée de fondement, même si les juges ne se prononceront pas sur ce point. Pour Georges Krieger, cette demande d’annulation de la part de la commune voisine est une « indélicatesse » qui serait davantage motivée par le souci de concurrence à sa propre zone commerciale de Foetz que par la préoccupation concernant la sécurité des citoyens. Mais l’un n’exclut pas l’autre.
Le tribunal administratif se penchera d’abord sur le dossier déposé par le ministre – une décision est attendue dans les prochaines semaines. S’il est débouté, il lui restera la possibilité d’annuler l’autorisation par la tutelle générale, prévue dans la loi communale, pour autant qu’elle soit contraire à la loi ou à l’intérêt général. À ce moment-là, le grand-duc Henri a le pouvoir d’annuler un acte émanant d’une autorité communale.
Pourquoi ne pas avoir utilisé ce moyen dès le départ, au lieu de saisir la justice de ce dossier et risquer que le recours ne soit déclaré irrecevable ? Les mauvaises langues diront que le ministre a voulu gagner du temps pour retarder la construction du mastodonte en zone verte. Les plus médisants encore assureront qu’il n’a agi que pour la forme, par simple calcul politique. Après avoir tout essayé, il aurait dû s’incliner face à la décision de la justice et aux impératifs de la realpolitik. Ainsi, personne ne pourrait plus lui faire le reproche d’avoir sacrifié sans résister les principes de l’aménagement du territoire et de l’IVL sous la pression de considérations purement économiques. On imagine bien le plongeon de la cote de popularité du politicien en période préélectorale qui aura osé tenter d’empêcher la création d’un millier d’emplois. Surtout en temps de crise.Dans ce contexte-là, le maintien du pouvoir d’achat des clients potentiels est la première condition pour garantir la viabilité du projet. Le Président français avait déclamé pouvoir le faire avant tous les autres – et se fait régulièrement harponner sur ce sujet qui fâche.
En attendant de voir l’ampleur des dégâts de la crise, même le riche consommateur luxembourgeois serait tenté de mettre un frein à ses habitudes.