Opaque et Verrouillée. La communication est hermétique à l’Université du Luxembourg cette semaine. Non, à aucun niveau, personne ne prendra position sur le contrat d’établissement pluriannuel entre l’État et l’Université du Luxembourg, pourtant adopté vendredi dernier au conseil des ministres, avant jeudi, 28 janvier, lorsque le texte sera signé, puis présenté à la commission parlementaire d’abord, à la presse ensuite. Officiellement, on veut laisser la primeur de l’information au ministre et aux députés avant de répondre aux médias.
Seules quelques indications fragmentaires ont été publiées vendredi : l’Université verra sa dotation financière annuelle de la part de l’État croître de 72 à 119 millions d’euros à l’horizon 2013 et pourra créer 222 postes supplémentaires, pour atteindre 926 postes structurels d’ici quatre ans. Le recteur Rolf Tarrach ne peut que s’en réjouir, c’est au centime près ce qu’il a prévu dans le plan quadriennal de développement (où il table également sur 20 millions d’euros de financements externes d’ici 2013), et une dizaine de postes en-dessous de ses projections. Le rectorat vise une augmentation de treize pour cent du nombre d’étudiants entre 2009 et 2013, soit 4 900 personnes, prioritairement dans les formations de masters et de doctorats (450 en 2013, soit une augmentation de plus de 66 pour cent). Ses homologues européens, confrontés à d’importantes réformes structurelles, à des coupes claires dans leurs budgets et à des mouvements de contestation du personnel et des étudiants ne peuvent que lui envier ces investissements et ce soutien désormais enthousiaste du monde politique.
Pourtant, ni le personnel, ni les étudiants de l’Université n’ont été informés jusqu’ici sur l’évolution du contrat qui les concerne directement. Le contrat d’établissement pluriannuel (CEP) est en fait la mise en musique du deuxième plan quadriennal de l’Université du Luxembourg 2010-2013, développé par le rectorat, et dont une version provisoire a été présentée lors d’une conférence interne en octobre dernier. En amont, les facultés avaient fait cogiter des groupes de travail composés des responsables des différentes unités de recherche, plus quelques « indépendants » choisis, sur leurs priorités de développement pour les prochaines années. Or, après des heures et des heures à articuler leurs programmes ambitieux, quelle ne fut leur surprise de recevoir ce document par courriel, sans débat ni véritable échange. Les rapports des trois facultés sont simplement attachés, pour mémoire, au plan quadriennal. La communication reste souvent une information à sens unique, exclusivement top down, toute discussion étant esquivée, se plaignent les enseignants-chercheurs.
C’est à Walferdange, à la Faculté des lettres, des sciences humaines, des arts et des sciences de l’éducation (FLSHASE), que le choc fut le plus violent : alors que cinq des sept axes de recherche du précédent plan sont simplement reconduits1, deux ont disparu. Le premier, les sciences des matériaux, est resté embryonnaire faute d’équipements nécessaires, qui ne pourront être mis en place que dans les nouvelles infrastructures à Belval. Or, le deuxième, les « études luxembourgeoises », dont l’importance pour le Luxembourg est souligné dans tous les discours politiques justifiant les importants investissements de l’État dans l’Uni.lu, et dont la qualité des recherches fut certifiée dans le premier Rapport d’évaluation du comité externe publié l’année dernière (alors que les axes 1, sécurité et fiabilité informatiques, et 5 : finance, n’avaient reçu qu’un B dans cette évaluation), a tout simplement été supprimé. « Les Études luxembourgeoises, éminemment interdisciplinaires, lit-on dans le plan pluriannuel, continueront à bénéficier, comme il se doit, d’un développement soutenu et régulier, qui transcende ce Plan ». (page 6). « Il sera veillé à un juste équilibre entre les activités de recherche à fort potentiel d’innovation et les sciences humaines, ces dernières devant être appelées à jouer un rôle important dans la vie culturelle du pays, » énonce le programme gouvernemental CSV-LSAP à ce sujet – cette phrase serait reprise telle quelle dans le CEP.
Une des critiques les plus claires du comité d’évaluation vis-à-vis de la direction de l’Université concernait justement la communication interne et la prise de décision, qui devraient être « drastically impro-ve[d] » (recommandation n° 6). Si la délégation du personnel, dont 2009 fut la toute première année d’activité, se réjouit, dans son premier rapport, de « l’esquisse d’un premier dialogue social » dans « un climat qui a pu être alternativement serein et crispé », il faut dire qu’elle est partie de rien, et qu’une enquête qu’elle a menée au début de ses activités pour sonder l’ambiance parmi les personnels, faisait ressortir « le manque de communication entre le personnel et les instances de direction ainsi que le besoin de transparence dans les prises de décision de la direction ». Les débuts de son travail ont surtout été marqués par un nombre important de plaintes concernant les heures supplémentaires, essentiellement de la part des personnels administratifs. L’arrivée d’un responsable des ressources humaines à la mi-2009 a enfin établi un contact direct pour le personnel, mais la grille des salaires reste classée secret défense et la négociation d’un premier contrat collectif s’annonce déjà laborieuse.
Un des effets néfastes de ce manque de communication interne et externe, inversement proportionnelle à la multiplication des publications en quadrichromie vantant les succès de l’Université, est l’augmentation de rumeurs et soupçons sur les luttes d’influence entre les différentes facultés, et au sein des facultés, des réseaux, par exemple d’enseignants-chercheurs favorisant l’embauche de leurs proches (ceux originaires de l’Université de Trèves, ou les « anciens » du Centre universitaire). Aussi, certains axes de développement seraient soit dictés par la politique (comme la biomédicine, qui bénéficie dès cette année de 17 millions d’euros), soit par des intérêts de membres du conseil de gouvernance (la société informatique Telin-dus, présidée par Gérard Hoffmann, membre du conseil de gouvernance, est le premier « partenaire » du nouveau Centre interdisciplinaire Security, Reliability and Trust, SNT).
Des internes parlent même d’une « culture de la méfiance », tous nos interlocuteurs ont insisté sur l’importance de protéger leur anonymat, de crainte de représailles, qui ont déjà suivi des articles dans la presse. On se souviendra aussi que le ministre de l’Enseignement supérieur François Biltgen (CSV) avait appelé lui-même Stefan Braum, professeur de droit à l’Université, pour se plaindre de la médiatisation des résultats de son enquête sur les conditions d’incarcération dans la prison de Schrassig (voir d’Land du 6 novembre 2009). Ces réflexes sont inquiétants, le fait que 700 employés et 4 000 étudiants ne se rebiffent pas davantage au moins étonnant.
La liberté de la recherche et l’autonomie de l’Université, pour lesquelles le recteur Rolf Tarrach bataille pourtant ferme depuis son entrée en fonction, semblent de moins en moins évidentes. Surtout en temps de crise, comme l’a laissé entendre, sans ambages, le vice-recteur Lucien Kerger dans une interview à l’hebdomadaire Woxx. Le ministre de l’Économie, Jeannot Krecké (LSAP), n’a jamais caché son approche utilitariste de la recherche, soulignant à maintes reprises que les investissements publics dans la recherche et dans l’innovation doivent générer des avantages directs de compétitivité à l’économie luxembourgeoise. Le plan quadriennal budgétise pourtant 500 000 euros pour la reprise de la chaire TDK d’ici 2013.
Les Centres interdisciplinaires constituent le nouveau fleuron du développement de l’Université du Luxembourg : deux ont été créés en 2009, le SNT et le Luxembourg Centre for Systems Biomedicine (LCSB), qui s’inscrit dans le plan d’action sur les technologies de la santé du gouvernement, et collabore étroitement avec l’Institute for Systems Biology à Seattle, avec lequel le Luxembourg a signé un accord de collaboration (d’Land du 20 février 2009). Les deux centres fonctionnent actuellement avec une équipe minimale, un directeur et du personnel administratif. Dans les projections, ils grandiraient à 36,5 personnes plus trente doctorants pour le premier et à 51 employés plus 20 doctorants pour le second.
Le droit européen et des affaires doit devenir un troisième pôle prioritaire dans les prochaines années, avec la création d’un European Corporate Governance Institute et d’une antenne du Max Planck Institut « for comparative european and regulatory procedural law », voire d’une chaire sur la politique fiscale européenne et internationale sponsorisée par Atoz. La proximité de la Cour de justice européenne constitue un réel attrait pour étudiants et enseignants dans ce domaine – et est l’argument principal pour justifier la séparation géographique de l’Uni.lu, cette faculté restant à Luxembourg, alors que les deux autres déménageront à Belval.
L’idée d’un Centre interdisciplinaire d’études sur le Luxembourg (Ciel), défendu par exemple par le sociologue Fernand Fehlen (d’Land du 10 octobre 2003) n’a pas trouvé de soutien ; le master en langues, cultures et médias – Lëtzebuerger Studien doit couvrir cette demande de la société autochtone. L’axe de recherche n° 5 sur l’éducation et l’apprentissage en contexte multilingue se concentre prioritairement sur la formation des enseignants et des formateurs, à laquelle le ministère de l’Éducation nationale est intimement associée.
« La qualité est la base de la confiance mutuelle, sans laquelle nulle vraie coopération n’est possible, » écrit le recteur Rolf Tarrach dans son introduction au Programme quadriennal. Et de continuer : « Il sera fait un effort particulier pour être à l’écoute et pour mobiliser la capacité créative des enseignants-chercheurs, et au-delà de l’ensemble du personnel, afin de véritablement construire ensemble notre Université, jour après jour. » Il y a du pain sur la planche.