Les moyens mis en œuvre sont légers : des tissus et des transparents. Mais l’expérience de la restitution du caractère social et politique n’en est pas moins présente. Telle est l’expérience à laquelle invite l’artiste Yeni Mao à la galerie Zidoun & Bossuyt.
Au cœur de l’ancienne épicerie de la Place de Strasbourg, trône l’évocation d’une autre activité commerciale. Celle d’un petit passage de la ville turque d’Izmir (l’œuvre porte le même nom) où on trouve encore un coiffeur, une droguerie, un tailleur et un café traditionnels. S’appuyant sur l’activité immémorielle du petit commerce en Orient, l’artiste né au Canada en 1971 et qui a étudié à Chicago pour finalement vivre à New York, tente l’expérience d’établir un lien entre la reproduction traditionnelle et le procédé photographique.
Pour ce faire, il a emprunté des objets caractéristiques des métiers du passage : boutons du tailleur, narguilés du café, flacons de produits cosmétiques de la droguerie ou encore ciseaux du barbier. Ce sont leurs silhouettes révélées à même des bandes de tissu de coton que l’on voit ici, devenues ombres blanches, fantomatiques sur le coton rendu bleu sous l’effet des produits utilisés dans le procédé dit de photogrammétrie. Articulé ou désarticulé ? La tradition des boutiquiers du petit passage d’Izmir, si elle est toujours vivace, peut assurément disparaître sous la pression de l’activité mondialisée et uniformisée. Si donc les pièces de tissu sont ici présentées assemblées et forment un parallélépipède dans l’espace, on peut tout aussi bien estimer les voir séparées dans une autre configuration, évoquant (bientôt ?) une cohésion sociale disparue…
Plus loin, on retrouve la même mise en œuvre dans l’évocation d’une goélette (les couleurs sont cette fois différentes, orangées). Dans ces pièces où on ne sait pas si les éléments de l’embarcation maritime, évoquant le voyage des immigrés vers l’ancien pays colonisateur, les Pays-Bas, sont prêtes à l’assemblage ou posées sur le tissu après démontage. Car le propos de Yeno Mao est aussi politique : la couleur orangée est celle du feu que provoqua, à la fin des années 1990, le crash d’un avion de transport militaire lorsqu’il s’écrasa sur la cité de la banlieue d’Amsterdam de Bijlmermeer où réside majoritairement une population du Suriname, l’ancienne Guyane néerlandaise. Et qui donc en fut majoritairement victime.
L’œuvre s’intitule Whiskey Papa, suivant le nom de code utilisé dans l’aviation pour la position géographique qui fut le dernier point de contact radar avec l’avion meurtrier… On verra par ailleurs dans l’exposition solo de l’artiste, des œuvres sur transparent, telle celle intitulée Jungle. Les palmiers de Miami en Floride sont ici encore un point de départ à une réflexion historique et artistique plus large. Car on ne sait pas s’il s’agit de photographies réelles ou glanées sur Internet. En fait, l’artiste a mélangé les deux et ces images rectangulaires, rassemblées en un patchwork sur film plastique, évoquent le monde contemporain, mixte aux frontières effacées entre réel et virtuel.