Le site Wikipedia aurait-il décidé d’ouvrir un département téléfilms ? À regarder All eyez on me, la question se pose quant à la fiche de Tupac Shakur, figure majeure du rap américain, abattu en 1996 à l’âge de 25 ans. Une narration factuelle et s’arrangeant parfois avec la réalité, une évocation des théories divergentes sans précisions et surtout sans prises de position, le non-style est là. Surtout, s’en tenir aux chapitres : l’enfance, le début de carrière, les ennuis judiciaires, les controverses, la mort mystérieuse. Le film de Benny Boom, réalisateur de clips et de séries, obéit à cette dramaturgie poussiéreuse sans jamais tenter de dépasser l’illustration. Un utilisateur du site Rotten Tomatoes résume laconiquement le résultat : « Le gars n’a jamais prétendu être un saint. Dommage que le film prétende qu’il en était un ».
Dans la version Boom, rédigée par Jeremy Haft, Eddie Gonzalez et Steven Bagatourian, on est effectivement plus proche de l’hagiographie que de la biographie tant le rapport critique au sujet est gommé. Tout à son hommage, le récit présente les circonstances de la naissance de l’œuvre de 2Pac en revenant lourdement sur le militantisme de sa mère, ses déménagements, la violence dont il fut témoin et les injustices le visant, le victimisant à chaque étape. Boom ne lésine pas sur les ralentis, une esthétique vaine qu’on pensait désormais bien rangée du côté des clips de soupes et qui pourtant semble constituer le paroxysme de sa mise en scène. Si la première partie est totalement anecdotique et inoffensive, c’est la seconde qui dérange par sa vacuité. Tupac désormais figure installée, rejoint les rangs du label Death Row et intègre la clique du producteur mafieux Suge Knight après un séjour en prison. Si l’intention du film était louable, tenter d’expliquer les codes de ces cercles, on assiste finalement à un curieux combat de coqs, où Boom, fasciné non pas tant par les personnages que leurs représentations, ne s’en tient qu’aux querelles de bling et de vocabulaire. Il est en effet beaucoup question de taille de colliers et d’utilisation pointilleuse de l’expression homie. Les rivalités, bien réelles, qui ont probablement causé sa mort, manquent cruellement de profondeur ici et les auteurs semblent même effrayés de raviver les rumeurs.
Rien non plus sur le travail acharné de Tupac sur ses chansons ou ses rôles au cinéma (on se souvient de son rôle de toxicomane repentant aux côtés de Tim Roth dans Gridlock’d, de Vondie Curtis-Hall, tourné juste avant sa mort). On a préféré montrer les belles nanas des soirées et l’entourage sur les plateaux, bien plus excitant visiblement qu’un type en train de s’acharner sur le rythme d’un flow. Parfois pourtant, on entrevoit la force et la conscience, comme si Boom se faisait montreur d’ours, avant de retourner aux dorures.
All eyez on me (titre de l’album emblématique de 2Pac) compte sur la performance remarquable de ses acteurs principaux, Demetrius Shipp Jr., jusque-là quasiment inconnu, et Danai Gurira, qui joue la mère de l’artiste. Mais au-delà de cette force, là aussi sous-exploitée, le film est un gâchis agaçant. Avec un tel personnage, un tel matériau, on attendait un récit et une mise en scène organiques, qui aurait enfin transcendé l’homme et son héritage, loin de ce clip formaté et inoffensif de 140 minutes. Marylène Andrin-Grotz