Yves Mersch, candidat à la vice-présidence de la BCE

Sauf-conduit pour Francfort

d'Lëtzebuerger Land vom 17.12.2009

Yves Mersch, actuel directeur ­général de la Banque centrale du Luxembourg, se reconnaîtra-t-il dans le portrait robot que les principales confédérations syndicales des banques centrales européennes, réunies jeudi et vendredi à Paris, devaient dresser du successeur du Grec Lucas Papademos, qui quittera son poste de vice-président de la Banque centrale européenne (BCE) à Francfort le 31 mai 2010 ? « Une personnalité respectueuse du dialogue social », résume Thierry Desanois, le président du SCECBU (Standing com­mittee of european central bank unions), structure européenne des syndicats de banques centrales à laquelle d’ailleurs l’association professionnelle des agents de la BCL (A-BCL) est affiliée. Cette organisation ne pourra donc plus dire, comme elle l’a fait la semaine dernière dans un communiqué (Land 11.12.2009), qu’elle se distancie des prises de position du syndicat IPSO, majoritaire au sein de la Banque centrale européenne à Francfort (revendiquant 400 membres payants, soit 40 pour cent du personnel permanent en poste à Francfort).

Les dirigeants d’IPSO ont écrit une lettre au président du Conseil européen Herman Van Rompuy, dans laquelle ils s’inquiètent de la nomination du Luxembourgeois Yves Mersch dans le directoire de la BCE. L’homme est connu comme le loup blanc à Francfort pour ses exploits en 2005, lorsqu’il licencia le très turbulent vice-président de l’A-BCL. À son passif d’homme de gauche, encarté au LSAP, Yves Mersch a longtemps tergiversé avant de devoir reconnaître la légitimité de l’A-BCL, en juin 2006, sous la pression du Bureau international du travail (BIT) que l’organisation syndicale avait saisi pour arbitrer le conflit. La plainte déposée par l’A-BCL au BIT avait aussi obligé le gouvernement à réagir en réaffirmant son attachement au dialogue social et au respect des droits syndicaux. Le comité du BIT lui avait aussi demandé de changer la loi de 1979 sur le statut légal des fonctionnaires et la reconnaissance de la représentation du personnel pour en retrancher le caractère discrétionnaire, non conforme à la convention sur le droit du travail et la liberté syndicale. Ce qui fut fait. Il reste néanmoins des failles : rien n’a été fait pour la protection des représentants syndicaux d’entreprises relevant du secteur public ou para-public avec un statut de simple employé et non pas de fonctionnaire. Il leur faut encore dix ans d’ancienneté pour bénéficier de l’impunité dont jouissent leurs homologues qui ont un statut de fonctionnaire. Le représentant de l’A-BCL, limogé n’en avait que sept à son actif.

Sans préjuger du contenu du communiqué des confédérations syndicales européennes, qui devait être rendu public aujourd’hui vendredi, le message ne devrait pas diverger fondamentalement de celui qui a été délivré une semaine plus tôt par les dirigeants d’IPSO. Les préoccupations sur le respect du dialogue social restent le fil rouge des syndicats, toutes tendances confondues.

Le nom d’Yves Mersch par contre ne devrait pas apparaître cette fois : « Nous nous attaquons à la fonction, pas à l’homme, c’est la fonction qui fait l’homme et pas l’inverse », explique Thierry Desanois, qui voit dans la lettre d’IPSO à Herman Van Rompuy un dérapage de ce syndicat. « Un syndicat n’est pas dans son rôle s’il se mêle de la nomination des dirigeants de la BCE, nous ne voudrions pas que Jean-Claude Trichet ait son mot à dire dans la nomination de tel ou tel président ou représentant de syndicat », poursuit le président du SCECBU. « Mais je comprends aussi les soucis de l’IPSO », nuance-t-il.

Thierry Desanois connaît par cœur le « CV humain et social » d’Yves Mersch pour avoir apporté, à une époque où il était secrétaire du SCECBU, le soutien des deux mains à l’A-BCL au plus fort du conflit avec la direction de la BCL en 2006, après le licenciement de son vice-président. Comme l’IPSO, le SCECBU demande à ce que, lorsqu’ils devront faire le choix du futur vice-président de la BCE, les 27 tiennent compte de considérations comme « les qualités d’écoute et d’ouverture au dialogue social ».Tout comme le président de la BCE, le vice-président est nommé d’un commun accord entre les chefs d’État ou de gouvernement des États de la zone euro, sur recommandation du Conseil de l’Union européenne et après consultation du Parlement européen et du Conseil des gouverneurs de la BCE.

De leur côté, les dirigeants d’IPSO sont bien conscients des risques qu’ils ont pris en laissant entendre que l’arrivée d’Yves Mersch dans le saint des saints de la BCE serait « le pire choix » qu’on pourrait leur imposer d’en haut. « À homme exceptionnel, procédure exceptionnelle » se justifie un proche de ce syndicat à Francfort, en faisant comprendre que le syndicat était sorti de son rôle traditionnel pour souligner les dangers que l’arrivée d’une personnalité aussi peu consensuelle que l’actuel patron de la BCL ferait peser sur le climat social à Francfort. C’est dire l’image déplorable qui colle à la peau d’Yves Mersch, que l’on dit assez proche de Jean-Claude Trichet, le premier patron de banque centrale – qui plus est européenne – à avoir essuyé une grève en juin dernier. « Trichet à côté de Mersch, c’est du gâteau », explique un représentant d’IPSO.

Les craintes des syndicats et les grands moyens qu’ils déploient pour influencer le choix de la personnalité qui sera dans le directoire sont justifiés par le risque d’une réorganisation de l’organigramme de l’établissement de Francfort. Il n’est pas improbable en effet que le prochain vice-président se voie confier la gestion des ressources humaines de la banque. Une fonction que Lucas Papademos a occupée jusqu’il y a un an et qui a été reprise depuis lors par l’Autrichienne Gertrude Tumpel-Gugerell. La « femme alibi » du directoire de la BCE, comme se plaisent à dire les représentants syndicaux, ne devrait pas faire de vieux os à Francfort, son mandat se terminant le 31mai 2011. Il serait donc logique d’attribuer la gestion des ressources humaines au nouveau venu. D’où les craintes de l’IPSO.

Soutenu par le Premier ministre et président de l’Eurogroupe Jean-Claude Juncker, Yves Mersch était pressenti, il y a encore trois semaines comme l’un des favoris à la vice-présidence de la BCE. Dans l’intervalle, le gouvernement belge a aligné son propre candidat, Peter Praet, l’un des directeurs de la Banque centrale de Belgique, et vendredi 11 décembre, le Premier ministre portugais, José Socrates, a avancé le nom du gouverneur de la Banque du Portugal, Vitor Constancio. « Le gouvernement (...) mettra tout en œuvre pour que l’un de ses gouverneurs les plus prestigieux soit élu à la vice-présidence de la BCE », a déclaré José Socrates à l’issue d’un sommet des dirigeants européens à Bruxelles. Les trois candidats déclarés sont politiquement marqués à gauche, mais les représentants syndicaux non-Luxembourgeois doutent toujours très sérieusement, dans le cas d’Yves Mersch, de l’affiliation gauchisante qui lui est attribuée.

Le communiqué des syndicats aura-t-il une influence sur le choix du nouveau vice-président qui sera décidé en janvier, lors d’un conseil des ministres des Finances des 27 et d’une réunion de l’Eurogroupe ? Le directeur général de la BCL a en tout cas pris très au sérieux l’attaque frontale de l’IPSO (qualifiée d’ « allégations malveillantes », dénuées de tout fondement) en affirmant, sans crainte de se ridiculiser, le « fort attachement » de la direction « au maintien d’un bon dialogue social ». Il n’y a sans doute qu’Yves Mersch pour y croire. Le communiqué publié le même jour de l’A-BCL, pour se démarquer des propos d’IPSO et soutenir la candidature de Mersch à la vice-présidence, n’a pas donné le sentiment d’un climat social au beau fixe au sein de la BCL. « Il faut lire ce texte entre les lignes », confirme une source proche de la Banque centrale, qui a requis l’anonymat, par peur évidente de représailles.

Le départ d’Yves Mersch à Francfort est d’ailleurs présenté à Luxembourg comme une bénédiction : « Son départ contribuera à pacifier les relations sociales » souligne notre source. Comme l’a mentionné son communiqué, l’A-BCL a connu de fortes turbulences depuis trois ans, après le limogeage de son vice-président. Les « anciens » de la représentation ont presque tous jeté l’éponge et laissé la place à des nouveaux venus, qui donnent l’impression de jouer les kamikazes en intégrant les postes de commande de l’association, tant ces fonctions les exposent. L’A-BCL fut au bord de la dissolution volontaire à l’automne 2008, après la démission de son président. L’association n’eut plus de comité entre décembre 2008 et février 2009, avant que son destin soit repris en main par l’équipe actuelle. Une assemblée en février 2010 devrait lui permettre un bilan intermédiaire de l’action syndicale menée depuis un an et peut-être aussi être l’occasion d’élargir le comité, à défaut de pouvoir en renouveler les membres, les candidats ne se poussant pas au portillon pour en briguer les mandats.

La nouvelle équipe a troqué la méthode de la confrontation contre celle du dialogue, mais le résultat, après presque un an de fonctionnement, reste peu convaincant. Des propositions très sages ont été formulées à la direction de la BCL, il y a six mois (octroi de prêts personnels, abonnement de bus à tarif préférentiel, mise en place de l’horaire mobile) sans qu’elles aient encore été examinées. On comprend mieux dès lors pourquoi l’A-BCL s’est interdit d’entreprendre « aucune action, à l’intérieur ou à l’extérieur de la banque, qui puisse entraver la possibilité pour son directeur général d’être choisi comme membre du directoire de la BCE ».

La question de la succession d’Yves Mersch, départ ou non pour Francfort, se pose de toute façon. Son mandat se terminera le 31 mai prochain, ce qui coïncidera exactement avec la fin de celui de Lucas Papademos, les deux banques BCL et BCE ayant été créées au même moment. D’où aussi la proximité de leurs structures et notamment les pouvoirs très forts, voire discrétionnaires, que peuvent revêtir les postes de commandement dans les deux institutions.

« Yves Mersch n’a pas de solution de repli tant il est persuadé qu’il va quitter la banque », raconte un proche. Le « gouverneur » luxembourgeois, titre que la loi créant la BCL ne lui a d’ailleurs pas attribué, prépare déjà lui-même sa succession et règle certains dossiers avant de partir, après avoir été douze ans aux commandes de la banque. Né en 1949, il est devenu « pensionnable » depuis quelques semaines après avoir soufflé ses 60 bougies. Il est peu probable que Jean-Claude Juncker, qui l’avait fait tourner en bourrique pendant vingt-quatre heures en 2004 en retardant le renouvellement de son second mandat, le fasse rempiler pour six ans de plus. « Nous ne sommes pas en Italie où, jusqu’à une date assez récente, le gouverneur de la banque centrale était nommé à vie », plaisante un agent de la banque.

Dans un entretien à Luxembourg­forFinance, l’agence de promotion de la place financière, Yves Mersch admet que son destin n’est pas entre ses mains et qu’il ignore de quoi il sera fait. « Mais, dit-il, ma motivation et ma disponibilité pour relever de nouveaux défis sont intacts ». Message entendu cinq sur cinq par les syndicats européens.

Véronique Poujol
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