Révision de la Constitution

Interrègne

d'Lëtzebuerger Land du 14.01.2010

La proposition de révision no 60301, déposée le 21 avril 2009 par le député Paul-Henri Meyers, a pour ambition de réformer en profondeur notre Constitution actuelle, d’en faire une « refonte générale »2. Parmi les nombreuses modifications proposées, il y en a une, à l’article 45 du projet, qui touche aux modalités de la prestation de serment du Grand-Duc lors de son accession au trône. Elle est importante sur le plan des symboles autant que par ses implications juridiques.

Actuellement, il est dit à l’article 5 de la Constitution que « lorsqu’il [le Grand-Duc] accède au trône, il prête, aussitôt que possible, en présence de la Chambre des Députés ou d’une députation nommée par elle, le serment suivant : Je jure d’observer la Constitution et les lois du Grand-Duché de Luxembourg, de maintenir l’indépendance nationale et l’intégrité du territoire ainsi que les libertés publiques et individuelles ». On voit qu’aucun délai précis n’est fixé pour la prestation de serment et qu’en tout cas, l’accession au trône se produit antérieurement et indépendamment de l’assermentation. Ce système est en fait le même que celui en vigueur aux Pays-Bas où la Constitution prévoit à l’article 32: « Dès que possible après que le Roi a commencé à exercer l’autorité royale, il prête serment et est installé solennellement en séance publique des États généraux réunis en une seule assemblée dans la capitale, Amsterdam.» Deux constitutionnalistes néerlandais écrivent à ce propos : « The Constitution assumes continuity. The successor becomes King immediately. The saying ‘The King never dies’ is applicable in this context. The swearing-in of the new King in the capital Amsterdam, which is prescribed in the Constitution (Art. 32) has no juridical significance.»3

La Belgique, à l’inverse, a fait dès l’origine de la prestation de serment une condition d’accession au trône.

C’est le système belge que le projet préconise d’introduire au Luxembourg. La question, transférée à l’article 45 de la Constitution, serait dorénavant réglée dans les termes suivants, analogues à ceux de l’article 91 alinéa 2 de la constitution belge : « Le Grand-Duc ne prend possession du trône qu’après avoir prêté, devant les membres de la Chambre des Députés, le serment suivant : [suit la formule du serment, inchangée] ». En réalité, et sans d’ailleurs le mentionner dans le commentaire de l’article, le projet entend ainsi revenir au système que le Luxembourg a lui-même déjà connu de 1848 à 1856 !

Effectivement, la Constitution libérale de 1848 avait repris un nom-bre important de dispositions de la Constitution belge de 1831, dont celle faisant de la prestation du serment constitutionnel une condition d’accession au trône. Se trouvait ainsi mise au rancart la loi de continuité de la couronne (ou d’instantanéité de la succession au trône)4, exprimée par le fameux adage « Le Roi est mort, vive le Roi ». Désormais, il y aurait forcément entre le moment où meurt le Roi Grand-Duc et celui où son successeur prête serment un interrègne. Cet interrègne, les constituants de 1848 avaient étrangement – à la différence de leurs homologues belges – omis de l’organiser, d’où certaines controverses après le décès de Guillaume II survenu le 17 mars 1849. Guillaume III, de tempérament plus autoritaire que son père, mit du temps et une certaine mauvaise volonté à prêter le serment. Il devait trouver la procédure quelque peu humiliante et s’empressa de reve-nir, dès 1856, à l’ancien système : la Constitution du 27 novembre 1856, imposée d’autorité par lui, remit en vigueur la règle de l’instantanéité de la succession au trône et fit de la prestation de serment une espèce de corvée à laquelle le souverain satisferait « aussitôt que possible »5. Ce système a été maintenu jusqu’à ce jour à travers toutes les vicissitudes qu’a connues notre Constitution : « L’héritier présomptif acquiert la Couronne de plein droit, au moment où le trône devient vacant, soit par le décès, soit par l’abdication du titulaire… La prise de possession du trône ne dépend pas, comme par exemple en Belgique, de la prestation du serment. Elle s’opère de plein droit. »6

À l’avenir, si les auteurs du projet de réforme sont suivis, nous reviendrons donc à la formule de 1848. Le commentaire de l’article est tout à fait explicite sur ce plan : « Toutefois, le texte proposé reprend le texte inscrit dans la Constitution belge liant la prise de possession du trône à la prestation du serment. La prestation du serment marque le moment à partir duquel le Grand-Duc peut exercer la fonction de chef de l’État. Le refus de prêter le serment mettrait le futur souverain dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions et devrait être considéré comme une renonciation au trône. »7. L’assermentation marque « le début du règne du nouveau souverain ».8

Le commentaire admet ainsi l’existence d’un interrègne9, d’un « entracte républicain »10, qui, d’après l’article 46 du projet, ne devrait pas durer plus de dix jours puisqu’ « à la mort du Grand-Duc, ou dans le cas de son abdication, la Chambre des Députés doit se réunir au plus tard le dixième jour après celui du décès ou de l’abdication, aux fins de l’assermentation du successeur ou du régent ». Cette période est cependant suffisamment longue, et notre époque suffisamment dangereuse, pour qu’il ait fallu cette fois-ci songer à l’organiser. En fait, pendant ce court interrègne, c’est le Conseil de Gouvernement qui exerce les pouvoirs constitutionnels du Grand-Duc, « au nom du peuple luxembourgeois » (article 50 du projet). Le projet reprend donc en substance l’article 90 de la constitution belge, en en mutilant toutefois la partie initiale: alors que le texte belge débute correctement par « À dater de la mort du roi… », la version luxembourgeoise « À la date de la mort du Grand-Duc… » apparaît un peu incongrue.

Une question annexe pourrait donner lieu à controverse. Alors que la Constitution actuelle prévoit que le Grand-Duc peut prêter son serment « en présence de la Chambre des Députés ou d’une députation nommée par elle », les auteurs du projet ont supprimé dans le texte la mention de la députation tout en soulignant dans le commentaire de l’article que « le texte n’exclut pas qu’il [le serment] peut intervenir devant une députation de la Chambre de Députés »11. Étrange méthode de législation qui consiste à supprimer ce qu’on entend maintenir ! On peut s’interroger d’autant plus sur la pertinence du commentaire que l’article 46 du projet – déjà cité – prévoit que « la Chambre des Députés doit se réunir… aux fins de l’assermentation du successeur ou du régent ». Historiquement, les assermentations de souverains luxembourgeois par une députation de la Chambre ont été fréquentes: 10 juillet 1848, Guillaume II, au palais de Noordeinde (La Haye) ; 18 avril 1849, Guillaume III, au palais de Noordeinde ; 22 novembre 1905, Guillaume IV au Château de Hohenburg (Bavière) ; 15 janvier 1919, Charlotte, au Château de Berg.

Si le projet était suivi dans ses dispositions principales, il resterait à déterminer, le moment venu, pour la période de l’interrègne, la formule exécutoire des arrêts, jugements et autres actes portant exécution forcée12.

1 Proposition de révision portant modification et nouvel ordonnancement de la Constitution, déposée le 21 avril 2009 par M. Paul-Henri Meyers, Président de la Commission des Institutions et de la Révision constitutionnelle, document parlementaire N° 6030.
Henri Goedert
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