L’observation et l’infiltration par la police constitueront un changementfondamental du système judiciaire luxembourgeois, car ces méthodeslui permettront d’enquêter de façon proactive, c’est-à-dire avant qu’uneinfraction ait réellement eu lieu. Le projet de loi portant réglementationde quelques méthodes particulières de recherche, introduit au parlementpar le ministre de la Justice Luc Frieden (CSV) en 2006, est actuellement dans la dernière ligne droite législative. Parquets et avocats se sont livré bataille dans plusieurs avis le mois dernier et mercredi, les membres de la Commission juridique du parlement ont formulé un texte qu’ils vont soumettre au Conseil d’État pour un troisième avis avant de le passer en plénière.
Le rapporteur et président de la Commission, Patrick Santer (CSV),est confiant que les Sages vont lui accorder le feu vert cette fois-ci. Or, les questions soulevées dans les deux premiers avis sont fondamentales.D’abord, le Conseil d’État avait « du mal à admettre que la loi permettrades écoutes ou enregistrements à distance en violation manifeste de l’esprit (…) du Code d’instruction criminelle ou autorise la police à opérer une observation prolongée d’une personne moyennant photographies en dehors des procédures instaurées par la loi en projet ». Ensuite, il met en garde contre l’introduction dans le droit luxembourgeois du principe du témoignage anonyme qui aura« l’effet d’un précédent à l’occasion des débats sur un projet de loi portant plus particulièrement sur cette question ». Dans cet ordre d’idées, le Conseil de l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg a aussi invoqué des problèmes fondamentaux concernant les droits de la défense – même s’il félicite le gouvernement de réglementer l’observation et l’infiltration qui se pratiquent déjà « à l’état sauvage ».
Car il s’agit d’une matière hautement sensible, même si au Luxembourg,les personnes qui s’en émeuvent sont rares. Lorsque ces mesures ont été introduites en Belgique par exemple, un recours en annulation avait été introduit par la Ligue des droits de l’homme et d’autres requérants parce que les dispositions sur l’observation constituaient à leurs yeux une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée et l’inviolabilité du domicile. Or, ici, l’attention s’est surtout focalisée sur l’infiltration. Lapratique de l’observation n’a été assortie que des limites de devoir justifier la décision par des«motifs spécifiques inhérents à l’espèce » et que la peine prévue pour la transgression en cause doit être supérieure à quatre ans de prison.
D’abord, les députés ont retenu l’idée que cette mesure doit rester tout à fait exceptionnelle et ne peut être déclenchée que si tous les autres moyens d’investigation n’ont eu aucun succès. La décision officielle doit aussi être motivée par des indices graves qui permettent de conclure que l’infiltration d’un agent est indispensable.
Sous peine de nullité. Ces documents seront joints au dossier, renduégalement accessible à l’avocat de la défense. Les députés ont aussi retenu l’obligation – proposée par l’Ordre des avocats – de faire cesser l’infiltration lorsque l’enquête a abouti à l’inculpation d’une personne. Tout en prévoyant une transition de quelques mois pour permettre à l’espion de se défiler sans risquer de dévoiler quelle avait été sa vraie mission.
« Le principe du témoignage anonyme est indispensable, estime PatrickSanter, si l’on veut permettre à l’agent infiltré de garantir de toutes les protections nécessaires. » Car il s’agit surtout d’étrangers actifs sur le territoire luxembourgeois – notamment pour éviter leur identification. Le député est persuadé que les autorités ne pourront pas persuader un agent de venir les aider sans fournir quelques garanties – comme le témoignage anonyme. Il pourra dès lors être interrogé à distance par l’intermédiaire d’un dispositif technique qui rendra sa voix non identifiable – pour autant que l’inculpé en fasse la demande.
D’autre part, aucune personne ne peut être condamnée sur le seul fondement des déclarations anonymes. L’infiltration sera limitée à douze cas de figure – le texte de Luc Frieden ne prévoyait au départ que la limite d’une peine de quatre ans de détention – : sûreté de l’État, terrorisme, traite des êtres humains, prostitution, proxénétisme,pédophilie et exploitation des êtres humains, blanchiment et recel, corruption, concussion et prise illégale d’intérêt, faux monnayage et enlèvement de personnes. Les affaires d’armes, d’homicide, de coups et blessures volontaires, de vol et d’extorsion, d’aide à l’entrée et au séjour irréguliers sont assorties de la condition qu’elles doivent se dérouler dans le cadre d’une association de malfaiteurs.
Patrick Santer considère qu’il s’agit là de garanties suffisantes pour permettre un équilibre entre les droits fondamentaux de la défense et l’efficacité de la procédure judiciaire, tout en ajoutant que le public ne comprendrait pas qu’une affaire puisse ne pas aboutir simplement parcequ’il n’existe pas de base légale à certaines méthodes d’investigation.