« Pourquoi ce débat maintenant ? » se demande Claudia Dall’Agnol, députée socialiste et présidente de la FLTAS (Fédération luxembourgeoise de tir aux armes sportives), 3 650 membres sous licence. « Le ministre de la Justice aurait certainement d’autres débats plus importants à mener actuellement ! »
Pourtant, en l’espace de quinze jours, les passions se sont déjà un peu calmées dans le milieu des détenteurs d’armes, les réactions sont plus posées. Mais lorsque, le 8 janvier, François Biltgen (CSV) présenta la progression des statistiques sur la détention d’armes au Luxembourg et jugea ces chiffres « alarmants » (voir ci-contre), estimant qu’il était temps de réfléchir à un renforcement de la législation, ils sont tous tombés des nues. Parce que la loi de 1983 venait d’être précisée le 3 août 2011 par transposition d’une directive européenne sur le contrôle de l’acquisition et de la détention d’armes. Et que, en règle générale, tous s’accordent à dire qu’il s’agit d’une loi très restrictive imposant de multiples contrôles à tous les niveaux, de l’acquisition en passant par l’utilisation, jusqu’à la vente ou la destruction d’une arme. « Le dernier accident avec une arme à feu qui ait été enregistré sur un stand de tir remonte à il y a quarante ans, » souligne Claudia Dall’Agnol.
Émotions Au moment où le ministre a lancé le débat, les émotions déclenchées par le massacre de Newtown aux États-Unis, où, le 14 décembre 2012, un adolescent armé jusqu’aux dents avait ouvert le feu dans une école et tué 26 personnes et la National Rifle Association profitait même du drame pour prôner que chacun s’achète une arme pour assurer sa propre sécurité, étaient encore vives. « François Biltgen affirme que le Luxembourg n’est pas à l’abri d’une éventuelle tragédie similaire, » lit-on dans un communiqué publié une semaine plus tard, le 16 janvier, sur le site du ministère. Et de promettre un « large débat » et une consultation à la Chambre des députés devant aboutir à une réforme de la législation actuelle. Dans une lettre envoyée le jour même au Procureur d’État et aux responsables de la Police, des Douanes et des différentes fédérations, dans laquelle il les invite à participer à la discussion, le ministre tempère ses propos, insistant qu’il « ne s’agit pas de stigmatiser de façon générale la possession d’armes en soi ou de faire un procès d’intention aux personnes qui font un usage raisonnable à des fins légitimes et légales ». Et énonce quatre thèmes spécifiques qu’il voudrait clarifier : l’usage d’armes lors d’incidents de voisinage ou de violences domestiques, la présence d’armes dans une communauté de vie où l’emprise d’armes pourrait être dangereuse, notamment pour des mineurs, les personnes à la santé mentale fragile qui ne devraient pas avoir accès à des armes et le vol d’armes lors d’effractions. Tous sont invités à soumettre leurs commentaires et suggestions jusqu’au 29 mars.
Raisonnables « S’il vous plaît, ne nous présentez pas comme des fous furieux passionnés d’armes dans votre article ! » demande Pit Kaiser, président de la Scal (société des collectionneurs d’armes Luxembourg), qui regroupe quelque 80 passionnés d’armes, essentiellement historiques. « Nous considérons nos armes sous leur aspect historique, technique, culturel, voire esthétique, explique-t-il. Une arme, c’est comme un livre : on lit la grande et les petites histoires dedans. » Voilà pourquoi les collectionneurs ne veulent pas « démilitariser » ou « neutraliser » leurs pièces pour les rendre inutilisables et les réduire au rang d’objets de décoration. Pour ce fan d’armes du début du XXe siècle ou cet autre spécialiste du XIXe, pour un collectionneur d’armes utilisées durant la deuxième guerre mondiale ou un fan de la guerre froide, c’est aussi un défi de les faire marcher et d’obtenir de bons résultats, par exemple de précision, avec – alors il vont parfois au stand de tir et participent à des tournois, aussi historiques (dont un est organisé chaque année à Echternach). « Mais nous ne faisons de mal à personne, nous poursuivons juste notre passion, » insiste Pit Kaiser.
Comme les chasseurs (qui sont près de 2 100) et les tireurs sportifs, les collectionneurs doivent donc avoir un permis de port, respectivement de détention d’armes, règles dont seules celles, très anciennes, d’avant 1870, sont exclues. Les armes doivent être enfermées en lieu sûr au domicile du détenteur, et les munitions séparées des armes, « mais tout cela, nous le faisons de toutes façons ! » parce que les collections représentent non seulement un enjeu de sécurité, mais aussi une certaine valeur que le collectionneur protège aussi des envieux.
Traçabilité et contrôle « Notre loi actuelle est bonne, » juge aussi Paul Frauenberg, armurier à Niederfeulen et président de l’association des armuriers et négociants d’armes, qui sont une dizaine à travers le pays. « Les armes dont parlait le ministre sont toutes déclarées, donc légales, alors qu’à mon avis, un danger beaucoup plus important émane de toutes les armes illégales en circulation, » insiste-t-il. Aujourd’hui, chaque arme porte un numéro d’identité dès sa production, numéro avec lequel son curriculum vitae peut à tout moment être retracé : mise en circulation ou en vente, changement de propriétaire ou de pays, et ainsi de suite. L’armurier ou le négociant – beaucoup d’armes en circulation sont des occasions – ne peut vendre son arme qu’après autorisation de la part du ministère de la Justice, service des armes, qui ne sera remise qu’après contrôle de la moralité de la personne (pour la première acquisition).
L’acquéreur quant à lui doit avoir une autorisation de port d’armes, soit de tireur sportif, soit de chasseur (qui doit en outre avoir un permis de chasse). Toutes les armes sont enregistrées dans un registre central informatique auquel d’autres services, notamment la Police, ont automatiquement accès à tout moment – ce qu’elle fait systématiquement avant une descente sur les lieux d’une personne suspectée dangereuse, lors d’une affaire de violence domestique ou lorsqu’une autorité judiciaire ordonne une saisie d’armes.
Même son de cloche du côté des chasseurs, qui se défendent aussi d’utiliser leurs armes à des fins autres que la chasse. D’ailleurs, eux, comme les tireurs sportifs, estiment qu’ils sont déjà très sévèrement contrôlés et encadrés par nombre de chicanes administratives – comme les longues attentes pour les renouvellements de permis, les taxes que beaucoup jugent excessives (50 euros par permis), des contrôles de leurs équipements et de leurs papiers (port d’armes, permis de chasse,...)
« Vous savez, une arme seule est toujours inoffensive, c’est l’usage qu’on en fait qui peut être dangereux, » résume Pit Kaiser, le président de la Scal. « Au lieu de diaboliser les armes, lit-on dans leur communiqué, notre association estime qu’il faudrait se focaliser sur les raisons concrètes menant à de telles tragédies humaines. » François Biltgen n’a pas invité de psychologues, par exemple de ceux qui sont spécialisés dans l’analyse des effets des jeux vidéos violents sur la perception qu’auront ces joueurs de la violence réelle, ou de travailleurs sociaux à participer au débat.