Une étude analyse l’attitude des autorités face à l’adoption des nouvelles technologies par les services financiers

La soft touch des régulateurs

d'Lëtzebuerger Land vom 07.05.2021

Depuis quelques années, sous l’influence des nouvelles technologies, le rythme de l’innovation s’est accéléré dans les activités financières, modifiant en profondeur la manière dont elles sont exercées. Dans un secteur aussi fortement règlementé, cette évolution présente un défi majeur pour les autorités nationales et internationales de régulation. D’un côté, conformément à leur mission, elles doivent superviser de nouveaux acteurs et renforcer la protection des consommateurs confrontés à de nouvelles techniques et de nouveaux produits. De l’autre, elles ne peuvent prendre le risque d’une surrèglementation qui ferait obstacle à l’intégration d’innovations qui irriguent l’ensemble des économies et des sociétés. En janvier 2021, Anaïs Peltier et Julie Moroy, appartenant toutes deux à la direction juridique de la banque française Natixis (groupe BPCE) ont publié les résultats d’une vaste étude sur la manière dont plusieurs grands régulateurs traitaient l’innovation financière, au-delà de la législation proprement dite (« Les régulateurs et l’innovation », Le Monde du droit). Les sept régulateurs retenus étaient issus de quatre pays, Allemagne, États-Unis, France et Royaume-Uni. Les auteurs ont travaillé sur les contenus disponibles sur leurs sites Internet, en rassemblant la documentation relative à six thèmes différents, quelle que soit la date de publication : les fintech, la blockchain, les cryptomonnaies, l’intelligence artificielle (IA), le crowdfunding et le big data. Au total 289 documents ont été recensés, dont 99 en France, 80 au Royaume-Uni, 71 aux États-Unis et 39 en Allemagne. L’intérêt des régulateurs pour les thèmes liés à l’innovation financière peut paraître récent puisque 93,5 pour cent de l’ensemble des écrits trouvés sur les sites Internet ont été publiés depuis 2016. En réalité il remonte à quelques années plus tôt.

Ainsi la SEC a lancé en 2013 son système de Market Information Data Analytics (MIDAS) permettant de combiner les nouvelles technologies et le big data. L’AMF, elle, a mis en place en 2014 avec l’ACPR un cadre favorable dédié spécifiquement au crowdfunding pour « faire de la France un pays pionnier en matière de régulation du financement participatif ». La britannique FCA, qui a succédé en mars 2013 à la Financial, Services Authority fait aussi figure de précurseur dans le traitement de l’innovation. C’est en effet l’autorité de régulation ayant présenté antérieurement à 2016 le plus grand nombre de travaux et rédigé le plus d’écrits en matière de digitalisation. Elle a notamment lancé en octobre 2014 le projet FCA Innovate, visant à favoriser l’innovation au sein du marché des services financiers, et a lancé en 2015 un appel à contribution au sujet du développement des regtechs, qui permet de répondre aux exigences règlementaires de façon plus efficace que les technologies classiques. Depuis 2016, la FCA reste également le régulateur le plus prolixe sur ces sujets, le nombre de documents qu’elle a produit sur les thèmes digitaux représentant le quart du nombre total de documents étudiés.

La nature des productions des régulateurs relatives au sujet de l’innovation financière est extrêmement variée : études, articles, communiqués de presse, textes de conférences et prises de position, sites Internet dédiés ou encore applications, comme l’application Digital développée par l’autorité française ACPR pour communiquer plus facilement sur les innovations mises en place dans le cadre de ses processus d’agrément. Cette diversité traduit l’importance des efforts de communication déployés au fil des années envers différents publics, professionnels ou particuliers.

Les régulateurs ont également adapté leurs modes de communications. Ainsi, la FCA, qui a mis en place de nombreux projets concrets relatifs au big data, ainsi qu’un nouveau système de « regulatory reporting » faisant appel aux nouvelles technologies, communique beaucoup à leur sujet à travers différentes pages présentes sur son site. La FCA a également créé une sandbox (bac à sable, littéralement), un environnement permettant aux banques et aux acteurs de la fintech d’expérimenter des produits ou services innovants dans un espace défini et sécurisé.  

En France les régulateurs ont mis en place des outils numériques de communication tels qu’un chatbot et une application pour l’ACPR, ou une plateforme de surveillance reposant sur du big data et un site dédié à ces sujets du côté de l’AMF, des initiatives mises en valeur sur leurs sites Internet respectifs. La CFTC a quant à elle adopté une démarche pédagogique, en produisant plusieurs podcasts audios, un educational tool, différents guides et des brochures sur le thème de la digitalisation. La SEC et la BaFin sont plus classiques et conservatrices : elles axent moins leur stratégie sur une communication numérique et sur l’instauration de projets, mais évoquent les thèmes digitaux de manière plus traditionnelle à travers des rapports et des déclarations pour la SEC, et des articles, études et rapports pour la BaFin.

Dans les pays où existent plusieurs autorités, elles travaillent et communiquent en binôme sur les sujets digitaux. En France les régulateurs AMF et ACPR ont mis en place ensemble le régime européen de crowdfunding en 2014, ainsi que le Forum FinTech en 2016. Les britanniques FCA et PRA ont lancé en 2016 une procédure commune nommée New Bank Start-up Unit (NBSU) pour l’agrément de nouveaux acteurs et leurs confrères américains (CFTC et SEC) ont créé une alerte conjointe sur les sites Internet frauduleux de cryptomonnaie en 2019. Les thèmes relatifs à l’innovation qui intéressent le plus les régulateurs sont les fintech, avec 67 références pour l’ensemble des régulateurs étudiés, soit légèrement plus de 35 pour cent du nombre total de références concernant des sujets digitaux. Les cryptomonnaies font quant à elles l’objet de 49 références (26 pour cent), suivies de près par le big data qui en totalise quarante (soit 21 pour cent). L’intelligence artificielle et la blockchain avec respectivement 19 et 15 références (10 et 8 pour cent) sont moins bien couvertes.

Chaque régulateur a décidé de mettre l’accent sur un ou deux thèmes numériques en particulier. Certains tels que l’AMF, l’ACPR, la CFTC et la BaFin se sont principalement intéressés aux fintech, les documents à leur sujet représentant de 25 à 40 pour cent de leur production totale. La FCA s’est surtout penchée sur des sujets en rapport avec le big data (37 pour cent) et avec les cryptomonnaies (22 pour cent). La FCA a lancé en 2017 un programme de travail reprenant douze projets concrets sur le big data, qui vont de la mise en place d’un « assistant intelligent » à celle d’une plateforme interbancaire, en passant par un programme intelligent de compliance. Un thème également de grand intérêt pour la SEC qui y a consacré 38 pour cent de sa production. Proportionnellement l’ACPR est le régulateur le plus porté sur l’intelligence artificielle, qui pèse 19 pour cent des publications. Certains régulateurs ont par ailleurs adapté leur organisation en créant un département spécifiquement dédié à l’innovation, comme c’est d’ailleurs le cas au Luxembourg : l’ACPR s’est ainsi dotée du pôle FinTech Innovation en 2017, qui anime, en coopération avec l’AMF, le Forum FinTech traitant de sujets règlementaires et de supervision liés aux Fintech et à l’innovation. D’autres encore ont lancé des Labs, permettant l’expérimentation des nouvelles technologies appliquées au secteur financier en coopération avec les acteurs du secteur : la CFTC a ainsi mis en place en 2018 le LabCFTC, une plateforme d’expérimentation mise à la disposition des innovateurs. Les rédactrices estiment finalement que les régulateurs, tout en ayant pleinement conscience des enjeux de l’innovation financière et soucieux « d’un encadrement effectif de ses résultats » savent, dans leur communication sur ce thème, « se montrer agiles et ingénieux malgré des structures et des modes de fonctionnement parfois lourds qui ne leur facilitent pas la tâche »..

L’innovation à la CSSF

La partie « Innovation » du site de la CSSF présente d’abord son « Innovation Hub », qui se veut « le point de contact dédié pour toute personne souhaitant présenter un projet innovant ou échanger sur les principaux défis relevés en matière d’innovation financière au Luxembourg ». On y trouve par ailleurs des éléments destinés à informer le public des positions de la CSSF sur quatre sujets liés à l’innovation financière  : les actifs virtuels, l’intelligence artificielle, le robo-advice et le financement participatif, avec au total une quinzaine de documents dont le plus ancien remonte à février 2018.

La publication la plus importante sur le fond est aussi l’une des plus récentes (8 février 2021) et se retrouve dans chacune des quatre rubriques. Elle est intitulée « Financial Innovation : a challenge and an ambition for the CSSF » et comporte quinze pages en version Pdf. Elle exprime en détail la stratégie suivie par la CSSF en matière d’innovation financière. Elle est rédigée en anglais comme quasiment toutes les autres publications (on ne trouve que trois documents traduits en français et un en allemand). Sur la forme, le plus gros document date de décembre 2018 : il s’agit d’un white paper de 81 pages intitulé « Artificial intelligence : opportunities, risks and recommendations for the financial sector ». Toutefois, la plupart des documents ont un caractère informatif (avertissements, communiqués) ou purement administratif (formulaires et procédures d’enregistrement).

L’impulsion de Bruxelles

La Commission européenne, en tant que législateur, n’entrait pas dans le champ de l’étude. Mais Anaïs Peltier et Julie Moroy observent que le 24 septembre 2020, elle a adopté un ensemble de mesures (Digital Finance Package), comprenant des stratégies et propositions dans quatre domaines. La stratégie de finance numérique vise à garantir l’égalité entre les fournisseurs de services financiers, qu’il s’agisse de banques traditionnelles ou d’entreprises de haute technologie. Un deuxième projet vise à assurer aux particuliers et aux entreprises des services de paiement sécurisés, rapides et fiables grâce notamment à des solutions de paiements transfrontaliers instantanés.

La proposition de règlement relative aux marchés des crypto-actifs (MiCA, pour Markets in Crypto-Assets) a pour objectif de clarifier et de sécuriser le cadre juridique applicable aux émetteurs et aux prestataires en crypto-actifs, en instaurant des exigences plus strictes, notamment en termes de capital, de droits de l’investisseur et de surveillance. Enfin, la Commission propose un acte législatif sur la résilience opérationnelle numérique (DORA, pour Digital Operational Resilience Act) qui vise à garantir la réduction des risques de cyber-attaques et d’autres menaces sur les établissements financiers et sur leurs prestataires informatiques. Une démarche propre à renforcer les initiatives des régulateurs dans leur traitement de l’innovation.

Georges Canto
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