Désireux de résoudre la contradiction entre le droit à la copie privée et l’interdiction de contourner la protection anti-copie des DVD, un citoyen danois a décidé cette semaine de se dénoncer à la police. Espérant faire sortir du bois les juges et législateurs de son pays, Henrik Anderson avait informé une association de lobbying anti-piratage, Antipiratgruppen, il y a un mois, qu’il s’était rendu coupable d’infractions répétées à la loi danoise protégeant les DRM (Digital Rights Management) en copiant la centaine de DVD qu’il possède (légalement) et en en plaçant une copie sur un disque dur externe relié à son réseau domestique.
Antipiratgruppen n’a pas mordu à l’hameçon : l’avocat représentant le groupe de lobbying a déclaré à un journal danois qu’il s’agissait d’une « affaire politique », qu’ils en avaient informé l’Association de vidéodistributeurs danois et que Henrik Ander-son obtiendrait une réponse endéans un mois. En même temps, l’avocat, Thomas Schlüter, avait reconnu qu’il est habituellement impossible de prouver ce genre d’infraction: « À moins que les gens ne confessent, il est impossible de démontrer qu’ils ont enfreint la protection anti-copie. Nous ne pouvons pas démolir la porte d’entrée des maisons privées pour explorer ce que les gens ont de disponible sur leur serveur médias », a-t-il expliqué. Le ministère de la culture a cependant informé Henrik Anderson que les copies qu’il a confectionnées sont illégales.
Les DVD sont protégés contre la copie par un dispositif dit CSS (Content Scramble System), ce qui oblige les fabricants de lecteurs de DVD à intégrer cette technologie pour rendre les DVD lisibles. Lancé vers 1996, le CSS avait été mis en échec par un jeune hacker norvégien, Jon Lech Johansen, en 1999. Aujourd’hui les logiciels pour « ripper » les DVD abondent. Toutefois, pour peu que dans une juridiction une loi protège explicitement les dispositifs anti-copie, il est illégal de les utiliser. Il est de notoriété publique que les serveurs médias, en vente partout dans les magasins d’informatique, servent notamment à stocker des copies digitales de films. Par ailleurs, le droit à la copie privée est ancré dans la législation danoise. Quelle règle prévaut ?
Henrik Anderson espère que sa démarche forcera le ministère de la culture et le Parlement à changer la législation. Difficile à ce stade de prévoir s’il va réussir. Henrik Anderson met les autorités dans l’embarras, car la copie privée est perçue par la plupart des gens comme un droit « évident », et l’interdire pour plaire aux détenteurs de droits ne serait pas populaire. Ce ne serait pas non plus une mesure facile à faire respecter. Par ailleurs, proclamer son attachement au DRM en soi n’est pas très tentant non plus au plan politique car la notion-même de DRM n’a pas bonne presse. À chaque fois qu’un dispositif anti-copie a été adopté, les hackers ont en général rapidement trouvé la parade et diffusé des programmes pour les contourner. Tant et si bien que la plupart des utilisateurs de CD et DVD sont aujourd’hui convaincus que « le DRM ça ne marche pas ».
La démarche de Henrik Anderson relève de la désobéissance civile dans la mesure où il s’expose lui-même pour lutter contre ce qu’il considère comme une injustice et obtenir qu’elle soit levée. Si la police ouvre une enquête contre lui, l’affaire aboutira devant un juge qui sera bien obligé de trancher entre les deux règles. Ce faisant, Henrik Anderson prend évidemment le risque que le DRM soit renforcé et le droit à la copie affaibli, ce qui évidemment n’est pas le but qu’il recherche. Mais on ne peut pas lui reprocher de donner un coup de pied dans la fourmilière et de chercher à clarifier les choses : la contradiction actuelle, mélange de confort et d’hypocrisie, n’est pas tenable.