L’État luxembourgeois a encore une fois été appelé à jouer les pompiers de service pour sauver non pas une banque mais une compagnie aérienne au bord du gouffre, des pertes chiffrées à 169 millions de dollars fin octobre et un endettement de 500 millions de dollars. L’État a pris cette semaine une participation directe de 8,02 pour cent dans le capital de la société qui vient par la même occasion de se débarrasser de son encombrant actionnaire suisse, SAirlines. Les négociations pour la reprise de cette participation de 33,69 p.c. duraient depuis presque aussi longtemps que la faillite de Swissair en octobre 2001. SAirlines avait été mis en place après la faillite pour réaliser les actifs de la compagnie aérienne suisse. Comme actionnaire, on pouvait rêver mieux, d’autant qu’au plus haut de la croissance économique, les chances de remplacer le Suisse par un nouveau partenaire stratégique étaient bien plus importantes qu’elles ne le sont aujourd’hui. Les candidats à la hauteur des ambitions des dirigeants de Cargolux ne se bousculent pas, réduisant ses action-naires existants à faire du « portage », en attendant le messie. Plombé par les dettes et les déboires judiciaires, SAirlines/Swissair avait vu son gros paquet d’actions dans Cargolux gagé. Une première tentative de rachat en 2005 par les actionnaires existants de la compagnie échoua, alors que ses dirigeants avaient déjà acheté des dollars pour les mettre sur la table. Une opération qui se révèlera peu heureuse, compte tenu de l’évolution du cours de la devise américaine par rapport à l’euro.
Appelé à la rescousse, l’État luxembourgeois a mis dans le pot 23 millions de dollars en échange de huit pour cent et une place au conseil d’administration. Les autorités pourraient être appelées à remettre la main au portefeuille, le conseil d’administration ayant approuvé le principe d’une augmentation de capital de 200 millions de dollars. Une première tranche de 100 millions a été libérée et une seconde, d’un montant iden-tique, pourrait l’être en 2010, selon l’évolution des affaires de la com-pagnie. L’État a par ailleurs apporté sa garantie à une ligne de crédit de 100 millions d’euros. Personne ne voudrait y toucher. Tout dépendra de la rapidité du redémarrage du trafic de fret et surtout du caractère durable de la reprise.
Trois autres actionnaires de Cargolux, Luxair, et les deux banques publiques BCEE et SNCI, se sont partagés les restes de la participation de SAirlines. La société de participations BIP Investment Partners a bien participé au tour de table, mais uniquement à travers l’aug-mentation de capital de Cargolux, ce qui lui a permis de conserver intact son niveau de détention antérieur à 11,54 pour cent. La Spuerkeess n’a pas osé non plus trop engager dans l’aventure l’argent des petits épargnants investi dans la Sicav Luxavantage : la participation de 2,2 p.c. a quand même été maintenue à son niveau antérieur.
Cette opération (en accordéon) a donné une bouffée d’oxygène à Cargolux, que la crise économique et la chute du trafic de fret (moins vingt pour cent en moyenne depuis le début de l’année) a mis à rude épreuve. Il a fallu dans un premier temps reprendre les restes de SAirlines avant d’éponger les pertes de la compagnie au 31 octobre dernier (169 millions de dollars), puis procéder à une injection de capital. L’argent frais est désormais à la disposition de l’entreprise qui va continuer sa cure d’amaigrissement avec la vente d’actifs non stratégiques : le hangar de maintenance a été vendu pour être désormais loué, la société informatique de gestion de la flotte devrait être cédée, ou du moins gagée, deux avions ont trouvé de nouveaux acquéreurs, ce qui a d’ailleurs permis à Cargolux de dégager à l’automne les liquidités qui lui manquaient pour faire face à certains engagements. Sur le plan de l’organisation interne, le personnel aussi a été mis à contribution : la compagnie a pu ainsi économiser cinq pour cent de sa masse salariale. Les départs volontaires ont été encouragés et le restent.
Les dirigeants de Cargolux ont aussi mis fin au rêve de grandeur d’une compagnie qui va désormais tourner avec une flotte de quatorze avions. Les appareils actuels vont être troqués contre des avions moins polluants et plus performants, les B747-800 F. Boeing livrera en première mondiale deux exemplaires de son jumbo jet à son fidèle client luxembourgeois à la fin de l’année 2010, après avoir annoncé un retard d’un an sur la production (initialement prévue fin 2009). Du pain béni pour Cargolux, qui peine à trouver les financements auprès des banques et a au moins autant de mal à respecter certains ratios bilantaires que ses créanciers exigent. Une banque américaine spécialisée dans le financement aéronautique lui a fait confiance en tout cas pour financer six des B747-800 qui seront livrés jusqu’en 2013. Six autres Boeings sont en commande et l’option sur trois appareils supplémentaires est toujours valable.