Au jeu « Attrape-moi si tu peux », c’est toujours elle qui gagne ! À peine l’a-t-on retrouvée dans son studio de pilates à Beggen que Lucile Risch est déjà repartie ailleurs. Depuis quelques jours, le site Internet à son nom point com affiche « site closed », seules quelques photos en noir et blanc rappellent encore que son activité avait à voir avec le corps, la corporalité, le corps-à-corps, l’intime... Et nous voilà déjà au centre de sa vie, définie par deux éléments : le corps et l’art. En fait, Lucile Risch a déjà plusieurs vies derrière elle, comme un chat, toujours en mouvement, mais retombant toujours sur ses pieds pour mieux rebondir.
Originairement danseuse et chorégraphe, après des études en anatomie et analyse du mouvement, elle fut par la suite enseignante, deux fois galeriste (au Luxembourg et à Paris), puis photographe elle-même. Après ces dernières expériences éprouvantes, entre l’Hexagone et New York, c’est suite à sa propre quête d’équilibre avec des cours de yoga, de tai-chi et de pilates, qu’elle s’est lancée dans la formation de la thérapie inventée par Joseph Pilates, la contrologie, visant à harmoniser l’esprit et le corps, contrôler l’un pour guérir l’autre. « Le corps est comme une maison, dit Lucile Risch. Il faut se l’approprier, l’habiter, le percevoir consciemment et on constate une amélioration du mental aussi, c’est immédiat ». Elle en a vu défiler, des détresses, des mal-êtres, des corps en souffrance, la publicité s’est faite par le bouche à oreille, souvent dans le milieu de l’art et de la danse. Mais il y a aussi ceux qui venaient chez elle pour le traitement d’une douleur ou d’une malformation et dont elle décelait l’intelligence par leur seule approche du corps. « Je vois le corps comme un architecte, comme une construction, davantage que comme un médecin » affirme-t-elle. Et que ceux qui la fascinent le plus, ce sont les sportifs et les danseurs, pour lesquels le corps est un outil. Mais elle travaille aussi pour quelques sociétés, qui offrent des cours de pilates à leurs salariés ; il est d’ailleurs intéressant que ce soient souvent les employés du bas de l’échelle qui viennent littéralement s’échouer dans le cours, comme unique bulle d’oxygène d’un quotidien étouffant. Un cours collectif au Centre chorégraphique 3CL lui permet aussi de travailler en groupe, de ne pas être en permanence enfermée dans son studio.
Car parfois, ces thérapies individuelles dégénérèrent, devinrent trop prenantes, alors elle les arrêtait. C’est par fatigue, à force de trop donner, de trop s’investir dans ces relations fortes, quasi charnelles ; parce que, par déformation professionnelle, elle scrutait les problèmes des gens dans la rue à leur seule posture ; mais aussi parce que, après tant d’années à accorder la priorité au corps, il lui semblait nécessaire de nourrir davantage son esprit, qu’elle s’est dit qu’il fallait reprendre ses distances. Et Lucile Risch de remettre les voiles. Le changement n’est pas encore radical, elle continue à travailler avec quelques-uns de ses clients privilégiés et termine ses cours. Mais en réalité, elle est déjà ailleurs, retournée dans le monde de l’art.
Le hasard et un projet de livre l’ont ramenée à Paris, où elle est retombée dans le réseau des artistes et des galeristes, anciens amis et collègues. Son nouveau but professionnel : devenir « art adviser », métier à la mode aux États-Unis, et qui consiste à accompagner des collectionneurs dans leurs choix pour monter une collection cohérente, trouver avec eux le genre d’art qui les intéresse, être à leur écoute et être leur œil, leur présenter des artistes, leur ouvrir des portes. Entre Paris et Berlin surtout, ce job lui permettrait de voyager davantage et de transmettre sa passion pour l’art. « Un artiste est pour moi un scientifique, un inventeur, quelqu’un qui cerne et digère les problèmes du monde. » Et c’est à cause de ce respect énorme pour les artistes que Lucile Risch ne veut pas se définir comme une artiste, ni photographe d’ailleurs, et ce malgré les milliers de photos qu’elle a prises ces dernières années, prioritairement au Polaroïd, cette technologie fascinante et désuète des images instantanées qui se développaient elles-mêmes sous les yeux ébahis du photographe. Ses thèmes de prédilection sont, forcément, le corps et l’intime, comme pour cette série You won’t escape my love, présentée en 2005. Le choix de cette technique n’est d’ailleurs certainement pas inoffensif : l’image y est unique, l’appareil incontrôlable, le résultat aléatoire mais si poétique. Rapide, la photo sera en même temps éphémère... Comme autant de métaphores de ses choix de vie à elle.