Un coup de blues. Il fait moche dehors, stress au boulot, crise dans le budget du ménage, un homme infidèle, une balance trompeuse, une séparation... autant de raisons de faire un tour dans une parfumerie, plaisir féminin futile s’il en est, que tant d’hommes ont parfois du mal à comprendre. Mais l’achat compulsif d’un parfum, d’une crème antirides, d’un mascara ou d’un blush, ça peut vous calmer une déprime. Entre les petits flacons arrondis de couleurs flashy de la marque de ce grand distributeur de produits de beauté, du jaune, du bleu, du vert, du doré, bien proprement alignés par dizaine comme une armée de petits soldats pour le moral de la cliente, se démarquent tout en haut, des vernis translucides à paillettes argentées ou dorées. Moins de cinq euros les cinq millilitres – et hop, dans le panier, c’est pas plus cher que deux bières pour monsieur. Plus tard seulement, on remarque la petite mention : « Made in Luxembourg » sur l’étiquette.
Enquête sur le terrain. À Bettembourg, à deux pas de la gare de fret, zone industrielle Schéleck II : sur un grand site discret, sans grandes enseignes ni logos, des algecos s’alignent le long des clôtures de sécurité, les conducteurs des chariots élévateurs transportant de gros fûts bleu ciel doivent viser juste pour traverser les couloirs aménagés entre ces bâtiments modulaires qui abritent les laboratoires de recherche et de développement et l’unité de fabrication d’International Lacquers, établie depuis 1984 à Bettembourg. Une société discrète, dont le succès, surtout des dernières années, devrait faire pâlir l’usine sidérurgique et bien d’autres confrères de secteurs industriels en perte de vitesse. « Nous enregistrons une progression de notre chiffre d’affaires de l’ordre de vingt pour cent par an depuis quatre ans, » constate Aurélie Ignaccolo, marketing manager de IL Cosmetics (maison-mère qui contrôle International Lacquers, Luxcos et Interpack). En 2011, IL Cosmetics enregistrait 36 millions d’euros de chiffre d’affaires, elle estime celui de 2012 à 47 millions et espère atteindre entre 55 et 57 millions d’euros en 2013 – et les prévisions pour les prochaines années restent à la hausse. « Même ou surtout en temps de crise, constate Aurélie Ignaccolo, une femme ne va pas se priver de ce plaisir, surtout s’il n’est pas cher. Le vernis à ongles fait vraiment partie du rêve et du luxe abordable. »
D’autres chiffres encore, tout aussi impressionnants : IL Cosmetics produit cette année 4 900 tonnes de vernis à ongles, qui peut être vendu en vrac ou en petits flacons prêts à l’emploi – plus de 550 millions de ces flacons sont produits à Bettembourg par année par les 250 employés installés sur le site, plus une cinquantaine dans une nouvelle unité de conditionnement implantée depuis un an en Pologne. Parmi les teintes et les textures proposées, IL Cosmetics offre aussi une palette de 1 500 types de perles ou de paillettes à intégrer dans des vernis ou dans des « top coats », à appliquer au-dessus de la couleur.
Dans le commerce pourtant, on ne trouvera pas de vernis au logo d’International Lacquers ou IL Cosmetics : la société anonyme luxembourgeoise dirigée par le très discret Jean-François Harpes, président du conseil d’aministration, est fournisseur pour les marques et ne veut surtout pas leur faire de l’ombre. Parmi ses références : les grands distributeurs comme Séphora, Marionnaud ou Elite en France, Douglas en Allemagne, Clarins, H&M, Miss Helen ou encore Yves Rocher. IL Cosmetics affirme produire un septième du vernis à ongles consommé de par le monde. « Nous ne sommes que quatre usines dans le monde à produire du vernis, aux États-Unis, en France et donc ici, à Bettembourg, » explique Aurélie Ignaccolo. La société offre plusieurs solutions au client : soit il achète les composants en fûts, qu’il peut alors mélanger lui-même, soit du vernis brut, toujours en gros, ou alors le produit fini, conditionné dans les flacons de la marque cliente. Les marchés d’IL Cosmetics se situent en Europe, mais aussi en Asie, en Afrique, en Australie, de plus en plus en Russie, en Amérique du Sud et, à moindre échelle, en Amérique du Nord. Depuis 2003, la société s’est diversifiée dans les activités cosmétiques et produit aussi des mascaras, des eyeliners et du gloss pour les lèvres, toujours en sous-traitance.
Comment connaître alors le marché, afin de prévoir les tendances des mois à venir ? Aurélie Ignacollo explique : « Nos chercheurs travaillent beaucoup sur la formule de base, qui va donner ses qualités au vernis. » Selon s’il veut s’adresser à une clientèle plus branchée ou peut-être un peu plus âgée, qui cherche chacune d’autres qualités, le client devra se décider entre sèchage rapide, haute brillance et longue tenue. Après les ajustements entre les pourcentage de filmogènes, les plastifiants et la nitrocellulose arrivera la couleur. Actuellement, les laboratoires de Bettembourg développent les tendances printemps-été 2014. « Ce qu’on constate, c’est qu’il n’y a plus cette séparation classique entre des couleurs plus claires pour l’été et des couleurs plus foncées pour l’hiver, souligne Aurélie Ignacollo. Désormais, les deux s’utilisent tout au long de l’année. » Pour l’année prochaine, elle prédit le triomphe du burgundy, un rouge pourpre, mais aussi du marron ou du nude. La qualité va vers des compositions plus riches, avec une meilleure tenue, souvent proche de la gelée, avec un aspect crémeux ou, au contraire, des effets métalliques. Son équipe marketing sonde sans cesse le marché, reçoit les clients et fait l’interface entre leurs demandes et l’équipe de R&D. Et la demande des clients est telle que les prochaines années seront marquées par l’agrandissement de l’usine à Bettembourg, sur le terrain d’IL Cosmetics.