« Nous n’avons jamais fait ça ! » assure le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration Jean Asselborn (LSAP) vis-à-vis du Land. Depuis jeudi dernier et prévisiblement encore pour quelques jours de plus, une délégation de la direction de l’Immigration du ministère se trouve à Amman en Jordanie pour rencontrer les réfugiés syriens susceptibles d’émigrer au Luxembourg, pour leur parler et analyser leurs dossiers. Ce travail est fait sur place avec les responsables du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) et avec l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), selon des critères précis énoncés par le Luxembourg, qui veut accueillir avant tout des familles nombreuses, monoparentales ou non. « J’aurais aimé accueillir des orphelins, parce qu’on ne peut oublier leur regard une fois qu’on leur a regardé dans les yeux, » explique Jean Asselborn, mais que ce serait encore plus complexe à mettre en place. « En tout cas, la motivation pour notre action est d’offrir un meilleur avenir à ces enfants qui ont vu l’horreur chez eux ! » Il s’agira de familles intéressées à un départ de la région, qui vivent en Jordanie depuis plusieurs mois, voire un an, dans des foyers gérés par les organisations internationales.
Les collaborateurs du ministère des Affaires étrangères font en fait en ces deux semaines là-bas le travail que, pour les autres demandeurs de protection internationale, ils font normalement en plusieurs mois au Luxembourg : la vérification des informations contenues dans les dossiers, les entretiens avec les concernés, le contrôle des papiers et ainsi de suite. Début février, des responsables du ministère de la Famille et de l’Intégration les rejoindront afin de pouvoir prévoir leur arrivée au Luxembourg, qui pourrait se faire d’ici mars, selon la version optimiste de Jean Asselborn, peut-être plutôt avril selon l’Office luxembourgeois de l’accueil et de l’intégration, mais en tout cas encore au premier semestre de cette année. Et à leur arrivée, ils auront déjà le statut de réfugié politique selon la convention de Genève – c’est surtout sur ce point-là que la procédure est unique. S’ils viennent, il est certain qu’ils pourront rester. L’Olai doit donc préparer un encadrement de moyenne ou longue durée.
L’arrivée d’un groupe de soixante réfugiés syriens au Luxembourg est discutée depuis que le ministre de l’Immigration de l’époque, Nicolas Schmit (LSAP), a tweeté, en août de l’année dernière, qu’il allait proposer une telle mesure. Le conseil des ministres l’a confirmé en septembre 2013, avec alors encore Marc Spautz (CSV) à la Famille, et le consensus politique était dès le début assez large. Seule l’Asti (Association de soutien aux travailleurs immigrés) fustigeait, en automne, qu’il soit prévu de les loger ensemble au foyer Weilerbach, « un ghetto » ou un « non-endroit par excellence » selon l’ONG. D’autres voix s’élevaient pour dire qu’il fallait choisir des personnes « culturellement compatibles » avec le Luxembourg, donc de préférence des chrétiens... « Mais on ne peut pas faire ça, souligne encore le ministre des Affaires étrangères. On ne va pas commencer à faire des distinctions entre les enfants ! » Et Claude Wiseler, vice-président CSV de la commission parlementaire des Affaires étrangères, d’estimer aussi qu’on ne peut pas regarder la religion lorsqu’il s’agit d’aider des enfants.
Le choix de loger ces nouveaux arrivants ensemble à Weilerbach a plusieurs raisons : d’abord, il y a actuellement de la place au foyer, qui a une capacité de 250 lits, mais n’accueille que 120 personnes. Son école est prévue pour 110 enfants, mais n’en enseigne que quarante en ce moment. L’Olai est en train de réaliser des travaux afin de préparer les chambres pour ces familles, dont il ignore encore la composition : sur vingt adultes, il peut tout à fait y avoir quarante enfants. Puis tout dépendra de l’âge des enfants, pour savoir s’ils seront scolarisés à Weilerbach pour le fondamental – une enseignante arabophone a déjà été engagée par le ministère de l’Éducation nationale –, ou s’ils devront être intégrés dans les classes d’accueil des lycées, voire, s’ils sont au-delà de l’âge de l’obligation scolaire, pourront accéder à une formation professionnelle comme celles organisées par le programme Passerelle de Caritas. Les ONG se tiennent prêtes à intervenir, une fois que les besoins plus spécifiques seront clarifiés, ce qui devrait se faire dans les prochains jours.
Ensuite le foyer Weilerbach, qui assurera surtout le primo-accueil, en vue d’un relogement des familles dans de plus petites structures, est déjà très multi-culturel, beaucoup des ressortissants africains ou des Balkans étant musulmans, aussi bien le régime alimentaire que les traditions religieuses comme le respect du ramadan y sont chose courante, explique Christiane Martin, la directrice de l’Olai. Les assistantes sociales de l’Office sont en train de prévoir les mesures d’aide dont ces réfugiés spéciaux pourraient avoir besoin : encadrement social et éducatif, cours de langue pour les enfants et les parents, qui sont souvent seulement arabophones, éventuellement même une alphabétisation, le volet médical, d’éventuels besoins de suivi psychologique pour gérer les traumatismes vécus en Syrie... La seule expérience du genre dont se souvienne Christiane Martin fut celle de l’accueil simultané de trente réfugiés irakiens en 2008, qui avaient été logés en un premier temps par leurs familles respectives, déjà au Luxembourg.
Bien que l’arrivée de nouveaux demandeurs d’asile ait chuté de plus de 2 000 en 2011 et 2012 à un peu plus d’un millier l’année dernière, l’Olai encadre actuellement encore quelque 2 000 demandeurs d’asile de statuts différents, certains encore en procédure, d’autres déjà déboutés et en attente d’un retour éventuel. Les Syriens auront un statut spécial, ce qui permet, une fois que leurs situations personnelles seront connues, de prévoir un travail de plus longue haleine, durable. Actuellement, il y a très peu de réfugiés syriens au Luxembourg : en novembre 2013, trois ont déposé une demande de protection internationale, quelques-uns en été dernier ; entre 2006 et 2011, ils n’étaient que 32, selon les chiffres du ministère de l’Immigration. Certains de ces compatriotes, mais aussi d’autres résidents arabophones, ont contacté l’Olai pour lui offrir leur aide une fois que les réfugiés arriveront au Luxembourg, que ce soit pour la simple traduction, ou pour leur expliquer la vie au pays, les aider à s’y retrouver, voire à s’intégrer. Le regroupement dans un seul foyer, au moins dans un premier temps aura aussi comme avantage de leur permettre de rester en communauté, déracinée mais en communauté.
« Je viens de voir le haut commissaire aux réfugiés de l’Onu António Guterres à la conférence sur la Syrie, affirme le ministre des Affaires étrangères, il m’a félicité pour le geste de solidarité du Luxembourg dans cet accueil. » Le premier appel pour cette solidarité internationale émane de l’UNHCR, car les pays voisins de la Syrie ont de plus en plus de mal à gérer les flux des exilés syriens. Depuis le début du soulèvement contre le régime de Bachar Al-Assad, il y a presque trois ans, plus de deux millions et demi de Syriens, peut-être même trois, surtout des femmes et des enfants, ont quitté le pays vers les pays limitrophes, en premier lieu le Liban, le plus touché, avec près d’un million de Syriens cherchant refuge (sur une population libanaise de quatre millions), suivi par la Jordanie (550 000), la Turquie, l’Égypte et l’Irak. Sur place, ils sont pris en charge par les organisations internationales, UNHCR et OIM surtout, cette dernière venant de lancer une grande campagne hivernale de distribution de couvertures, de tapis et de vêtements chauds dans toute la région. « Tous ces pays souffrent énormément de cette crise, explique encore Jean Asselborn, c’est non seulement un drame humanitaire, mais aussi une charge économique dans une région qui est déjà très fragile. » Comme d’autres pays européens, dont notamment l’Allemagne, qui se sont engagés à accueillir des réfugiés syriens, le Luxembourg fait donc aussi un geste envers la Jordanie.
Si l’opposition politique, informée la semaine dernière en commission parlementaire par le ministre, salue cette action du Luxembourg, le député de La Gauche Justin Turpel, à la question parlementaire duquel Jean Asselborn vient de répondre en début de semaine, aimerait même qu’on réfléchisse s’il ne faut pas se montrer un peu plus généreux et en accueillir davantage. Et il aimerait que le gouvernement communique de manière positive sur le sujet, qu’il prépare la population, surtout les habitants de la région où ils seront logés, à l’arrivée des réfugiés syriens. À l’heure où fleurissent les sites Facebook racistes, xénophobes, islamophobes et haineux, ce ne serait probablement pas complètement en vain.