Registre de commerce et des sociétés

Tourner sur l'aile

d'Lëtzebuerger Land du 11.10.2000

91 ans et beaucoup de rides... La loi du 23 décembre 1909, portant création d'un registre de commerce et des sociétés, avait et a toujours pour but « de donner des renseignements sur les commerces et de conférer ainsi plus de sécurité aux transactions et de développer le crédit public » comme le remarque le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi de loi n° 45811. Depuis, l'explosion du nombre de sociétés enregistrées au Luxembourg - surtout lors de la dernière décennie - a transformé le Registre de commerce et des sociétés (RCS) en un simple endroit de compilation de données sans que celles-ci ne puissent, faute de moyens, être traitées convenablement. « Il s'avère que les méthodes et outils de travail, les infrastructures, les effectifs et l'organisation du RCS [sont inadaptées] de sorte que les délais de réponse et la qualité des données produite ne correspondent plus aux exigences d'une économie moderne en mutation permanente, des autorités publiques, de la justice et d'une place financière à vocation internationale qui se doit de disposer d'une 'carte d'identité' publique, complète, fiable et à jour, renseignant sur les structures et la situation financière des entreprises établies au Luxembourg » note le gouvernement dans son exposé des motifs accompagnant le projet de loi pour arriver à la conclusion que « (...) la publicité des principaux documents juridiques et financiers d'une entreprise tend à créer un climat de confiance auprès des investisseurs, en garantissant l'identification correcte des parties, d'une part, et des informations fiables sur leur situation financière, d'autre part. Il est partant dans l'intérêt public de veiller au respect de différents critères de fonctionnement essentiels du RCS tels que l'exactitude, l'exhaustivité et l'actualisation des donnée, de même qu'à un accès convivial et décentralisé à la documentation sous forme papier ou électronique ».

Quiconque s'étant déjà rendu au RCS à Luxembourg, dépendant du Tribunal d'arrondissement, sait que le climat de confiance mentionné par le gouvernement bat de l'aile : les données recueillies par le RCS ne peuvent pas être traitées électroniquement, faute d'un système informatique ; les dossiers sont souvent incomplets et ne sont pas normalisés ; les dossiers sont seulement archivés, sans que les données qu'ils contiennent ne soient contrôlés - ce qui peut poser problème notamment en ce qui concerne la fiabilité des comptes annuels ; le suivi des dossiers, faute de contrôle des démarches obligatoires des sociétés, n'est pas assuré ; les démarches pour déposer ou recueillir des données au RCS sont complexes et longues... Cette situation s'est empirée d'année en année jusqu'à ce que, en 1997, le gouvernement « compte tenu du fait que la publicité légale des principaux documents juridiques et financiers d'une entreprise est une fonction d'ordre public qui se doit d'être assumée par l'État » a décidé d'enfin se pencher concrètement sur ce dossier, après plusieurs années de tergiversations et de projets ne dépassant pas l'état embryonnaire.

Vu l'urgence, l'exécutif a proposé une refonte de fond en comble, se penchant pendant deux ans sur l'élaboration d'un texte de loi qui prévoit une rationalisation des procédures de dépôt des pièces, de paiement des taxes et de l'identification d'une société. L'intégration du RCS auprès de l'administration de l'Enregistrement et des Domaines (AED) - élément-clef du texte - fait aussi apparaître la volonté sous-jacente d'un contrôle plus efficace des sociétés.

L'incorporation du RCS permettrait à l'AED de créer en un premier temps un guichet unique pour les formalités que toute société doit accomplir auprès des deux administrations. Le projet de loi entend de cette façon créer une étape intermédiaire en vue d'une future législation qui ferait de ce guichet unique l'instance qui effectuerait « en collaboration avec les Chambres professionnelles, toutes les immatriculations requises au moment de la création d'une entreprise nouvelle ». Le RCS et l'AED étant censés d'obtenir, à terme, des attributions qui, pour l'instant, relèvent d'autres entités respectivement administrations. 

Cette instance pourrait regrouper le dépôt des données et documents concernant e. a. l'autorisation d'établissement, l'inscription au RCS, l'obtention du numéro de TVA, l'enregistrement de la société même ainsi que des documents juridiques et financiers tels que les bilans par exemple, la publication au Mémorial, les données concernant les assurances sociales et les contributions directes, tout en recueillant directement les taxes et autres frais... Ce Centre de formalités faciliterait de la sorte non seulement la tâche aux instances publiques pour effectuer des contrôles plus efficaces des sociétés, mais harmoniserait aussi les démarches administratives imposées aux sociétés. Les données ainsi récoltées en un seul lieu pourraient de surcroît être une source fiable pour le Statec pour établir des statistiques actualisées et régulièrement mises à jour de l'économie luxembourgeoise. La finalisation du projet ferait ainsi de l'AED l'endroit où est récolté l'ensemble des données, l'AED les saisirait électroniquement pour ensuite les acheminer aux différentes administrations ou antennes concernées, tout en assurant la publicité du RCS en prévoyant un système informatique permettant une consultation simplifiée.

Le texte du projet de loi était conçu comme une première étape dans le cadre d'une réforme fondamentale. En ce premier temps, outre la refonte du RCS, le projet prévoyait la création d'une centrale des bilans et la mise en place d'un plan comptable minimum normalisé. Après le dépôt du projet de loi, les discussions quant à la réalisation des velléités gouvernementales (re)commencèrent au sein des administrations concernées. Ces discussions avaient déjà étaient entamées ci et là, mais étaient isolées et, faute d'un projet concret, concentrées au niveau des différentes administrations.

Outre les difficultés juridico-techniques, auxquelles le projet de loi a essayé de répondre tant bien que mal, la mise en oeuvre pratique semble cependant avoir été négligée. Ainsi, ce projet de loi présuppose de lourds investissements en informatique et en personnel, si l'État veut vraiment faire aboutir son intention. Simultanément, il faudra trouver une solution adaptée quant à l'héritage du RCS actuel, dépassé, chaotique et désordonné faute de moyens et de personnel.

La volonté politique dans cette affaire apparaît ainsi comme duale. D'un côté, l'État a laissé pourrir une situation jusqu'à un point qui est proche du non-retour. De l'autre, devant l'urgence, et reconnaissant lui-même que l'honorabilité de l'économie nationale puisse être mise en doute à cause d'un RCS défaillant, il dépose un projet de loi a priori bienveillant, mais ne le fait pas suivre des démarches et des injonctions nécessaires. Eu égard au nombre croissant de faillites - aussi frauduleuses - ou encore de fraude fiscale et de travail au noir, régulièrement mentionnées par une classe politique qui se plaint des peu de moyens de surveillance et de contrôle, le caractère prioritaire du texte projeté gagne encore davantage en urgence2.

Mais le projet de loi, à part les avis du Conseil d'État et des chambres professionnelles, n'a pas avancé, pour l'instant, sur son cheminement législatif. Une des raisons de cet état des choses serait le rôle accru que le gouvernement a décidé de faire jouer aux chambres professionnelles, au détriment de l'AED et des autres entités étatiques. Il est ainsi question de créer un groupement d'intérêt économique, réunissant l'État et les chambres professionnelles, qui gérerait, de manière privée avec les obligations découlant de la loi, le RCS - un pied de nez à un service public cependant maintes fois évoqué dans les textes initiaux. La privatisation de facto du RCS soulève plusieurs interrogations fondamentales, en commençant par l'autocontrôle et l'autogestion qu'un RCS privé exercerait sur le secteur et l'amputation d'un moyen de contrôle efficace des instances publiques. Ensuite, à l'image de la privatisation envisagée de l'administration du Cadastre et de la Topographie3, un certain côté mercantile - les services ne seront plus facturés au prix de revient, mais devront générer des bénéfices - la notion d'accessibilité et de service public en prendrait pour son grade. D'où la discrétion des démarches actuelles du gouvernement et surtout des ministres concernés  et l'apparente stagnation du projet initial appelé à être remodelé de fond en comble.

Entretemps, le RCS continue de fonctionner dans les conditions désastreuses connues, au grand bénéfice de ceux qui savent s'en servir et en profiter.

 

1Projet de loi n° 4581 (dépôt : le 21 mai 1995) concernant la réorganisation du Registre de Commerce et des Sociétés ainsi que la comptabilité et les comptes annuels des entreprises et  modifiant la loi modifiée du 20 mars 1970 portant réorganisation de l'Administration de l'Enregistrement et des Domaines ; modifiant certaines dispositions de la loi modifiée du 23 décembre 1909 portant création d'un registre de commerce et des sociétés ; modifiant certaines dispositions du Code de commerce ; modifiant certaines dispositions de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales ; modifiant certaines dispositions de la loi modifiée du 21 avril 1928 sur les associations et les fondations sans but lucratif ; modifiant certaines dispositions de l'arrêté grand-ducal du 17 septembre 1945 portant révision de la loi du 27 mars 1900 sur l'organisation des associations agricoles ; modifiant la loi modifiée du 25 mars 1991 sur les groupements d'intérêt économique ; modifiant la loi modifiée du 25 mars 1991 portant diverses mesures d'application du règlement CEE N° 2137/85 du Conseil du 25 juillet 1985 relatif à l'institution d'un groupement européen d'intérêt économique (GEIE) ; modifiant la loi modifiée du 28 décembre 1988 réglementant l'accès aux professions d'artisan, de commerçant, d'industriel ainsi qu'à certaines professions libérales.

2Dans l'exposé des motifs, le gouvernement signale à plusieurs reprises que cette façon de concevoir la saisie normative des données permettrait, outre l'apport non négligeable en transparence, aussi un contrôle et un moyen de prévention efficace pour contrer les sociétés à caractère louche. Il est aussi mentionné que c'est en fin de compte la communauté qui est lésée dans les faillites, après les débiteurs.

3Un projet gouvernemental prévoit de gérer sous les conditions de l'économie de marché certains services de l'administration du Cadastre et de la Topographie

marc gerges
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