Une nouvelle fois, les marchés très tendus ont contraints les États membres de la zone euro à réagir dans l’urgence : leurs ministres des Finances, réunis dimanche à Bruxelles pour statuer sur le cas de l’Irlande, se sont aussi penchés sur une proposition visant à rendre permanent le fonds de stabilisation financière européen, initialement prévu pour trois ans. La conclusion de ce double accord a pour but d’adresser un message fort aux marchés : l’UE sait s’organiser pour résister. Mais en réalité, les États membres ont dû, sous la pression des marchés, doter la zone euro de l’assistance et des garanties financières qui lui manquaient jusque-là.
La semaine a en effet été marquée par un nouveau rebond des écarts de taux d’intérêt dans la zone euro et un euro à 1,3200 dollar en clôture à New York, vendredi 26 novembre, son plus bas niveau en deux mois sous l’impact de la crise irlandaise mais aussi des risques de contagion provenant de la restructuration des dettes souveraines portugaise et espagnole. Les rumeurs d’aide à Lisbonne s’amplifiaient et les investisseurs multipliaient les signes de défiance à l’encontre de l’Espagne. Paris et Berlin ont alors demandé une accélération du calendrier, car les discussions quant au fonds de stabilisation financière étaient prévues pour le Conseil européen de décembre. La Commission européenne a démenti vendredi avoir proposé de doubler à 880 milliards d’euros le montant des garanties de prêts du fonds de secours.
Les ministres européens des Finances ont donc, sur base d’une proposition de l’exécutif européen, finalisé un accord concernant l’implication « au cas par cas » des banques privées dans le futur fonds permanent de secours de la zone euro, destiné à remplacer le fonds de stabilité financière, doté de 440 milliards d’euros de garanties financières des États de la zone euro et mis en place au printemps dernier pour trois ans. Autrement dit, si ils détiennent des obligations d’État contractées après juin 2013, les banques et fonds d’investissement devront, en cas de crise de liquidités, maintenir leur exposition, c’est-à-dire ne pas vendre leurs titres de dette. Et s’il s’agit d’une crise de solvabilité, ils prendront part aux modifications des conditions de remboursement par une décision à la majorité qualifiée, qu’il s’agisse d’un rééchelonnement de la durée, d’une baisse de taux ou d’une décote sur le principal. Un mécanisme « en pleine cohérence avec la doctrine mondiale et la pratique du FMI », s’est félicité le président de la BCE Jean-Claude Trichet.
Cette proposition est le résultat d’un nouveau « compromis franco-allemand » trouvé dimanche, selon un diplomate qui a souligné que « les négociations entre Français et Allemands ont été difficiles ces derniers jours » sur ce point. Car pour mémoire, Angela Merkel, qui s’était opposée en 2008 à tout mécanisme européen de solidarité face à la crise et avait tout fait pour éviter d’aider la Grèce jusqu’en 2010, plaidait finalement pour l’implication systématique du secteur privé dans ce fonds de sauvetage.
Le président de l’eurogroupe, Jean-Claude Juncker, n’y était pas non plus favorable. Pour preuve ses diverses interventions pour affirmer que le fonds temporaire suffirait à résoudre le problème irlandais sans cacher ses doutes sur une implication du secteur privé. « Je ne m’érigerai jamais en adversaire acharné d’une implication du secteur financier dans la résolution de crise, a-t-il déclaré samedi, ajoutant qu’il fallait « savoir que le Fonds monétaire international, qui a une expérience certaine dans les résolutions de crises, n’a jamais considéré que, ex ante, l’implication du secteur privé devrait toujours faire partie d’un arsenal de résolution de crise ». Il a par ailleurs reconnu que les négociations pour obtenir cet accord avaient été plus « difficiles qu’une rencontre avec le dirigeant libyen Kadhafi ». Il n’en a pas moins donné un coup de griffe au couple franco -allemand qui tend à imposer ses choix aux petits États, déclarant dans l’hebdomadaire allemand Rheinischer Merkur ne pas être « inquiet de la survie de l’euro, ni de celle de l’Union européenne », mais se faire « beaucoup plus de souci sur l’évolution de l’Europe». « Ma préoccupation, a expliqué Jean-Claude Juncker, est que la méthode commune, c’est-à-dire la prise de décision commune de tous les membres de l’Union européenne, ne soit pas discréditée au profit d’une logique intergouvernementale, qui verrait les grands États décider entre eux »
Pour Paris, qui gagne la partie, il était urgent de clarifier l’implication du secteur privé et de rassurer les marchés sur le fait qu’il n’y aurait pas de restructuration automatique des dettes souveraines des pays de la zone euro au moindre problème, mais seulement au cas par cas, une concession qu’a dû accepter l’Allemagne.
Si l’incertitude a été levée peu après l’annonce du plan, son calendrier et l’ampleur de l’aide à l’Irlande, elle n’a été que temporaire, car elle se fixe toujours sur le Portugal et l’Espagne, dont les taux à dix ans ont atteint leur plus haut depuis 2002. L’euro quant à lui a repris sa baisse passant sous la barre de 1,30 dollar pour la première fois depuis mi-septembre. La solution n’a visiblement pas convaincu.