Sur Twitter, il fait figure d’ayatollah du vélo comme moyen de transport. Parmi ses mille abonnés (un nombre substantiel pour cette niche luxembourgeoise), figurent du personnel politique, des urbanistes et, surtout, des utilisateurs de la bicyclette au quotidien qui constatent, comme lui, le cruel manque d’infrastructures cyclables à Luxembourg-Ville. Siggy the cyclist, c’est son nom, véhicule ce ressentiment, cette insécurité partagée par les adeptes de la petite reine pour se rendre au travail. Il sensibilise à la durabilité du vélo comme mode de transport et propose des aménagements pour faciliter la généralisation de la pratique. Dans une conversation avec le Land, Siggy dévoile qui se cache derrière ce cavalier chevauchant une bicyclette.
d’Land : Monsieur Siggy the Cyclist, présentez-vous svp* ?
Siggy the cyclist : Siggy est né lors du premier confinement, au début de la pandémie quand on a vu se développer les infrastructures pour le vélo et la pratique cycliste quotidienne dans des villes comme Paris ou Bruxelles, des métropoles qui n’étaient pas réputées pro-vélo comme le sont Copenhague ou Amsterdam. Un vent de changement a soufflé dans ces capitales où la voiture était dominante. À Luxembourg, rien. Siggy est un clin d’œil au message de la bourgmestre Lydie Polfer (DP, ndlr) selon lequel il n’y a pas de place pour le vélo dans une forteresse. Siggy (diminutif de Sigefroid, qui a fait ériger les fortifications de la ville, ndlr) porte une bannière, la cause des adeptes du vélo comme moyen de transport.
Votre personnage s’est fait connaître via les réseaux sociaux et Twitter. Mais pourquoi avoir choisi l’anonymat ?
Via Twitter on voit que de plus en plus de gens se déplacent à vélo, de la communauté internationale notamment. Les réactions sur les réseaux sociaux se multiplient. Le quotidien du vélo en ville se partage. On dit ce qui est bien. Ce qui ne l’est pas. Pour ce qui concerne l’anonymat, il s’explique d’abord par le fait que nous sommes un groupe d’amis à avoir organisé une première critical mass, un rassemblement de vélos qui s’intègrent au trafic. On ne s’arrête pas pour bloquer des rues. On ne veut pas emmerder les gens. Puis nous nous sommes tournés vers les réseaux sociaux. Et même si je gère le compte Twitter, il s’agit quand même d’un groupe de personnes qui donne les idées, les photos, les inputs, les expériences. Puis ce n’est pas la personnalité qui importe, c’est le message.
Quel est-il ce message?
Nous n’avons pas assez d’infrastructures cyclables. Nous ne bénéficions pas d’un réseau sécurisé. Nous voulons un vrai réseau pour se déplacer en ville. Il faut accepter le vélo comme mode de transport. Ce qui n’est pas le cas.
Qu’est-ce qui différencie l’action de Siggy par rapport à celle de l’association Provélo ?
Provélo a longtemps milité pour plus d’infrastructures. Ils ne sont pas vraiment sur les médias sociaux. Ils se sont aussi plutôt politisés. Ils essaient de s’arranger avec la classe politique. Du coup, leurs messages sont assez timides. Le rôle de Siggy, c’est de dire les choses comme elles sont, sans prendre de pincettes et sans ambition politique.
Vous jugez qu’utiliser le vélo pour se déplacer est dangereux. Est-ce que les chiffres viennent étayer le message ?
Il n’y a pas vraiment de transparence dans les chiffres. Il n’y a pas de base de données publique. Et quand il y a des données, on ignore où sont les accidents. Le Statec publie des fois des études mais sur base des chiffres de la police. Leurs statistiques sont biaisées, car tirées des accidents constatés par la police. S’il y a un accrochage avec simplement des dégâts matériels ou une manœuvre d’un automobiliste dangereuse pour le cycliste, ce dernier ne se rend en général pas au poste. Puis, la police n’encourage pas les gens à enregistrer les accidents. Après avoir été agressé par un conducteur, j’ai appelé la police pour enregistrer une plainte. Ils m’ont dit que cela ne servait à rien et que ce n’était pas la peine de venir.
Puis il y a récemment eu cette campagne qui vous a fait bondir sur Twitter…
Dans toutes les campagnes, on parle de respect mutuel, de responsabilité partagée entre les différents utilisateurs de l’espace public. Mais ce message est trompeur. Une voiture de deux tonnes a plus de faculté de nuire qu’un vélo de dix kilogrammes. Le conducteur a plus de responsabilité dans le trafic. Puis le cycliste dispose d’infrastructures déficientes. Ce sont des pistes cyclables en pointillés. Elles commencent. Elles s’arrêtent. Il faut réintégrer le trafic automobile. Chercher la suite du trajet. Pour une voiture, la route continue toujours.
Sur les réseaux sociaux circule une image de chaise en fragments…
Oui. Si une chaise n’a pas tous ses éléments bien fixés, si les pieds sont fracturés, on tombe. C’est pareil pour une infrastructure cycliste. Elle ne fait de sens que si elle est ininterrompue. Une piste trouvera ses utilisateurs si elle mène d’un point A à un point B en toute sécurité. Un exemple par l’absurde : le viaduc qui mène de l’avenue de la gare à la ville haute dispose dorénavant d’une piste cyclable sur le pont plutôt bien faite. On a de belles photos de la bourgmestre pour l’inauguration. Lydie Polfer est très fière. Mais si on continue dix mètres plus loin, devant la résidence de l’ambassadeur du Royaume-Uni, la piste cyclable s’arrête. Il y a des poteaux en plein milieu. L’espace est restreint alors qu’il y a vraiment du passage cycliste et piéton. C’est dangereux. Des signalements ont été enregistrés et les seules mesures prises sont des initiatives de rafistolage par l’ambassadeur (avec un miroir et un gyrophare pour faciliter la sortie des véhicules). Cela fait plus d’un an que cela dure.
Pourquoi tant de peine à développer les infrastructures ?
Il faut une volonté politique. Historiquement comme à Bruxelles et Paris, la voiture a pris la majorité de l’espace public. Il ne reste plus grand chose pour piétons et cyclistes. Plus on a de voitures, plus on a besoin de stationnement. Les responsables politiques communaux doivent repartager l’espace public d’une manière équitable sur tous les modes de transport.
Vous y faites référence. On peut parler de manque d’ambition de Lydie Polfer…
Ne rien faire, c’est un choix. Soyons très clairs. Les rues ne sont pas bouchonnées parce qu’on a une voie de bus de plus ou une piste cyclable à gauche. Elles sont bouchonnées parce que le nombre de voitures augmente sans cesse depuis trente ou quarante ans. On remarque que le modus operandi ne fonctionne plus. La ville est saturée de voitures. Il faut trouver des alternatives, pour le centre-ville avec des moyens de transport plus efficients. Et je pense que prioriser les transports publics et les vélos est la voie à suivre. Cela vient. Certains partis sont plus pro-vélo que d’autres. C’est peut-être aussi une question de génération. Siggy est politiquement neutre. Le sujet des pistes cyclables est très politisé et cela devient un objet de clivage. Nous voudrions que le vélo rassemble.
Mais le vélo est un enjeu politique. On ne peut le nier…
Luxembourg est une ville internationale. La communauté des internationaux est encline à faire du vélo un moyen de transport mainstream, et non plus alternatif, parce que ses membres ont vécu à l’étranger et ont compris l’intérêt. On a aussi pris un virage décisif ces deux dernières années avec de plus en plus de Luxembourgeois qui se déplacent à vélo. Il y a dix ou quinze ans, le vélo était quasi exclusivement réservé à la pratique sportive. Les cycles électriques changent également la donne. Le vélo devient accessible à tout le monde. On voit des familles en vélo cargo dans le parc le matin. C’est vraiment cool.
Le manque de sécurité ralentit le recours au vélo ?
Il faut des pistes protégées. Le ministère des Transports avait fait réaliser un sondage par TNS Ilres. Des 55 pour cent des gens qui prennent les vélos, 80 pour cent sont prêts à l’utiliser chaque jour si des infrastructures sécurisées hors du trafic sont mises en place. Les infrastructures en place n’incitent pas quelqu’un qui hésiterait à se déplacer à vélo. Il doit être plus facile de prendre le vélo que la voiture pour des chemins de quelques kilomètres.
À combien de personnes estimez-vous la communauté cycliste ?
Je ne préfère pas parler de communauté cycliste. On ne parle pas de la communauté d’usagers du tram ou de la communauté des piétons. Il faut regarder le vélo comme mode de transport. Si je me déplace à pied, je suis piéton. Si je prends la voiture je suis conducteur. L’urbaniste Mikael Colville-Andersen prend toujours l’exemple de l’aspirateur. Vous l’utilisez, mais vous n’êtes pas pour autant membre de la communauté des utilisateurs d’aspirateur. Le potentiel du vélo est énorme si on le considère comme mode de transport. C’est ce qu’il se passe à Paris. Regardez les vidéos de la rue de Rivoli par rapport à ce qu’elle était voilà deux ans, c’est extraordinaire tellement de monde à vélo. Ces gens-là ne se considèrent pas comme cyclistes. Ils ont choisi le moyen de transport le plus rapide, le plus confortable, le moins cher…
Pour en revenir aux internationaux. L’ouverture du vote aux étrangers lors des prochaines communales change-t-elle quelque-chose ?
Oui. Si je regarde ce qui se passe sur Twitter, la communauté internationale s’exprime beaucoup au sujet du vélo. Or la majorité de la population de la ville est étrangère. Les étrangers ont souvent le réflexe vélo. Les gens qui viennent des grandes métropoles ne sont pas forcément habitués à avoir une voiture. Ainsi j’encourage aussi les étrangers qui vivent à s’exprimer dans les urnes et non plus à ce se considérer comme des invités. Les jeunes voient ça différemment. Ils se disent qu’ils ont la légitimité nécessaire. Puis il y a les Luxembourgeois qui ont étudié à l’étranger.
Allez-vous donner des consignes de vote ?
C’est un des buts du compte Twitter. Si on veut un changement, il faut s’exprimer. Pour les élections communales de 2023, je compte faire l’analyse des programmes du point de vue de la mobilité et du vélo, mais aussi demander aux candidats d’exprimer leur position. J’inviterai les gens à voter pour les partis pro-vélo, c’est clair.
Des politiques vous ont-ils approché ?
Pas directement. Je me suis moi-même adressé à plusieurs politiciens, notamment à Patrick Goldschmidt et Serge Wilmes (échevins), mais les retours sont plutôt mous. On ne sent pas vraiment de volonté. L’exemple de l’avenue Marie-Thérèse est flagrant. Les cyclistes sont en danger sur cette piste où les voitures se déportent pour éviter les gens qui tournent tardivement à gauche. On a milité en 2021 pour la sécurisation de l’avenue Marie-Thérèse. La Ville a sécurisé sur cinq mètres. On s’autocongratule dans City Mag pour avoir mis une dizaine de plots dans un virage. C’est le rôle de Siggy de mettre à nue la propagande cycliste de la ville.
Via Report-it ?
Un ami utilisateur sur Twitter a créé l’outil report-it bot qui tweete chaque incident envoyé via le système report-it de la ville. J’ai rassemblé tout ce que les gens envoient à propos du vélo dans la capitale. On voit là le ressenti des usagers. Les gens ne se sentent pas en sécurité si la piste cyclable est peinte au sol. Ils veulent des infrastructures séparées du trafic, voitures ou piétons. Par exemple, la piste cyclable à la gare encercle l’arrêt de bus, probablement l’arrêt le plus emprunté de la ville. S’il n’y a plus de place, évidemment les piétons cherchent un chemin et logiquement ils vont sur la piste cyclable, pas sur la route. Il faut aussi penser aux piétons. Si on a une bonne piste cyclable et un passage trop étroit pour les piétons, à la fin cela crée des tensions et des conflits. La même chose pour le marché de Noël. Une piste cyclable a été construite le long de l’avenue de la Liberté. Mais pendant les sept semaines de festivités, on enlève le trottoir et la piste cyclable devient mixte. Cette piste est la liaison principale en ville. La colonne vertébrale autour de laquelle se construit la circulation à vélo. Si l’on veut que les gens utilisent le vélo comme moyen de transport, cela doit fonctionner 365 jours par an. 24 heures sur 24. C’est une infrastructure, pas un nice to have. Pareil pour les chantiers. Quand la place doit être prise à quelqu’un, c’est au cycliste ou au piéton. Pour le marché de Noël, les deux voies de voitures n’ont pas été touchées. Puis il y avait aussi moyen de déplacer les cabanes d’un mètre. On voit bien que les infrastructures pour les cyclistes ne sont pas prises au sérieux.
Que préconisez-vous au fond ?
On doit relier tous les quartiers et toutes les communes avoisinantes par des liaisons directes au centre-ville, lequel serait lui-même doté d’une colonne vertébrale le long de la ligne du tram, avec une infrastructure propre. C’est-à-dire des pistes séparées du trafic et des piétons avec une largeur suffisante. Une zone 30 avec une circulation de transit ne respectant pas la limitation de vitesse n’est pas une infrastructure adaptée pour les cyclistes. Paint is not infrastructure ! Pour juger la sécurité d’une piste cyclable, il faut se demander si on laisserait son enfant l’utiliser. Dans le cas contraire, c’est que la piste n’est pas sure. Il faut concevoir le partage de l’espace public de circulation dès l’élaboration des PAG ou des PAP. C’est loin d’être la règle. À Néi Hollerich, on prévoit cinq bandes pour les voitures mais une bande partagée pour cyclistes et piétons. Dans les quartiers existants, on ne peut pas attendre le renouvellement des routes dans cinq, six ou dix ans. Il faut prendre des mesures provisoires comme cela a été fait à Paris ou à Bruxelles avec des potelets ou des bordures pour séparer les cyclistes. Il faut faire des choix. Dans certaines rues on n’a pas toujours besoin d’un double sens. Un sens unique ne gâchera pas la vie des riverains ou des piétons. Au contraire. Sur notre fil, on commence à faire des propositions d’aménagement, route par route. Puis il conviendrait de sensibiliser au confort du vélo avec des journées sans voiture. Cela existe à Bruxelles, à Paris ou même à Bogota, mais pas à Luxembourg.