La culture reste assez mal aimée des partis politiques qui lui consacrent relativement peu de pages dans leurs programmes. Le moins d’importance se lit chez Fokus et Volt qui ne dédient pas de chapitre spécifique à la culture. Le premier plaide de manière très générale pour un « paysage culturel vivant » et milite pour « une rémunération qui permette au créateur de vivre en dehors de la pauvreté ». Frank Engel et ses colistiers considèrent que la « culture générale » doit être revalorisée à l’école. De leur côté, les europhiles de Volt soutiennent « la préservation de la langue luxembourgeoise et l’importance du patrimoine culturel ». De manière anecdotique, Volt suggère une décentralisation des institutions dans son chapitre sur la mobilité et imagine : « le ministère de la Culture peut facilement être transféré dans une autre ville (p. ex. Echternach...). » Également peu d’ardeur pour la culture chez Liberté-Fräiheet où le sujet est noyé parmi « École - Éducation– Langue – Culture ». La préservation du patrimoine historique y est considérée comme une « priorité absolue » et la prédominance de la langue luxembourgeoise est souhaitée pour tous les noms d’institutions ou rues. Le plus gros paragraphe est consacré au rejet de la cancel culture. Pour Roy Reding et consorts, « le mouvement ‘woke’ est toxique et dangereux ».
Il est fidèle en cela à ses anciens amis de l’ADR qui s’opposent « avec véhémence » à la cancel culture : « Nous pensons que ce ‘mouvement’ est sur le point de détruire notre culture et celle du monde occidental. » Son chapitre Kultur a Patrimoine ne compte pas moins 18 pages. Tout en voulant augmenter le budget du ministère de la Culture, le parti veut abolir plusieurs décisions récentes (établissements publics, charte de déontologie). Arguant de la liberté d’expression, il veut « éviter que l’État ne s’immisce trop dans la vie culturelle ». Pour l’ADR, la politique culturelle est surtout un moyen de conserver les institutions, traditions, langue et histoire spécifiquement luxembourgeoises. Ainsi, le patrimoine occupe une place prépondérante dans le programme. Le parti populiste exige un moratoire pour tous les immeubles bâtis avant la Seconde Guerre mondiale et intime à une augmentation des moyens des instituts concernés, l’accélération des classements dans les communes, un soutien aux associations, des subsides aux particuliers ou encore la sensibilisation du public… La défense de la langue luxembourgeoise est l’autre cheval de bataille de l’ADR. Il convoque la création d’un ministère « fir Sprooch, Integratioun a Kultur » qui serait notamment chargé de « soutenir et promouvoir la culture luxembourgeoise et de veiller à ce que davantage de productions soient réalisées en luxembourgeois, comme des films, des livres, des livres audio, par le biais de financements et de prix ou récompenses. »
Au sortir de cinq années à la tête du ministère de la Culture, Déi Gréng veut surtout prolonger ses actions. Sam Tanson se voit bien se succéder à elle-même. Aussi, la protection du patrimoine est aussi un volet important des propositions des Verts qui veulent « renforcer les moyens pour assurer la mise en pratique de la loi relative au patrimoine culturel » avec des aides pour la rénovation énergétique des bâtiments protégés, plus de ressources aux institutions spécialisées, une plus grande implication des communes ou la création d’un Centre des monuments nationaux. Dans la continuité de la politique menée, Déi Gréng souhaite réflexion sur la suite du plan de développement culturel (KEP) ainsi que le maintien des assises et la poursuite de la professionnalisation de la scène culturelle. Le programme cite une série d’infrastructures déjà plus ou moins sur les rails – Villa Louvigny, NeiSchmelz, Bâtiment Schuman, Ressourcerie – et met en avant d’autres projets comme la création d’un Centre national de l’architecture et de l’urbanisme ou la transformation de la Halle des Soufflantes de Belval en « un lieu de culture et de rencontre pour y implanter le Centre national de la culture industrielle ». La mise en place de plans de développement culturel communaux, le renforcement de l’éducation à la culture ou encore l’introduction de bons pour des dépenses culturelles pour les jeunes, sont quelques autres mesures d’une politique culturelle présentée comme « féministe et inclusive » qui nécessite « une augmentation des budgets et des structures » :
Le DP plaide pour que le budget du ministère de la Culture atteigne un pour cent du budget national. Côté patrimoine, le parti démocratique veut valoriser les « lieux de culture classiques qui ont marqué l’histoire de notre pays », les sites archéologiques et les jardins historiques. Il espère aussi aplanir les différences entre protection nationale et communale, prône l’utilisation à des fins culturelles d’églises désacralisées et appelle à la fondation d’un institut pour les biens culturels immatériels. En accord avec son partenaire de coalition, le DP espère prolonger le KEP et les assises. Il continue à prôner la création d’une galerie nationale « destinée à exposer et à conserver les œuvres d’artistes luxembourgeois reconnus ». Les libéraux promettent des « espaces résidentiels supplémentaires pour les jeunes artistes indépendants » et proposent la conversion de surfaces commerciales vides en ateliers. Le programme prend des allures de bilan quand il met en avant des initiatives libérales comme la gratuité de l’enseignement musical ou la semaine d’action culturelle Lëtzebuerg (er)liewen dans les écoles. Esch2022 est abondamment cité (l’échevin à la Culture d’Esch, Pim Knaff, et Nancy Braun figurent sur la liste DP dans le Sud). De là vient l’idée d’encourager le mécénat à travers une plateforme de mise en relation entre les entreprises et les artistes qui a pourtant fait flop pendant l’année culturelle.
Le troisième partenaire de la coalition, LSAP, inclut son chapitre sur la culture, ambitieux et détaillé, dans celui, sur la démocratie. Le parti socialiste briguera peut-être ce ressort s’il retourne au gouvernement, alors qu’il lui avait préféré les sports en 2018. Il entend poursuivre la politique actuelle, mais axe surtout son programme sur l’accès à la culture et, plus précisément, « sur le développement des audiences dans un effort de démocratisation de la culture ». Pour cela, le LSAP suggère davantage de diversité au sein des conseils d’administration et des directions des entités culturelles publiques, une collaboration avec des multiplicateurs dans les communautés locales, avec les écoles et les entreprises, des formations pour guides et médiateurs. « L’objectif est d’attirer de nouveaux publics, plus représentatifs d’une population en mutation. » Le volet du public est complété par celui des artistes. Le soutien passe par « une politique de bourses et de résidences attractives ». Enfin, les socialistes envisagent l’introduction « d’un cycle d’études complet en arts à l’Uni ».
Dans son programme, le CSV place la culture « au cœur de la société » en affirmant que « la démocratie a besoin de culture ». Professionnalisation des acteurs culturels, soutient à l’offre culturelle pour les enfants et les jeunes, promotion de la culture dans les régions et les communes et renforcement de l’accès à culture dans les structures d’immigrés et de réfugiés, sont les premières lignes du programme. Cela passe par des aspects financiers comme des aides au démarrage, à la diffusion ou à la mobilité, une TVA réduite pour la création culturelle, des incitatifs à l’implantation des métiers de support (agents, bookers, galeries, labels, correcteurs, traducteurs), un dispositif simplifié en matière d’impôt pour les spectacles étrangers. Tout comme la création d’une « Cité des artistes » avec des résidences d’artistes et des appartements culturels intégrés (il n’est pas précisé où cela serait réalisé). Le parti adresse une chiquenaude aux Verts en notant « les nouvelles mesures et prescriptions énergétiques ne doivent pas se faire au détriment du patrimoine bâti et de l’identité architecturale de nos localités et de notre passé ». Sur ce dossier, les chrétiens-sociaux veulent aussi élargir le patrimoine culturel mondial de l’Unesco luxembourgeois ou valoriser le site gallo-romain de Dahleim.
La première mesure de Déi Lénk serait d’augmenter le budget culturel à un pour cent du PIB. Le programme met en avant la médiation culturelle et la pédagogie pour permettre « l’accès à la culture pour toutes et tous ». Projets culturels participatifs, action culturelle comme vecteur d’intégration, digitalisation des biens culturels, investissements dans les bibliothèques publiques vont dans ce sens. Pour « garantir une création artistique indépendante », le parti propose d’accorder les statuts d’artiste ou d’intermittent dès les premières années d’activité, et d’adapter les bourses et aides aux besoins réels. Il propose l’occupation temporaire d’immeubles vacants pour des projets artistiques (« Proufsäll an de Freeport »). Déi Lénk veut créer une École supérieure d’art et des études d’art, de cinéma et de sciences culturelles à l’Uni. Des moyens doivent être attribués à une véritable évaluation des politiques culturelles. La création d’un Observatoire de la culture qui collectera des données statistiques, assurera l’évaluation des pratiques et émettra des recommandations figure au programme de Déi Lénk comme à celui du LSAP et du DP.
Les Pirates plaident pour une approche bottom-up plus systématique en matière de politique culturelle. Ils veulent abolir les droits d’auteur et les brevets pour « un accès libre à la culture et la connaissance ». Le parti violet préconise davantage de « lieux de rencontre entre les créateurs et les populations marginalisées » et un rapprochement avec les industries créatives.
L’augmentation du budget de la culture fait à peu près l’unanimité. Mais cette manne supposée ira-t-elle aux jeunes artistes ou aux vieilles pierres, au public acquis ou à conquérir, à la culture avec un petit c ou avec un grand K ?