La voix de Greta Thunberg raisonne dans le grand auditoire du centre culturel Opderschmelz. Des sourcils se froncent de part et d’autre de la salle. La militante suédoise ne s’est pas déplacée à Dudelange pour autant. Un extrait d’un de ses discours est en fait samplé sur scène par Julie Campiche, harpiste suisse qui présente le dernier projet de son quartet, You Matter. Les choses sont posées d’emblée. La musique sera engagée. Au micro, elle plaide la cause des exilés, conchie l’obscurantisme politique puis évoque les questions écologiques et féministes. Certes, les plus sévères diront qu’on a vu plus original. Mais il faut reconnaitre à quel point elle sait magnifier ses engagements en musique. Avec Leo Fumagalli au saxophone, Manu Hagmann à la contrebasse et Clemens Kuratle à la batterie, Julie Campiche propose une musique monde, aussi fragile que généreuse, aussi expérimentale que maîtrisée. Lors d’un long solo, ses pincements de la harpe provoquent un frisson du haut de l’échine aux genoux. En ce jeudi 11 mai soir, le festival Like a Jazz Machine s’annonce prometteur et assurément dans l’air du temps.
Comme chaque année ou presque, Sylvain Rifflet est au programme. Le saxophoniste français a son rond de serviette à Opderschmelz. Il est un peu ce cousin éloigné qu’on adore retrouver aux grandes occasions. Celui dont on se dit qu’il ne sait plus quoi inventer pour nous surprendre. Avec la clavieriste Bettina Kee et le batteur Vincent Taeger, ils forment le trio TR!PLE qui propose une musique inclassable. Tandis que les premières minutes laissent présager un set du tonnerre, un couac technique fait son apparition. Le saxopohoniste n’a pas de retour de son sur scène et perd son sang-froid. Il prévient l’audience entre deux morceaux « le premier qui m’emmerde va passer un sale quart d’heure ». La tension arrive à son comble lors d’une passe d’armes sans queue ni tête au sujet d’Elon Musk. Avec We want stars, not satellites ! le musicien s’engage poétiquement contre le milliardaire. Une spectatrice l’interpelle, arguant que Musk est un parangon de la liberté d’expression. Rifflet, dubitatif, clôt le débat par un cinglant « vous avez aussi la liberté de partir ». Ambiance. La nappe organique générée par la shruti-box de Sylvain Rifflet, étonnant instrument indien qu’il trimballe depuis quelques années, forme un mariage heureux avec les effets sonores ultra référencées de Bettina Kee. Taeger, ancien batteur de Poni Hoax et des Jazzbastards, coordonne le tout. On se laisse prendre au jeu.
Cette journée chargée est clôturée par un concert de Aka Moon, groupe de jazz belge qui fête ses trente ans d’existence et sa discographie riche de 25 projets. Fabrizio Cassol au saxophone, Michel Hatzigeorgiou à la guitare basse et Stéphane Galland à la batterie, assoient leur autorité naturelle. Maîtrisée de bout en bout leur musique fait l’unanimité.
Le lendemain, le collectif du jeune batteur luxembourgeois Mathieu Clement est mis à l’honneur. La presse autochtone lui prédit déjà un avenir radieux. Charge à lui de confirmer, du moins de convaincre en moins d’une heure le public du festival qui est somme toute exigeant. Avec Felix Rossy à la trompette, Asger Nissen au saxophone alto, Victor Fox au saxophone tenor, Leandro Irarragorri au piano, Miloš Čolović à la contrebasse et Mathieu Clement donc à la batterie, la formation présente le fruit d’une résidence sur les lieux. Leur proposition, menée tambour battant, ne sort à aucun moment des sentiers battus mais a la mérite de tenir son cap. Des hésitations dissimulées mais perceptibles n’ont pas raison de la fluidité des morceaux. Le temps passant, la troupe se détend et le set prend tout son sens. C’est lorsque les musiciens détournent enfin leurs regards de leurs partitions et qu’ils commencent à joueur pour leur propre plaisir, que celui-ci devient communicatif. Le quartet du saxophoniste israélien Shauli Einav prend la suite. Laurent Coulondre aux claviers, Paul Wiltgen à la batterie et Eran Har Even à la guitare électrique offrent un jeu rond et réconfortant pour une soirée sans turbulence.
Le troisième jour marque le retour des quatre garçons dans le vent qui composent Tele-Port. Cette formation étonnante mixe le jeu des trois incontournables musiciens locaux Jeff Herr, Jérôme Klein et Pol Belardi au saxophoniste russo-londonien Zhenya Strigalev. Tele-Port avait fait sensation lors de l’édition 2019 mais le soufflé était retombé assez vite. Le trip provoqué par ce premier concert en forme de joyeux bordel nous faisait penser qu’il valait mieux en rester là. Un one shot mémorable. C’était sans compter sur le quatuor qui a décidé d’étirer la formule avec de multiples concerts inégaux pour un disque qui n’a pas su retranscire la folie de la disposition initiale. Mais voilà que ce festival marque leur retour avec des compositions inédites. Les interventions du saxoponiste, portant une couronne gonflable sur la tête, sont toujours aussi lunaires. Tout comme ses envolées redeviennent jouissives. On leur pardonne tout. Plus tard, et avec un peu de retard, la formation du bassiste adulé Stanley Clarke offre un show à l’américaine de près de deux heures. On se prosterne face aux joutes show off entre la basse du leader et les baguettes de Jeremiah Collier et on reste de marbre face au numéro de Natasha Agrama, vocaliste passagère du spectacle. La soirée affiche complet. Elle se prolonge avec une afterpary à la nouvelle Kantin op NeiSchmelz où on trinque au succès de cette onzième édition.